Enseignement à distance : comment préserver des dynamiques d’interaction dans l’apprentissage à distance ?

Quel subterfuge a été trouvé pour créer de la présence à distance ?
Innovation pédagogique, Formation
Visuel de la série sur l'enseignement à distance
Visuel de la série sur l'enseignement à distance "En Allant Discuter"
Nous avons demandé aux étudiants comment les interactions avaient été favorisées dans le contexte de la crise sanitaire à l’université.

L’enseignement à distance a modifié en profondeur notre quotidien cloisonné. En effet, les relations sociales constituent toujours un socle essentiel à l’épanouissement des étudiants dans leurs parcours scolaire, personnel et professionnel, et ils en ont été privés cette année. Nous nous demanderons comment les interactions humaines lors de ces cours à distance ont pu participer à préserver un cadre de travail et de sociabilité, entre enseignants et étudiants, et entre étudiants bien entendu.

La dynamique de groupe

Le travail de groupe est synonyme de convivialité pour certains, et de désagrément pour d’autres. Il s’est globalement avéré bénéfique pour maintenir un lien social entre les étudiants pendant l’enseignement à distance. Comme nous le dit Maël, étudiant en dernière année de master : « Plus qu’en temps normal, il y avait un côté où on était tout seul donc on avait envie de s’entraider. Il y a un fort aspect social qui est lié au travail. Du fait des nombreux travaux de groupe, on s’appelait presque tous les jours. »
 
C’était à la fois de la pratique et de la théorie, sur 2 jours intensifs. On a eu un intervenant en télé, pour apprendre comment on construit une séquence pour les reportages JT, un truc qui est vraiment difficile à faire en distanciel, il a trop géré. Il avait bien dû le préparer en amont, c’était très fluide, tout sur Zoom. Il nous parlait et en même temps il nous donnait des trucs à faire.

De nombreux projets ont été préservés, sous forme de dossiers ou exposés, et d’autres ont été inventées pour l’occasion. Par exemple, dans l’ETC1 « Journal et détention », il était impossible de se rendre la maison d‘arrêt de Varces pour rencontrer les détenus. Cela a été remplacé par différentes correspondances. Tout d'abord, les étudiants ont fait une vidéo de présentation collective pendant une séance Zoom. Puis par questionnaire, ils ont interrogé les détenus sur leurs pratiques culturelles (lecture, cinéma...) et ont créé des journaux individuels pour l'occasion. Cette organisation a participé à favoriser l’interaction entre les étudiants qui ne se connaissaient pas, et à créer un lien avec la classe de détenus avant une potentielle rencontre. Ce sont des nouvelles manières de travailler et de communiquer qui sont acquises ici, ce qui s’inscrit dans de nouvelles compétences pour les étudiants : gérer un exposé en groupe par écran partagé, monter un film par correspondance, ou encore suivre une formation en télévision « intensive2» à l’école de journalisme.
 
1 Enseignements Transversaux à Choix
2 Format de cours spécialisant à un média (tv, radio, presse écrite) en apprentissage de « mise en condition réelle »

Des formats de cours interactifs

Ce sont aussi les enseignants qui peuvent favoriser ces échanges selon les modes d’enseignements et les outils mobilisés. En fonction des disciplines, différentes modalités peuvent être mises en place au sein des cours en ligne. Par exemple, les indémodables salons Zoom : un étudiant en première année témoigne. « En anglais elle fait en sorte de faire des groupes de 5-6 pour qu’on ait le temps de s’exprimer dans un groupe d’une trentaine. Elle veut des groupes le plus petit possible pour que l’on puisse échanger en toute intelligence. ». Un autre étudiant en informatique nous parle du déroulé de ses TD : « Ce sont des moments du cours où l’enseignante nous explique une notion, elle pose un problème, on y réfléchit et on travaille avec la notion. Juste ça c’est génial, on est beaucoup plus impliqués, on sait avec quoi on travaille, on apprend avec un petit peu de fun parce qu’on est avec les autres élèves. Et là pour résoudre ces problèmes, on travaillait par petits groupes et chaque groupe devait échanger les uns les autres. Il y avait beaucoup plus d’interactivité, on pouvait même dessiner, faire des schémas, on était livré à nous-même pendant 10-15min. Ensuite elle prenait du temps pour chacun et nous demandait si on avait compris la notion, ou encore poser nos questions, pour qu’elle puisse réexpliquer… »

Re-construire un dialogue

Les outils de chat ont été très mobilisés, de par leur aspect interactif et convivial. Les canaux de discussions permettent aux étudiants de créer de réels liens, qui tendent parfois à reproduire les interactions qui avaient lieu à l'université et dans la vie quotidienne.

Avant, Maxime se déplaçait dans son bâtiment et avait l'habitude de s'installer dans des salles vides avec d'autres étudiants pour travailler leurs cours. Pendant la continuité pédagogique, il nous raconte comment il a trouvé un moyen de s'adapter : « Étant donné qu’on a un serveur Discord, il est très facile d’accès, et en général tout le monde y est. Moi personnellement travailler tout seul chez moi, je trouve ça déprimant, donc je vais dans un salon vocal et quelqu’un me rejoint. J’ai toujours plusieurs personnes qui travaillent avec moi. ». L'usage de ces chats est devenu un lieu d'étude, plus que d'un lieu d'interaction sociale.

Le travail universitaire est donc devenu une sorte de point d'entrée de vie sociale pour ces étudiant. Le dialogue sur le tchat avant covid était plutôt dédié aux relations amicales, alors que pendant le confinement les échanges se sont généralement axés sur les études. Comme nous le dit Mathis : "On était « dans une bulle », trop dans le boulot et des fois on en pouvait plus, jusqu’à ne plus savoir sur quoi on bosse. Il nous manquait tous ces temps qui sont censés faire un contraste pour sortir de ça. [...] On a besoin de ces coupures sociales, cette distinction pour justement être plus productifs, pouvoir en sortir pour mieux y re-rentrer le lendemain. Ça se ressent aussi sur l’effet de groupe, parce qu’on discute beaucoup du travail et de fait beaucoup moins de manière personnelle."

Il y a eu des subterfuges trouvés pour distinguer ces types d'interactions possibles par le tchat, comme l'a testé Simon : « On a 2 types de salon : les salons entre étudiants et les salons avec les professeurs. Ça permet de se faire des blagues sur une matière sans embêter les professeurs. Comme il y a couvre-feu à 18h même dans la vie privée, on ne se retrouve pas spécialement en présence, donc ça sert aussi à ça. »

Des outils pour rythmer une séance de cours

Des outils tels que ceux-là participent à modifier les interactions sociales, et peuvent être favorables à une meilleure répartition des prises de paroles. Ces outils font émerger de nouvelles formes de participation qui changent du rythme des cours magistraux habituels :  les étudiants posent des questions, apostrophent l’enseignant plus facilement. Ce qui mène à  diversifier les postures des étudiants, d'écoute et de participation, comme nous le dit Arnaud, un étudiant de communication : « La chargée de TD se servait de différents outils à la fois : sa caméra, son powerpoint, elle posait beaucoup de questions orales. Donc son cours était fait pour la participation. Et on pouvait répondre à la fois par le micro et aussi par le chat, c’est la seule fois où on se servait réellement de cet outil. C’était assez bien pour ceux qui n’osent pas trop prendre la parole, en plus parce qu’on était 45 … ».

Rendre l’étudiant partie-prenante du cours

Eddy, étudiant en master 1 à Polytech en informatique nous raconte avec enthousiasme : « Quand on était encore en présentiel, il y avait globalement le cours et elle posait des questions régulièrement et on y répondait tous ensemble. Lorsqu’on est passé en distanciel, elle a fait le choix judicieux de vraiment maximiser la pratique et les moments où on réfléchit par nous-même. Parce que quand on suit un écran 8h par jour, suivre un cours magistral est très difficile. Souvent, pendant les cours, elle nous posait un problème assez difficile. Et elle nous répartissait par groupe de travail basé sur « à quel point on est à l’aise ». Ce que je trouvais bien parce que ceux qui étaient moins à l’aise allaient moins vite et prenaient le temps de comprendre les bases, et ceux qui étaient à l’aise pour éviter qu’ils s’ennuient, allaient sur quelque chose de plus compliqué. Et on se retrouvait à discuter en petits groupes d’élèves d’un problème entre nous. Il y avait de l’interaction entre étudiants. Personnellement, surtout en distanciel, j’avais plus de faciliter à pratiquer comme ça, je suis plus attentif et ça marche mieux. […] »

Pour certains plus que pour d’autres, cette interaction est restée superficielle, voir difficile : par exemple, pour Manu, étudiant en journalisme, « Les travaux de groupe ont été le plus dur pour moi, même avec les outils […] l’ambiance où chacun est chez soi et n’a pas spécialement envie de bosser... Comme je te disais, ce coup de mou dans la motivation se reflète encore dans les groupes, et ce n’est pas simple de gérer ça en plus du reste. ». Si tout le monde ne sera pas nécessairement d’accord avec cela, ce sont aussi de nouvelles discussions qui émergent, et une nouvelle gestion des relations sociales dans un contexte particulier. Malgré le fait que les étudiants n’aient pas eu le temps de beaucoup se connaître, certains ont réellement eu envie de se soutenir entre eux. Ces deux étudiants en STAPS, David et Arnaud, ont réuni leurs deux méthodes de travail, afin de mieux compléter leur prise de note : "On s'est fait ami au travers de discussions car on est tous les deux professionnels à côté. On a les mêmes problématiques de timing. On arrive à se donner des notes, à se motiver entre nous. Il se trouve que j’ai une façon de prendre des notes qui est trop arriéré, car je note beaucoup de choses. Et lui il a plutôt un tableau où il note l’essentiel. Le fait de recouper ces infos, c’est vachement mieux pour étudier. Et c’est bien en fait de savoir comment travaille l’autre par rapport à soi."

Pour vous guider, des tutoriels sont disponibles pour étudier en autonomie et vous aider dans la prise de note

En conclusion

Nous avons vu que rendre l’étudiant acteur par interactions est valorisant pour l’étudiant comme pour l’enseignant. Varier les postures d’interactions peut à la fois décentraliser la parole de l'enseignant vers celles des étudiants tout comme permettre de rendre un cours théorique plus pratique. C'est un moyen de favoriser une cohésion de groupe où chacun apporte sa pierre à l’édifice. Si certains sont plus à l’aise à l’oral, d’autres pourront leur expliquer des manipulations techniques par écran partagé. Dans ces nouvelles modalités d’interactions, les étudiants ont d’autant plus envie de s’intéresser au cours, le rendre vivant, et pourquoi pas, favoriser l’entraide et la cohésion sur le long terme. Face à l’isolement, les étudiants ont donc pu élaborer des pistes de réflexion pour se soutenir, maintenir un lien social plus ou moins large, qui soit adapté aux difficultés des uns et des autres.
Mis à jour le  18 juillet 2024