The Conversation : "Le destin de l’Antarctique sur un fil, ou le double rôle des nuages dans le réchauffement climatique"
Mais, à la manière d’un équilibriste sur un fil, l’avenir de l’Antarctique est incertain : la balance pourrait pencher d’un côté ou de l’autre, selon que la fonte de la calotte polaire ou l’accumulation de neige deviendra prédominante.
Notre nouvelle étude, en cours de publication, montre que les nuages sont une source importante d’incertitudes, qui s’ajoute à celles que nous connaissons déjà. Dans certaines conditions, les nuages pourraient fortement augmenter la fonte en surface, et provoquer une déstabilisation rapide de la calotte antarctique, l’attaquant par la surface (et s’ajoutant à la fonte par le bas, due au réchauffement de l’océan. Dans le « meilleur » des cas, ils ralentiraient un peu la fonte des glaces antarctique en servant de « parasol » et en favorisant l’accumulation de neige.
De nombreuses inconnues
En sciences du climat, les sources d’incertitudes sont nombreuses, dans le changement climatique lui-même, mais aussi dans la façon dont les modèles représentent le climat. Il est donc particulièrement compliqué de prédire la fonte de l’Antarctique associée à une augmentation de température.
Ces incertitudes rendent également difficile l’établissement de stratégies politiques visant à définir un objectif de réchauffement maximal (comme ceux des accords de Paris par exemple), en fonction des taux de réchauffement et des risques associés inférés par les observations et les modèles.
Les nuages jouent un double rôle
En plus d’apporter de l’humidité et des précipitations sur le continent antarctique (dont le centre est un désert très sec), les nuages affectent l’énergie disponible pour refroidir ou réchauffer la surface.
Dans les régions polaires, la neige blanche au sol réfléchit l’énergie solaire vers l’espace, en particulier les courtes longueurs d’onde, et notamment le visible. Tant que la neige est blanche et ne fond pas, l’énergie du soleil n’est que peu absorbée par la surface. Mais dès qu’elle fond, cet effet diminue et la surface absorbe alors de l’énergie solaire.
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Parce qu’ils sont blancs, les nuages réfléchissent une partie de l’énergie du soleil vers l’espace. Quand il y a des nuages, plus d’énergie est renvoyée vers l’espace que lorsqu’il n’y en a pas : ils font alors l’effet d’un parasol et limitent l’énergie solaire qui arrive à la surface de la Terre.
La neige à la surface de l’Antarctique, dont le comportement se rapproche d’un « corps noir », émet un rayonnement infrarouge vers l’espace. En l’absence de nuages, le rayonnement infrarouge émis par la surface est perdu vers l’espace. Mais lorsqu’il y a des nuages, ceux-ci peuvent absorber une partie de cette énergie et l’émettre à leur tour vers la surface. Cette énergie infrarouge émise par les nuages a pour conséquence de réchauffer la surface. Ce principe peut s’observer facilement chez nous en hiver : il fait toujours beaucoup plus froid la nuit en l’absence de nuages que lorsqu’il y en a.
L’énergie émise par les nuages vers la surface augmente l’énergie disponible pour faire fondre la calotte antarctique. Elle est similaire à l’effet des gaz à effet de serre. D’ailleurs, l’eau sous ses différentes formes est responsable de 75 % de l’effet de serre.
Selon les conditions, les nuages peuvent donc refroidir la surface, via l’effet parasol, et la réchauffer, via l’effet de serre.
Le futur de l’Antarctique
La loi de Clausius-Clapeyron lie le contenu en humidité de l’air à la température. La relation est assez simple : plus l’air est chaud, plus il contient de l’humidité. Cela augmente la quantité de nuages, et in fine les précipitations neigeuses en Antarctique. L’effet parasol va augmenter, mais aussi le pouvoir d’effet de serre. C’est l’équilibre entre ces effets antagonistes qui va déterminer le rôle des nuages.
Cet équilibre dépend des propriétés des nuages. Par exemple, ceux contenant de l’eau liquide induisent un effet de serre plus important, tandis que ceux contenant de la glace et de la neige ont un plus grand effet parasol.
Suite au réchauffement climatique, la neige en Antarctique va fondre. Cela va déclencher un processus supplémentaire influençant le bilan d’énergie : en fondant, la neige devient plus foncée et réfléchit moins d’énergie directe du soleil (on dit que son albédo diminue). Elle en absorbe plus et fond davantage. Il s’agit d’une boucle de rétroaction positive qui se renforce au fil du temps. Selon l’effet prédominant des nuages, ceux-ci peuvent ralentir un peu la rétroaction positive (effet parasol) ou fortement l’accentuer.
D’après notre étude, une des grandes sources d’incertitudes des projections est de savoir quels nuages deviendront plus fréquents dans le futur et donc dans quel sens la balance penchera. Toutes les projections suggèrent une augmentation des nuages à fort pouvoir d’effet de serre (contenant de l’eau liquide) ayant pour conséquences d’augmenter la fonte, mais dans des proportions différentes, ce qui conduit à une grande incertitude dans les projections sur les quantités de glace fondue.
Comment fait-on entrer un nuage dans un modèle climatique ?
Un modèle climatique est un ensemble d’équations mathématiques des lois physiques de l’atmosphère. À ces équations, on ajoute des paramétrisations pour représenter des processus pour lesquels on ne dispose pas (encore) de lois physiques. Et, parmi ces processus, se trouvent la formation des nuages et leur transformation en précipitations. Ce sont sur les paramétrisations des nuages que les modèles divergent le plus, et où l’incertitude est la plus grande. Typiquement, la plupart des modèles climatiques ont des difficultés à représenter les nuages des régions polaires.
En augmentant la fonte, les nuages pourraient permettre d’atteindre des points de bascule conduisant à la destruction des barrières de glace qui stabilisent l’Antarctique. Ces mêmes nuages ont d’ailleurs grandement contribué au récent record de température en Antarctique de l’Est et leur rôle pourrait être encore bien plus déterminant à l’avenir. Toutefois, ils sont encore très mal représentés par les modèles climatiques. Aucune projection n’est plus probable qu’une autre, mais tout indique que plus le réchauffement sera important, plus la probabilité d’atteindre des points de bascule sera grande.
Mis à jour le 12 juillet 2022
L'auteur
Chercheur post-doctorant en climatologie
Université Grenoble Alpes (UGA)
The Conversation
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