Depuis la loi du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, le simple fait de pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement, peut effectivement être sanctionné par une contravention de 4ème classe (amende forfaitaire de 135 euros). Certains propriétaires du massif de la Chartreuse en Isère, dans les Alpes maritimes ou encore un groupement forestier dans les Vosges, ont décidé d’utiliser cet outil afin d’empêcher tout accès à leurs propriétés. En riposte, de nombreuses personnes et des associations se sont alors mobilisées afin de défendre un droit d’accès à la nature.
Alors que 75 % des forêts françaises sont privées et appartiennent à plus 3,3 millions de citoyens, avec jusqu’à 90 % de forêts privées dans l’Ouest de la France qui bat tous les records dans les régions Pays de la Loire, Nouvelle-Aquitaine et Bretagne, cette loi redessine le rapport que peuvent entretenir les citoyens avec leur environnement.
Jusqu’alors, se trouver dans un espace naturel privé pour n’importe quel usager (promeneur, randonneur, alpinistes, pratiquant de trail…) n’était pas sanctionnable en soi, le droit civil proposant des mécanismes permettant de réparer les éventuels dommages ou le droit pénal permettant de sanctionner les violations de domicile ou les dégradations. Seule exception : les pratiquants de VTT pouvaient eux déjà, être verbalisés pour la pratique du free-ride en forêt (articles R. 163-6 du code forestier et R. 362-2 du code de l’environnement).
Pourquoi en est-on venu à faire changer cela ?
Le souhait d’une conciliation entre protection de l’environnement et protection de la propriété privée
À l’origine, la loi du 2 février 2023 est le résultat d’un compromis entre d’une part, une nécessité de rendre les clôtures qui se multiplient dans les paysages français, moins dommageables pour la biodiversité, et de l’autre, en contrepartie, une volonté de rassurer les propriétaires.
Le premier objectif de cette loi a donc été de répondre à l’explosion récente de la pratique de l’engrillagement visant à clôturer des terrains privés avec des conséquences directes sur l’environnement et la biodiversité : impact sur les corridors écologiques, morcellement des habitats naturels…
Cette loi est ainsi venue modifier certaines dispositions du code de l’environnement afin d’y inscrire les nouvelles caractéristiques des clôtures : posées à 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, hauteur limitée à 1m20, non vulnérantes pour la faune, réalisées en matériaux naturels définis par le SRADDET (Schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires).
Le code de l’environnement précise désormais que les clôtures existantes (sauf certaines exceptions comme les élevages équins ou les exploitations agricoles par exemple) implantées dans les zones naturelles ou forestières délimitées par les règlements des plans locaux d’urbanisme, ou à défaut d’un tel règlement, dans les espaces naturels, doivent être mises en conformité avant le 1er janvier 2027 en ne portant pas atteinte à l’état sanitaire, aux équilibres écologiques et aux activités agricoles ou forestières du territoire.
La pénalisation de l’accès à la nature comme contrepartie radicale aux mesures de protection environnementale
En contrepartie de ces mesures visant à « combattre l’emprisonnement de la nature » et dans l’optique d’apaiser les propriétaires, le législateur a donc créé un nouvel article 226-4-3 dans le code pénal, qui prévoit une contravention de 4ème classe (amende forfaitaire de 135 euros) afin de sanctionner le simple fait de pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement.
Mais depuis son entrée en vigueur, comment cette loi a-t-elle été appliquée ?
Si d’un côté les inspecteurs de l’Office français de la biodiversité, souvent sollicités par des associations et des riverains, interviennent davantage sur le terrain pour constater les éventuelles clôtures non conformes aux prescriptions de la loi du 2 février 2023, d’un autre côté, depuis l’entrée en vigueur de l’article 226-4-3 du code pénal, les agents assermentés pour le faire ont également pu verbaliser des promeneurs qui se seraient introduits dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui, matérialisée comme telle.
Plusieurs interrogations concrètes ont émergé à la suite de l’adoption de cette loi : que faut-il entendre par matérialisation physique d’une propriété privée ? Une trace de peinture rouge sur un rocher, par exemple, doit-elle être considérée comme une telle matérialisation physique ?
Les difficultés liées à l’application sur le terrain
Il faut noter que pour pouvoir être appliquée, c’est-à-dire donner lieu à une sanction, une infraction doit être prévue par la loi en vertu du principe de légalité des délits et des peines, c’est-à-dire que l’objet et la nature de l’infraction doivent être clairement mentionnés et explicités dans la loi. Mais si nul n’est censé ignorer la loi, et si on veut réellement pousser jusqu’au bout la rigueur du raisonnement juridique, comment savoir si on est en infraction quand la propriété privée est uniquement signalée par un panneau « Propriété privée – Défense d’entrer » sans autre délimitation claire des limites de la propriété en question ?
Peut-on sincèrement demander aux promeneurs, avant leur excursion, de s’informer sur l’étendue exacte des propriétés privées dans lesquelles ils ne pourront plus pénétrer comme avant l’adoption de la loi lorsqu’elles n’étaient pas davantage clôturées ? Et s’agissant des agents verbalisateurs, chaque propriétaire va-t-il faire appel à des gardes assermentés pour surveiller et verbaliser les éventuels contrevenants ?
Si l’intention peut paraître d’une certaine manière louable au regard des perturbations des écosystèmes, des risques pour la sécurité, des pollutions et autres dépôts sauvages, et donc des problèmes de responsabilités pour les propriétaires – difficiles à nier et en partie liés à la surfréquentation de certains sites – sa mise en pratique n’est pas dénuée de complications sur le terrain. Et la récente pénalisation n’a pas solutionné mais plutôt, dans certains cas, aggravé les conflits d’usage avec les chasseurs notamment lorsque des réserves naturelles sont paradoxalement mises à leur disposition par des propriétaires, au détriment des promeneurs.
Une proposition de loi portant dépénalisation de l’accès à la nature retoquée
D’autres pays européens, notamment les pays scandinaves, consacrent le droit de tout un chacun d’accéder à la nature : l’allemansrätten est même inscrit dans la Constitution suédoise depuis 1994 : « Nonobstant les dispositions antérieures [relatives au droit à la propriété]l’accès de tous à l’environnement naturel est garanti, conformément au droit d’accès au public. »
Ce droit fait partie intégrante de la culture suédoise et permet à tous et partout de camper, d’accéder aux plages, de se baigner, certaines cueillettes et même de pêcher gratuitement. En contrepartie, car il y en a une, les promeneurs doivent faire preuve de civisme et respecter les propriétaires des lieux, avec pour obligation de laisser l’endroit comme ils l’ont trouvé.
S’inspirant de ce modèle et alors que le préambule de la Charte de l’environnement précise que l’environnement est le « patrimoine commun des êtres humains », les députés écologistes Jérémie Iordanoff et Lisa Belluco ont déposé une proposition de loi visant à dépénaliser l’accès à la nature. Cette proposition avait pour objet de revenir sur le droit antérieur en abrogeant purement et simplement l’article L. 226-4-3 du Code pénal. Pour appuyer leur texte, ils mettent en avant les effets bénéfiques de la nature sur la santé physique et mentale et l’importance de la connaître pour être sensibilisé à sa défense.
Ces députés dénoncent ainsi l’inutilité de réprimer le simple fait de se promener en forêt, aucune offense n’étant alors commise, dans le cas où les promeneurs sont respectueux de la nature et des propriétaires évidemment. Tout système pénal répressif vise effectivement à protéger la société et les députés ont voulu souligner l’absence de danger, d’atteinte à la vie privée ou encore d’atteinte aux biens dans le cas d’activités de pleine nature.
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Leur proposition de loi a ainsi été présentée à la commission des lois de l’Assemblée nationale le 27 mars 2024 mais rejetée malgré plusieurs amendements. Des parlementaires avaient ainsi proposé d’atténuer la sévérité de l’article L. 226-4-3 du Code pénal en établissant des exceptions à la sanction dans les cas où la loi le permet et dans le cas des sentiers de randonnées entretenus et balisés par une association reconnue d’utilité publique, même s’il traverse une propriété privée.
D’autres députés avaient également proposé d’ajouter un article L. 361-4 au code de l’environnement prévoyant que les voies et chemins balisés par un établissement public, une collectivité territoriale ou une fédération de randonneurs agréée et traversant une propriété privée sont grevés sur une bande de trois mètres de largueur destinée à assurer exclusivement le passage des véhicules non motorisés, des piétons et des cavaliers, en vain.
Vers d’autres solutions plus équilibrées entre promeneurs, propriétaires et collectivités ?
Au Québec, où plus de 90 % du territoire fait partie du domaine de l’État, le médecin et professeur à la Faculté de médecine et des sciences de la santé
Isabelle Bradette prescrit désormais des sorties en nature de vingt minutes à ses patients pour les aider à réduire leur stress : baisse de l’anxiété, hausse du moral, baisse du cortisol, aide à réguler l’humeur, hausse de la créativité et de la concentration, renforcement du système immunitaire. Hippocrate aurait même dit : « La nature est la meilleure médecine pour l’homme. »
En France, le but est en réalité de trouver un équilibre entre protection de la propriété privée et liberté d’aller et venir tous deux constitutionnellement consacrés, équilibre dont la subtilité n’est cependant pas garantie avec l’outil répressif, négligeant d’autres instruments de gestion plus « démocratiques », qui, certes, nécessitent un réel suivi dans leur mise en œuvre.
Il existe en effet des conventions ou des plans départementaux des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR) signalés par les députés dans le compte-rendu relatif à leur proposition de loi de dépénalisation de l’accès à la nature. Ces plans peuvent être signés entre les propriétaires volontaires et les départements afin de garantir un droit d’accès à la nature tout en veillant à l’encadrer.