Une recherche menée dans un centre de lutte contre le cancer apporte un éclairage intéressant sur la pratique de l’art-thérapie à l’hôpital. Destinée aux patients, elle bénéficie aussi aux soignants.
En cette période post-Covid où l’épuisement des soignants fait régulièrement la une de l’actualité, une recherche menée dans un centre de lutte contre le cancer apporte un éclairage intéressant sur la pratique de l’art-thérapie à l’hôpital. Destinée aux patients accueillis dans le service, elle améliore aussi la qualité de vie au travail des soignants.
L’art-thérapie, qui consiste à utiliser la création artistique à des fins thérapeutiques, est de plus en plus présente dans les hôpitaux. Ses bienfaits pour les patients sont bien documentés, notamment en oncologie où elle aide à mieux vivre avec la maladie. Mais qu’en est-il de son impact sur les soignants eux-mêmes ?
C’est la question qu’ont voulu explorer des chercheurs dans un service de soins palliatifs en cancérologie. Leur étude, menée auprès d’une vingtaine de soignants (infirmières et aides-soignantes). Ce travail est une illustration des effets inattendus et positifs de l’art-thérapie et de l’expression artistique en générale sur la qualité de vie au travail du personnel soignant. Une problématique abordée notamment dans l’ouvrage Travail du soin, soin du travail.
Un contexte de travail particulièrement éprouvant
Prendre soin de patients en fin de vie atteints de cancers est une mission exigeante émotionnellement. Les soignants sont confrontés quotidiennement à la souffrance et à la mort, ce qui peut engendrer stress, fatigue et épuisement professionnel, comme le rapportent ceux qui ont été interrogés : Une infirmière témoigne : « C’est pas un service évident d’accompagner les gens et leur entourage, d’accompagner la fin de vie. »
D’autres soignants relèvent : « On passe par des émotions brutales et tellement vastes. À cela s’ajoute un rythme de travail intense : on est au taquet tout le temps, c’est une journée de 12h en 8h. »
L’art-thérapie transforme l’environnement de travail
Dans ce contexte, l’arrivée de séances d’art-thérapie pour les patients a eu des effets bénéfiques inattendus sur les soignants et sur leur travail.
Tout d’abord, l’ambiance dans les chambres change. L’art-thérapie semble apaiser les patients, ce qui facilite ensuite les soins. Une infirmière constate : « Quand je passe après que l’art-thérapeute soit passée, je trouve que c’est toujours plus calme, serein. »
Le rapport au temps s’en trouve aussi modifié. Alors que les soignants sont souvent pressés par le temps, l’art-thérapeute prend le temps de la rencontre avec le patient. Ce contraste permet aux soignants de prendre conscience d’une autre temporalité possible dans la relation de soin.
Un nouveau regard sur les patients
L’art-thérapie permet aux soignants de voir les patients sous un nouveau jour, au-delà de leur maladie. Les créations artistiques révèlent la personnalité et l’histoire de vie des patients. Cette dimension humaine redonnée au patient aide les soignants à trouver plus de sens dans leur travail, comme l’explique une soignante : « C’est toujours bien de découvrir un patient autrement… c’est toujours plus plaisant de rencontrer la personne que le cancer. Je me rends compte avec ses créations que ça reste une personne à part entière, il faut pas que je l’oublie. »
Une communication facilitée
Les productions artistiques des patients deviennent aussi des supports pour engager le dialogue, notamment avec des patients qui communiquent peu. Une infirmière témoigne : « Des fois, c’est grâce à ça qu’on arrive à rentrer en relation avec des patients qu’on arrive pas à capter. »
Cela permet d’ajuster la prise en charge et de créer une relation de confiance : « Cela crée un lien de confiance quand le patient sent qu’on essaie de prendre en compte toutes les dimensions qui le composent. »
Un soutien émotionnel indirect
De manière inattendue, l’art-thérapie semble aussi alléger la charge émotionnelle des soignants. En offrant aux patients un espace d’expression de leurs émotions, elle soulage indirectement les soignants : « Ça nous permet même de déculpabiliser. »
L’art-thérapeute prend en charge une partie de l’accompagnement émotionnel, ce qui permet aux soignants de se recentrer sur les soins techniques tout en gardant une dimension relationnelle.
L’intégration de l’art-thérapie dans le service a aussi renforcé le sentiment de travail en équipe. Les soignants rapportent se sentir moins seuls face à la prise en charge globale du patient : « Cela a valorisé le travail d’équipe qu’on faisait", “C’est une forme de valeur ajoutée sur notre travail d’équipe. »
Certains expriment même un sentiment de fierté : « Je suis fière de travailler dans un service qui propose des soins alternatifs. »
Vers une meilleure qualité de vie au travail
Au final, cette étude montre que l’art-thérapie, bien qu’initialement destinée aux patients, a des effets positifs sur plusieurs dimensions de la qualité de vie au travail des soignants par :
l’amélioration de l’environnement de travail
l’enrichissement des relations avec les patients
l’allègement de la charge émotionnelle
le renforcement du travail d’équipe
le sentiment de fierté et de sens au travail
Nos observations ont montré que les espaces de l’art-thérapie participent à la production d’images nouvelles que le soin biomédical a eu tendance à éloigner. Elles sont surtout en rapport avec des représentations fortement influencées par la maladie, et dont la relation avec l’art-thérapeute, via des matières, des couleurs, des possibilités multiples d’expression de soi et de son imaginaire, met en relief d’autres dimensions de la personne et de son histoire de vie.
Ce sont ces images qui produisent un dialogue nouveau : avec les autres (en créant un collectif centré autour du patient en tant que personne), avec les indicateurs biomédicaux et le soin technique, avec le travail du soin et sa créativité.
S’il y a un transfert comme le décrit Georges Devereux – des émotions, du cheminement parallèle – du soignant au soigné, si caractéristique du métier en soins palliatifs, il nous a semblé réorienté par l’art-thérapie et l’art-thérapeute.
Cela génère un nouvel espace du travail du soin dans lequel la créativité du soignant s’exprime par de nouveaux objets du soin co-produits (la chambre avec l’art-thérapeute, la relève, les tiroirs du bureau des cadres, le couloir, le chariot de l’art-thérapeute, les objets supports de l’art-thérapie).
Un autre imaginaire en soins palliatifs
Au total, ce « changement de regard », si souvent raconté tel quel et dont l’expression nous a nous, en tant que chercheurs, si occupés l’esprit, nos méthodes et notre propre regard, raconte en fait cet autre imaginaire du soin et des patients, en soins palliatifs.
Dans un contexte où l’épuisement professionnel des soignants est un enjeu majeur, ces résultats ouvrent des perspectives nouvelles. Ils suggèrent que l’intégration de pratiques comme l’art-thérapie contribue à améliorer les conditions de travail des soignants, tout en enrichissant la prise en charge des patients.
Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
L’Université Grenoble Alpes est partenaire membre fondateur du média en ligne The Conversation. Ce site internet propose de conjuguer l’expertise universitaire et le savoir-faire journalistique pour offrir au grand public une information gratuite, indépendante et de qualité. Les articles, sur un format court, traitent de dossiers d’actualité et de phénomènes de société. Ils sont écrits par des chercheurs et universitaires en collaboration avec une équipe de journalistes expérimentés.
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