La transition numérique : alliée ou ennemie de la transition écologique ? C’est à cette question que Cédric Villani a répondu devant plus de 500 personnes lors de la conférence de rentrée de Sciences Po Grenoble - UGA le 25 septembre dernier. Une conférence disruptive à revoir sur YouTube.
« Pour dévoiler la conclusion dés le départ, dans le contexte actuel, la transition numérique est l’ennemie de la transition écologique » lance Cédric Villani en ouverture de sa conférence, comme pour réveiller son auditoire après avoir rappelé que la transition numérique au sens de la mathématisation du monde était vieille de plusieurs millénaires. Et d’insister à plusieurs reprises sur un paradoxe : la différence c’est que la transition numérique a eu lieu – les preuves sont partout, dans notre quotidien avec l’usage des téléphones et ordinateurs portables, alors que la transition écologique, ce n’est pas clair. Le débat reste ouvert sur le sujet. Est-ce que la transition écologique a réellement lieu ? « Si l’on regarde les statistiques, on en est encore à l’âge du charbon ; le monde fonctionne toujours aux énergies fossiles » insiste-t-il.
Autre paradoxe soulevé par le philosophe : alors que la transition écologique semble ne pas avoir démarré réellement, la dégradation écologique est, elle, par contre, scientifiquement prouvée donc incontestable. Seulement, nous sommes dans un contexte national et international de divorce important entre analyse scientifique et action politique. L’A69 (autoroute qui doit relier Toulouse à Castre) est un exemple parmi d’autres, mais incontournable et emblématique de ce divorce. Ce projet a rassemblé militants et universitaires (de tous les domaines) face aux politiques avec plus de 4000 universitaires signataires d’une tribune qui pointe l’inutilité du projet et demande son abandon. Et pourtant le projet continue. Mais alors, « si nous ne sommes pas capables de renoncer à ce projet dont l’inutilité n’est plus à prouver, alors à quoi pourrons-nous renoncer. »
Pour Ivan Illich philosophe, penseur de l’écologisme, l’idée d’une transition écologique basée sur la politique est un leurre, et jamais le monde ne réussira à se dépêtrer du carcan d’habitudes comportementales dans lequel la technologie l’a installé. Pourtant la question de la transition est une question éminemment politique. En effet s’il y a 7 ingrédients à rassembler pour qu’une transition soit réussie : le constat, le plan, la volonté, la gouvernance, le financement, la main d’œuvre et le changement de comportement ; c’est bien sur la question de la volonté (et surtout politique) puis de la gouvernance que la transition écologique semble s’arrêter.
« Des constats, on en a plein, on en a même bien plus qu’il n’en faut pour agir et des constats irréfutables. L’augmentation du CO2 dans l’atmosphère est quantifiable, les experts du climat ont pu démontrer qu’elle existe vraiment, et que nous en sommes les seuls responsables. Pour les plans, c’est un peu plus confus, mais il y en a quand même, notamment ceux du Shift Project », l’association française créée en 2010 et ce laboratoire d'idées qui s'est donné pour objectif l'atténuation du changement climatique et la réduction de la dépendance de l'économie aux énergies fossiles, particulièrement au pétrole. La transition écologique s’arrête (ou ne démarre pas) sur la question de la volonté. « Tant que les pays ne coupent pas à la source les énergies fossiles, c’est-à-dire n’arrêtent pas d’extraire, ça veut dire que le monde n’a pas vraiment envie de guérir de son addiction au pétrole. »
À l’inverse, pour la transition numérique, « il n’a jamais eu de vrai constat disant que nous avions un problème que le numérique pourrait résoudre. Et il n’y a jamais eu de vrai plan de numérisation de la société. Par contre, il y a une volonté de la société collective très forte de s’y engager car c’est nouveau, intéressant, efficace. »
Le numérique pourrait à bien des égards aider à la transition écologique « mais macroscopiquement l’effet global du numérique n’est pas neutre, il est même négatif. » D’abord par son impact écologique direct (épuisement de matériaux, quantité d’eau…), l’empreinte carbone du secteur est d’environ 3% et en augmentation très rapide. Mais aussi par son impact indirect culturel. « Une technologie qui sert à tout le monde, sert aussi bien à vos amis qu’à vos ennemis. » Enfin, toute l’attention que l’on porte à un domaine peut faire de l’ombre à l’autre domaine. L’engouement, la fascination pour le numérique noie le poisson.
« Il n’y a pas à être optimiste ou pessimiste, aujourd’hui l’important c’est l’engagement. »
Une conférence à revoir sur YouTube
Publié le 9 octobre 2024
Mis à jour le 15 octobre 2024
Cédric Villani
Mathématicien français, Professeur des Universités à l’Ecole Normale Supérieure, il est l'ancien Directeur de l’institut Henri Poincaré. Son travail sur la théorie cinétique et le transport optimal a été récompensé par de nombreuses distinctions, dont la prestigieuse médaille Fields. En 2017, il est élu député de l'Essonne, rédigeant notamment des rapports qui ont fait date sur l'intelligence artificielle ou encore l'enseignement des mathématiques. Investi dans la diffusion de la connaissance scientifique auprès du grand public, Cédric Villani est, depuis mars 2024, Président de la Fondation de l'écologie politique.
Vous êtesVous souhaitezValiderPartager le lienCopierCopiéFermer la fenêtre modalePartager l'URL de cette pageJe recommande cette page :Consultable à cette adresse :La page sera alors accessible depuis votre menu "Mes favoris".Arrêter la vidéoJouer la vidéoCouper le sonJouer le sonChat : Une question ?Chatbot Robo FabricaStatistiques de fréquentation MatomoX (anciennement Twitter)