Santé et inégalités culturelles durant l’enfance : les femmes paient le prix

Recherche
le  4 février 2022
Shutterstock
Shutterstock
Des scientifiques de l’UNIGE et de l’Université de Grenoble Alpes démontrent que les femmes grandissant dans des milieux culturels défavorisés seront moins enclines à pratiquer une activité physique à l’âge adulte, ce qui pourrait impacter leur santé sur le long terme.
Il est aujourd’hui démontré que les conditions socio-économiques dans lesquelles grandissent les enfants auront un impact sur leurs comportements de santé à l’âge adulte, et notamment sur leur pratique d’une activité physique. Mais quels sont les facteurs clés qui conditionneront l’activité de la personne une fois adulte ? Le genre joue-t-il un rôle dans ce conditionnement ? Pour répondre à ces questions, des chercheurs et chercheuses de l’UNIGE, en collaboration notamment avec l’Université Grenoble Alpes en France, ont analysé les données de 56 000 Européens. Les scientifiques ont observé que contrairement à ce que l’on pensait, ce sont bien les facteurs culturels qui déterminent principalement l’activité physique à l’âge adulte, et non les facteurs économiques. De plus, ils ont constaté que les femmes étaient davantage touchées par ce phénomène, alors que les hommes, eux, semblaient en être protégés. Des résultats à lire dans la revue Psychological Science.
 
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 80% des adolescent-es dans le monde pratiquent une activité insuffisante (données de 2021). Cette inactivité physique est associée à une augmentation de l’incidence de maladies cardio-vasculaires, du diabète ou encore de certains cancers. L’OMS estime d’ailleurs que l’inactivité physique cause un mort chaque six secondes, soit environ 5,3 millions de décès par an (données de 2020). Mais quelles sont les conditions qui favorisent la pratique d’une activité physique ? Quels facteurs entrent en jeu ? 

« Des études précédentes démontrent que les conditions socio-économiques dans lesquelles grandissent les enfants influencent grandement leur pratique sportive à l’âge adulte : plus l’environnement est défavorisé, moins la personne sera active », explique Boris Cheval, chercheur au Centre interfacultaire en sciences affectives (CISA) de l’UNIGE et dernier auteur de l’étude. Ce faisant, les chercheurs et chercheuses ont tenté de déterminer quels facteurs jouaient véritablement un rôle dans ce conditionnement : le niveau économique ou culturel ? 
 

La prédominance des inégalités culturelles

L’équipe de recherche a analysé les données de 56 000 personnes provenant de la base SHARE (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe), une base de données socio-économiques européenne réunissant plus de 25 pays. « Tous les deux ans, le niveau d’activité physique d’environ 56 000  adultes âgés de 50 à 90 ans a été mesuré sur une période de treize ans », précise Boris Cheval. En plus de cela, les scientifiques ont eu accès à quatre indicateurs permettant de saisir les conditions économiques et culturelles des participants et participantes à l’étude : d’une part, le nombre de livres à la maison à l’âge de 10 ans et la profession des parents (indicateurs culturels) et, d’autre part, le surpeuplement de la maison – soit le nombre de personnes par rapport au nombre de pièces – et la qualité de l’habitation (indicateurs matériels). 

Le premier constat est que 26.6% des femmes sont inactives, pour 23,4% chez les hommes, toutes conditions confondues. « Nous avons d’abord observé que les indicateurs matériels ne jouaient pas de rôle déterminant, contrairement aux indicateurs culturels qui, eux, avaient une influence réelle sur l’activité physique de la personne à l’âge adulte », souligne Aïna Chalabaev, chercheuse à l’Université Grenoble Alpes directrice du laboratoire SENS, et première auteure de l’étude.

Les chercheurs et chercheuses ont ensuite constaté une nette différence en fonction du genre : le pourcentage d’inactifs chez les hommes culturellement favorisés est de 27,8% contre 31,1% chez les défavorisés, alors que ces chiffres sont respectivement de 29,6% et de 37,9% chez les femmes, soit une différence de 8,3% (contre seulement 3,3% pour les hommes). Les modèles statistiques ont par ailleurs confirmé que l’effet délétère de cette inégalité culturelle était significativement plus marqué chez les femmes que chez les hommes.
 

Les conditions socio-économiques définissent des activités physiques genrées

« Cette étude permet de confirmer une théorie du sociologue Pierre Bourdieu qui explique que dans les catégories sociales défavorisées, les activités physiques proposées dans l’enfance sont axées sur la compétition et la masculinité, comme le football et le rugby, alors que dans les classes plus favorisées, ces activités sont moins genrées, à l’image du tennis, du golf ou de la danse », précise Boris Cheval.

Cette catégorisation des sports proposée exclurait ainsi davantage les petites filles issues des classes sociales défavorisées de l’exercice physique, une exclusion qui serait ensuite ancrée dans le comportement à l’âge adulte. « C’est pourquoi l’écart est moins grand chez les hommes. De par leur sexe, ces derniers semblent d’avantage protégés de l’inactivité physique, car la pratique du sport est valorisée chez les garçons, quelles que soient les conditions socio-économiques dans lesquelles ils évoluent », poursuit Aïna Chalabaev. 

Cette étude démontre que l’environnement culturel durant l’enfance peut jouer un rôle déterminant sur les comportements d’activité physique à l’âge adulte. C’est pourquoi les politiques de santé publique devraient apporter une attention toute particulière aux enfants issus des classes sociales défavorisées, en particulier les filles. « Il s’agit ici de prévenir au mieux l’inactivité physique, qui représente un fléau mondial dont les conséquences sanitaires et économiques sont énormes », conclut Boris Cheval.
Publié le  4 février 2022
Mis à jour le  17 février 2022