Un nombre important de détenus de la prison de haute sécurité de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) sont en grève de la faim depuis cet été, dénonçant leurs conditions d’incarcération. Ce nouveau dispositif, visant en particulier les narcotrafiquants, interroge les défenseurs des droits humains et les spécialistes des politiques carcérales. Que nous enseigne l’histoire des quartiers de haute sécurité, voulus par l’État dans les années 1970, puis abandonnés en 1982 ? Les dispositifs similaires – aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Italie – ont-ils fait leurs preuves dans la lutte contre la criminalité organisée opérant depuis la prison ?
Le ministre de la justice Gérald Darmanin déclarait, fin 2024, vouloir « couper du monde les 100 narcotrafiquants les plus dangereux » en les enfermant dans des « prisons de haute sécurité ». Cet été, il annonçait ainsi un « changement pénitentiaire radical » depuis la prison de Vendin-le-Vieil dans le Pas-de-Calais.
Le 1er septembre, un nombre important des détenus transférés dans les nouveaux dispositifs de haute sécurité à Vendin-le-Vieil ont entamé une grève de la faim. Mouvement solidaire, la manifestation a été décrite comme une « manifestation de désespoir » par l’avocate Delphine Boesel. Une seconde centaine de détenus doit être incarcérée, d’ici mi-octobre 2025, au sein du nouveau quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) de Condé-sur-Sarthe (Orne), dont le régime sécuritaire hors norme est déjà largement documenté]. Ces évènements relancent le débat sur la justification et sur l’efficacité de la prison de haute sécurité face au crime organisé.
« Vingt-et-une heures par jour dans une cellule, seul »
Les quartiers de haute sécurité (QHS), également appelés quartiers de sécurité renforcée (QSR), ont été [créés en 1975] par décret le 23 mai 1975 sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, dans un contexte d’inquiétude sécuritaire marqué par une série d’évasions spectaculaires et par la montée des violences en détention].
Le garde des sceaux Alain Peyrefitte adopte une ligne résolument sécuritaire et consolide l’usage des QHS comme dispositifs de répression accrue. Ces unités visent notamment à contenir les détenus insubordonnés, réaffirmant la position d’un gouvernement fort pour lequel la sécurité est une priorité absolue. Sont éligibles au placement en QHS les détenus « caractériellement dangereux » et ceux qui, par leur comportement, visent à troubler gravement le bon fonctionnement des établissements.
Ces espaces opèrent alors sur un régime punitif extrême. Le recours a l’isolement est fréquent, notamment contre les détenus ayant tenté de s’évader. Lors du procès de Lisieux (Calvados) de 1978, quatre accusés, qui avaient tenté de s’évader, décrivent la violence des QHS. Georges Ségard témoigne qu’il est enfermé depuis trente-cinq mois consécutifs en QHS, dont onze mois complètement isolé. Daniel Debrielle ajoute : « Le quartier de sécurité renforcée, c’est vingt-et-une heures par jour dans une cellule, seul. C’est une heure de promenade par jour dans une cour en béton avec deux grillages au-dessus de la tête. La nuit, un projecteur donne sur les barreaux et les renvoie partout. Vous ouvrez l’œil et vous ne voyez que des barreaux. »
Le célèbre Jacques Mesrine, assimilera les QHS à une lente peine de mort : « Les QHS sont la forme futuriste de la peine capitale. On y assassine le mental en mettant en place le système de l’oppression carcérale à outrance, conduisant à la mort par misère psychologique. »
Au même moment, des intellectuels, comme Michel Foucault, des associations de défense des droits humains ainsi que certains magistrats et agents pénitentiaires dénoncent également les QHS.
Rapidement, ces quartiers deviennent donc le symbole d’une violence institutionnelle injustifiée. Les QHS sont officiellement abandonnés en 1982 après l’arrivée de la gauche au pouvoir.
Le recours aux prisons de haute sécurité pour narcotrafiquants
Quarante ans plus tard, Gérald Darmanin réouvre donc des prisons de haute sécurité pour narcotrafiquants, désormais appelés « quartier de longue peine et de contrôle opérationnel » (QLCO). Certes, il ne s’agit plus de quartiers isolés dans l’espace carcéral existant, mais de la création de prisons de haute sécurité en tant que telles. La logique reste la même : séparer et neutraliser certains profils de criminels. Surtout, il s’agit de signaler, comme cela avait été le cas en 1975, la fermeté du gouvernement face au crime organisé dans le cadre du trafic de drogues.
Cela évoque la « war on drugs », déclenchée par le président Nixon, dans les années 1970, récemment relancée par le président Trump.
Cette approche ne vise pas la réhabilitation et la réinsertion des détenus. Il s’agit d’exclure fermement et totalement, ce que certains chercheurs en criminologie aux États-Unis appellent « the total incarceration ». Ce terme désigne un modèle pénal dans lequel l’enfermement devient une fin en soi, un outil de neutralisation permanente, qui repose sur la rupture de tout lien social, familial, professionnel et culturel, plutôt qu’un passage temporaire avant une éventuelle réinsertion. Le chercheur Jonathan Simon, en analysant la montée de l’incarcération de masse aux États-Unis, décrit ce paradigme comme l’étirement de la prison à des fonctions qui dépassent la logique de la peine d’emprisonnement elle-même : l’expression d’une force étatique priorisant la sécurité avant tout.
La création de prisons de haute sécurité, et non plus de simple quartiers, rappelle également le modèle du Royaume-Uni qui a institutionnalisé depuis longtemps des établissements de type « high security ». Si, à l’origine, elles étaient aussi destinées aux détenus dont l’évasion était jugée dangereuse pour le public, la police ou la sécurité de l’État, elles sont devenues le lieu de détention des personnes jugées potentiellement dangereuses pour l’institution carcérale, ses agents et l’État de manière plus vaste. Typiquement, les prisonniers condamnés aux peines les plus lourdes, comme la prison à perpétuité, et ceux ayant commis des crimes sexuels y sont détenus et y vieillissent, soulevant de nombreux problèmes de gestion.
Cependant, le modèle de haute sécurité britannique est, du moins en théorie, censé n’être que temporaire. Il est prévu que la personne détenue, au fur et à fur que son niveau de dangerosité décroît, progresse vers des prisons de niveau sécuritaire moins élevé. Il ne semble pas qu’un mécanisme de progression similaire en France soit envisagé.
Contrairement aux quartiers d’isolement classiques, souvent critiqués pour la vétusté des bâtiments, le manque de moyens humains et l’absence de formation spécialisée, les deux prisons de haute sécurité annoncées par Gérald Darmanin sont censées répondre à ces faiblesses. Les infrastructures sont neuves ou entièrement réaménagées afin d’être hermétiques aux communications illicites et adaptées au régime d’isolement renforcé.
Conçues sur le modèle italien du « carcere duro » luttant contre la mafia, elles sont dotées d’installations ultramodernes (détection antidrones, brouilleurs, miradors, hygiaphones, visioconférences généralisées). Chaque détenu sera encadré par trois ou quatre surveillants, une proportion inédite dans le système pénitentiaire français, et les agents suivront une formation spécifique de deux mois, centrée sur la gestion de la criminalité organisée et sur la prévention des risques de corruption. De plus, un dispositif d’anonymisation des surveillants et un recrutement ciblé visent à limiter le turnover et à renforcer la stabilité du personnel.
Bien que la loi de 2025 cible spécifiquement les narcotrafiquants, la critique de Michel Foucault, en 1978, quant au flou de la notion de dangerosité reste actuelle. En pratique, les critères prévus par la loi ont un spectre si large qu’ils autorisent de vastes classifications indifférenciées, potentiellement applicables à des détenus non liés au narcotrafic, comme le dénonce l’Observatoire international des prisons (OIP)). En effet, le décret confère au garde des sceaux le pouvoir de placer une personne en isolement administratif à titre préventif afin de « prévenir la poursuite ou l’établissement de liens avec les réseaux de la criminalité et de la délinquance organisées, quelles que soient les finalités et les formes de ces derniers », ce qui reste extrêmement vague. Le rôle du juge n’est que consultatif (en cas de condamnation) ou informatif (en cas de prévention), avec possibilité d’opposition sous huit jours seulement, ce qui limite fortement la force du contrôle judiciaire sur une décision à portée potentiellement arbitraire.
Comment lutter contre le narcotrafic en prison ?
Le problème du narcotrafic depuis l’enceinte de la prison est un réel phénomène global que gouvernements et institutions carcérales peinent à maîtriser et ce, dans un contexte de surpopulation carcérale), de manque d’effectifs, et d’absence d’accompagnement suivi à la réintégration.
Concernant le recours à l’isolement, la recherche sociologique et les rapports officiels convergent pour souligner leur inefficacité. Les études sur les prisons de type « supermax » (de l’anglais, super maximum security) confirment que les unités ultrasécurisées n’ont jamais fait leurs preuves pour réduire les violences ou la récidive, et tendent au contraire à radicaliser la défiance et à aggraver les troubles psychiques des détenus.
Il existe pourtant des alternatives à l’isolement et à la haute sécurité pour traiter les problèmes soulevés par le narcotrafic en prison. D’abord, couper les communications illicites sans forcément couper le détenu du monde est possible. Cela inclut un brouillage ciblé et une téléphonie légale et surveillée. Le lien social reste, en effet, central pour la réinsertion). Ensuite, des unités de renseignement en prison permettent de surveiller flux financiers et communications suspectes sans passer par l’isolement systématique. Des plans individualisés (suivi psychologique, accompagnement à la sortie, encadrement par binôme éducateur–surveillant) ont montré qu’ils réduisaient la récidive, y compris dans la criminalité organisée.
S’attaquer au problème de la surpopulation carcérale est évidemment clé dès lors qu’il nourrit le turnover du personnel et renforce les pouvoirs informels et l’augmentation de la violence (Baggio et al. 2020). L’ONU (2016) insiste ainsi sur la nécessité de réduire la densité carcérale et de fidéliser les équipes. Enfin, privilégier l’usage de sanctions alternatives (par ex., par des amendes ciblées, des saisies d’avoirs ou des peines substitutives pour les exécutants des trafics) pourrait désengorger les établissements et recentrer les moyens sur les véritables têtes de réseaux.
À peine lancée, la réouverture de prisons de haute sécurité en France soulève déjà des contestations, notamment autour des risques liés à l’isolement prolongé, à la santé mentale et au respect des droits fondamentaux. Les recherches menées sur des dispositifs comparables montrent des résultats incertains en matière de sécurité et de prévention de la récidive, laissant ouverte la question de l’efficacité réelle de ce choix politique face au narcotrafic.