Nos choix en matière de transport influencent notre entourage. Ce levier pourrait être mis à profit par les décideurs pour améliorer l’efficacité des politiques visant à changer les comportements.
La voiture reste le moyen de transport majoritaire pour les trajets domicile-travail (73 %), et ce y compris pour des distances de moins de 5 kilomètres, qui pourraient être facilement couvertes grâce à des modes de déplacement alternatifs. Entre 2015 et 2020, la part modale du vélo (c’est-à-dire le pourcentage de déplacements effectués en vélo) n’a augmenté que de 0,9 point de pourcentage, pour passer de 2 % à 2,9 %.
Ce constat pose la question de l’efficacité des politiques qui ambitionnent de développer l’usage des modes de transports durables et des mobilités dites « actives », autrement dit les mobilités qui s’accompagnent d’une activité physique. Il peut s’agir non seulement de la marche ou du vélo, mais aussi des transports en commun : en moyenne, en effet, un trajet en bus, en tramway ou en train nécessite de marcher au moins une dizaine de minutes, en fonction de l’éloignement des arrêts.
Ces politiques, qui visent à amener les individus à adopter d’autres comportements, ont jusqu’à présent suivi deux voies principales : une approche punitive (taxe carbone, zones à faibles émissions visant à exclure certains véhicules) ou une approche incitative, mais d’un point de vue strictement monétaire (forfait mobilité durable).
Or nos travaux indiquent qu’il existe d’autres approches possibles, telles que le recours à l’influence sociale ou aux arguments de santé individuelle. En les croisant, il pourrait être possible de renforcer l’efficacité des interventions publiques. Explications.
Le problème est que jusqu’à récemment, les interactions sociales étaient évaluées en fonctions de facteurs tels que l’appartenance à un même quartier d’habitation, par exemple. Or, ce type de critères ne permet pas de résumer à eux seuls l’influence sociale.
Cette dernière peut aussi s’exercer notamment à travers le plaisir que l’on peut ressentir lorsque l’on prend les transports en commun avec des collègues que l’on apprécie. C’est ce que l’on nomme la complémentarité stratégique : Carole aime prendre le tram avec Béatrice, car il s’agit d’un moment qui leur permet de discuter du dernier épisode de leur série préférée…
L’influence sociale peut aussi s’exprimer à travers le désir de se conformer aux comportements de son entourage direct : tous les amis d’Anna font du vélo pour se rendre au travail, cela l’incite à faire de même afin de ne pas être la seule à venir en voiture.
Pour décrypter le rôle de l’influence sociale, il est donc important de pouvoir identifier l’entourage spécifique de chaque individu (amis, collègues, famille, etc.). C’est ce à quoi s’est attaché le projet de recherche ResCampus, réalisé auprès du personnel du campus universitaire grenoblois.
Notre mode de transport influence celui des autres
Nous avons dans un premier temps collecté des données visant à identifier les collègues avec lesquels chacun interagit sur son lieu de travail, que ce soit lors du déjeuner ou des pauses café, par exemple. Ces informations nous ont ensuite permis de mettre en évidence l’impact de l’influence sociale en matière de choix de transports.
On estime que cet effet est principalement dû à la conformité vis-à-vis des pratiques de mobilité de l’entourage professionnel : les changements de comportements individuels de mobilité entraînent des évolutions des normes sociales au sein de l’entourage des individus, ce qui les incite à leur tour à modifier leur mode de transport.
L’influence sociale favorise donc le développement de la mobilité active. Or, ce type de mobilité a un impact positif sur l’environnement et le cadre de vie commun, ainsi que sur la qualité de vie personnelle et sur la santé. Ce qui constitue un autre levier activable pour inciter au choix des mobilités actives…
Alors que prendre sa voiture tous les jours renforce la sédentarité, le développement du vélo, notamment grâce au déploiement des aménagements urbains et à l’avènement du vélo électrique, permet une activité physique régulière.
Or, ces bienfaits sur la santé sont source de motivation individuelle et constituent alors un premier levier pouvant initier des changements de comportements.
Autrement dit, on n’abandonne pas sa voiture à cause des externalités négatives liées à son usage (pollution, bruit…), mais plutôt parce que les alternatives, le vélo ou la marche à pied, sont agréables et bénéfiques pour sa santé et son bien-être.
En s’appuyant sur ces constats, les pouvoirs publics devraient donc orienter leurs actions afin que la mobilité soit davantage perçue par les citoyens comme un comportement de santé, et pas seulement comme un comportement « durable ».
À ce titre, le nombre d’interventions publiques mettant l’accent sur les bénéfices sanitaires de la mobilité active pourrait être accru. Il peut s’agir non seulement de concevoir des campagnes d’information, mais aussi d’organiser des « challenges mobilité ». Lors de ces événements, une journée par an, les salariés d’une entreprise sont incités à utiliser un mode de transport alternatif à la voiture pour leur déplacement domicile-travail.
Du coaching individualisé peut aussi être mis en place, afin de fournir des informations et des conseils spécifiques, basés sur la compréhension des besoins individuels et des habitudes de déplacement de chacun. Ainsi, lors de la mise en place de la Zone à Faibles Émissions à Grenoble, l’agglomération a déployé un dispositif d’accompagnement tourné vers le changement de mobilités, dont les usagers peuvent bénéficier en prenant rendez-vous avec un conseiller mobilité.
En s’appuyant sur ce socle de base, l’influence sociale pourrait dans un second temps démultiplier l’impact de ces politiques via des effets « boules de neige », notamment sur les lieux de travail, où les interactions sociales amplifient la diffusion des bonnes pratiques, comme l’ont révélé nos travaux.
L’Université Grenoble Alpes est partenaire membre fondateur du média en ligne The Conversation. Ce site internet propose de conjuguer l’expertise universitaire et le savoir-faire journalistique pour offrir au grand public une information gratuite, indépendante et de qualité. Les articles, sur un format court, traitent de dossiers d’actualité et de phénomènes de société. Ils sont écrits par des chercheurs et universitaires en collaboration avec une équipe de journalistes expérimentés.
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