The Conversation : "Manquons-nous d’humilité ?"

Société
le  10 février 2023
Des études montrent que les personnes humbles sont plus altruistes, mais aussi plus disposées à accepter l’aide d’autrui. Ben Weber / Unsplash
Des études montrent que les personnes humbles sont plus altruistes, mais aussi plus disposées à accepter l’aide d’autrui. Ben Weber / Unsplash
Qu’est-ce que l’humilité et quelles sont ses conséquences ? Cette vertu a-t-elle quelque chose à offrir dans les relations sociales, et de quelle manière ?

Faire montre d’humilité en public peut-il permettre d’adoucir des mesures impopulaires, comme le dossier des retraites pour Emmanuel Macron ? Ou de se rendre plus sympathique comme semblait l’espérer Elisabeth Borne ? Le terme humilité est régulièrement utilisé par les politiques, quel que soit le contexte (rappelons-nous le discours de Joe Biden après sa victoire électorale…)

Mais au-delà de sa manifestation publique – potentiellement stratégique voire insincère, que sait-on du rôle de l’humilité dans la vie sociale ?

Être humble, c’est se percevoir avec justesse

L’humilité est une capacité à s’auto-évaluer de manière exacte, sans distorsion, à se mettre au niveau du sol pourrait-on dire, comme le rappelle son étymologie latine (le mot humilitas est dérivé de humus, la terre).

C’est une gageure, car l’un des biais humains les plus partagés est probablement cette fâcheuse tendance à se croire supérieur à la moyenne en général, et à autrui en particulier.

Par exemple, demandez à des collaborateurs ou à des couples de faire la liste des tâches qu’ils réalisent pour le collectif, puis d’estimer le pourcentage de travail qu’ils pensent assurer personnellement. La somme dépasse presque toujours les 100 %, car chacun estime qu’il assure une part disproportionnée des tâches. Imaginons que l’on vous demande si vous pensez être un peu plus humble que la moyenne des gens de votre âge et sexe. Comme la plupart des gens, vous répondrez probablement oui !

Un aspect important de l’humilité réside dans l’aptitude à maintenir son égo à la place qui lui revient et à orienter son attention vers autrui, jugé lui aussi digne d’intérêt. Cette attitude de décentration est judicieuse dans la sphère relationnelle, mais aussi dans d’autres domaines, comme celui des idées, de la culture ou de la science.

L’humilité est-elle séduisante ?

Dans les relations humaines, l’humilité a la cote. Des enquêtes indiquent qu’elle est plus valorisée chez un partenaire que de nombreuses autres qualités ou aspects de la personnalité comme sa sensibilité, son amabilité, son ouverture intellectuelle ou son caractère consciencieux, que l’on envisage des relations à court ou long terme.

Ainsi, une étude de speed dating montrait qu’un partenaire qui communique des informations révélant qu’il est humble suscite la confiance : on lui communiquera ainsi plus volontiers son numéro de téléphone ! Cette confiance n’est pas infondée, car les personnes humbles sont généralement moins malhonnêtes dans les relations romantiques, comme l’a démontré une vaste étude menée en Allemagne auprès de 5700 personnes.

L’analyse des dynamiques de couples confirme que l’on est plus satisfait et engagé si l’on a un partenaire pétri d’humilité, et aussi qu’on lui pardonne plus facilement ses travers.

L’humilité atténue également la tension dans les échanges compliqués. Dans une étude de laboratoire où l’on examinait des couples invités à discuter d’un sujet conflictuel, il est apparu que chez les personnes au profil humble (cette tendance ayant été mesurée par un questionnaire préalable), la pression artérielle – qui grimpe ordinairement dans ce type de situation – restait à un niveau plus confortable que chez les autres.

Lorsqu’un couple est sur le point d’avoir un enfant, l’humilité est associée à un moindre stress prénatal pour les parents, et ses effets perdurent même après la naissance.

Quels comportements sont liés à l’humilité ?

Être humble favorise des relations sociales moins empruntes d’hostilité. Ces résultats ne sont pas surprenants au regard de nombreux travaux montrant que le narcissisme est, quant à lui, un puissant facteur prédictif de conduites coercitives et parfois violentes.

Le suivi d’une cohorte de 1 200 enfants a par exemple indiqué que ceux qui avaient un bas niveau d’humilité avaient été plus enclins à commettre des agressions une année après le début de l’étude.

Ce qui rend les personnes humbles assez attachantes tient également au fait qu’elles s’avèrent plus altruistes, mais aussi plus disposées à accepter l’aide d’autrui. Elles accordent également plus d’intérêt aux opinions et visions du monde qui ne s’alignent pas avec les leurs.

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D’autres études complètent le tableau. Au travail, les personnes humbles sont moins enclines à instrumentaliser leurs collaborateurs, et les employés qui ont un dirigeant humble développent non seulement un plus grand sentiment de pouvoir personnel, mais produisent aussi un plus grand nombre d’idées innovantes.

Cependant, l’humilité d’un leader a parfois ses limites. Lorsqu’elle est extrême, il peut en résulter une impression d’incompétence. En outre, gare à l’humilité feinte, elle pourrait être perçue comme insincère ou pire : manipulatoire.

C’est probablement l’un des risques les plus évidents auxquels s’exposent les personnalités publiques lorsqu’elles parlent d’humilité : cette vertu risque de s’évanouir dès qu’elle est affichée.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Publié le  10 février 2023
Mis à jour le  10 février 2023