The Conversation : "Le potentiel oxydant : un nouvel indice pour mesurer la pollution atmosphérique"

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le  30 octobre 2025
Le périphérique parisien, haut lieu d’émissions de particules fines. Yann Vernerie/Shutterstock
Le périphérique parisien, haut lieu d’émissions de particules fines. Yann Vernerie/Shutterstock
Une étude d’ampleur inédite utilise un nouvel indicateur pour mieux évaluer les ravages des particules fines sur la santé : le potentiel oxydant.

Elle est à l’origine de 7 % des décès en France. La pollution atmosphérique est un fléau invisible, mais bien réel. Et pour s’attaquer à ce problème, il faut d’abord le mesurer.

C’est le travail de Cécile Tassel, doctorante à l’Université Grenoble-Alpes, et Gaëlle Uzu, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Ces géochimistes de l’atmosphère sont à l’origine d’une étude inédite tout juste parue dans la revue« Nature ». Elles y présentent un indicateur pour mesurer les dommages causés par les particules fines jusqu’ici peu utilisé : le potentiel oxydant.. En réunissant des données issues de 43 sites répartis dans toute l’Europe, les chercheuses ont constitué la base de données la plus complète jamais réalisée sur le sujet.

The Conversation : Jusqu’ici, les particules fines et la pollution atmosphérique étaient avant tout mesurées en fonction de leur diamètre et de leur concentration massique, avec les PM10 (masse cumulée de toutes les particules inférieures à 10 micromètres [µm]) et les PM2,5 (particules inférieures à 2,5 µm). Quelles sont les limites de ces mesures ?

Gaëlle Uzu et Cécile Tassel : Effectivement. En 1996, en France, la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie (dite loi Laure) a rendu obligatoire la mesure des particules fines, et l’indicateur réglementaire de référence a depuis lors été la concentration massique des particules en fonction de leur diamètre. La France était à l’époque pionnière, et l’UE s’est beaucoup inspirée de cette loi pour élaborer la directive européenne. Ces données sont bien sûr capitales, car nos poumons sont censés ne voir entrer et sortir que des flux de gaz lors de la respiration. Mais ces particules fines, de par leur taille, peuvent entrer dans les poumons et perturber le fonctionnement de ces organes. La taille est donc bien sûr très importante, comme la fréquence répétée d’exposition à ces particules.

Mais ces indicateurs ne nous disent pas tout. Car il y a des particules d’origine naturelle (celles des embruns marins, des volcans, des forêts, avec les végétaux qui émettent des polyols), et d’autres d’origine humaine, émises notamment par le trafic routier.

Donc si on regarde seulement la concentration massique, on peut trouver qu’un bord de mer a la même concentration de particules fines que Grenoble (Isère), une ville notoirement polluée en hiver en raison de sa position géographique de fond de vallée. Seulement, en bord de mer, ces particules seront essentiellement du sel, du magnésium qui auront plutôt un effet hydratant bénéfique sur nos poumons, tandis qu’en ville, ce sera plutôt des microgrammes (μg) émis par le trafic routier, qui n’auront pas du tout le même effet.

Pour avoir donc plus d’informations sur les caractéristiques physiques et chimiques des particules et leur dangerosité pour la santé, nous avons utilisé un autre indicateur : le potentiel oxydant.

Cet indicateur permet de mesurer le stress oxydatif dans les poumons. Ce stress est un mécanisme biologique qui signale un déséquilibre entre la quantité d’antioxydants, qui nous protègent, et les espèces réactives de l’oxygène, qui peuvent être libérées ou générées dans les poumons à la suite de l’inhalation de particules atmosphériques. En cas d’excès, un stress oxydatif croissant peut survenir, induire une inflammation des cellules pulmonaires et la mort de celles-ci. Il s’agit d’un mécanisme biologique clé dans l’apparition de maladies cardiovasculaires et respiratoires, qui font partie des premières causes de mortalité en France aujourd’hui.

Pour mieux comprendre et lutter contre ce fléau, nous avons donc réuni 11 500 mesures de potentiel oxydant issues de 43 sites répartis en Europe.

Du côté des institutions, ce nouvel indicateur a été recommandé dans la nouvelle directive européenne sur la qualité de l’air, fin 2024.

À vous écouter, tout cela paraît limpide. Pourquoi alors cet indicateur est-il si peu utilisé ?

G. U. et C. T. : Déjà, c’est un indicateur relativement récent. Il a d’abord été utilisé dans des travaux de chimistes japonais et américains au début des années 2000, mais leurs études sont restées confidentielles pendant des années. Il faut en fait attendre 2015 pour que des liens soient faits entre, d’un côté, la santé humaine et, de l’autre, les sources de pollution. À partir de là, on a pu intégrer cet indicateur dans des études épidémiologiques un peu plus larges. On a également pu modéliser les sources au niveau européen.

Comme ces mesures sont relativement nouvelles, il n’existe pas encore de protocole standardisé pour mesurer le stress oxydatif, donc les résultats ne sont pas toujours comparables d’une étude à l’autre. Pour avoir cependant une comparaison à grande échelle, nous avons réalisé nos 11 500 mesures en provenance de toute l’Europe avec le même protocole.

Concernant les antioxydants que l’on mesure, sur lequel il n’y a pas toujours non plus de consensus, nous avons décidé de réaliser deux types de test qui sont représentatifs de deux grandes familles d’antioxydants pulmonaires, et qui sont également les plus utilisés à ce jour dans la recherche.

Enfin, il n’existe pas encore d’appareil automatisé de mesure du potentiel oxydant en temps réel. Par ailleurs, modéliser cet indicateur est très coûteux en calcul.

Si l’on regarde maintenant du côté des sources de stress oxydatif, que constate-t-on ?

G. U. et C. T. : Les deux principales sources de stress oxydatif sont le trafic routier et le chauffage au bois. Pour le chauffage au bois, il est facile à détecter car, quand on brûle du bois, on brûle de la cellulose. Or, quand la cellulose brûle, elle crée des molécules de levoglucosan, et on ne connaît pas d’autres sources que la combustion du bois ou du charbon de bois qui en émettent. Donc quand on constate cette présence, on sait que c’est lié au chauffage au bois. Cela arrive généralement entre octobre et mars. Il arrive très rarement qu’on en mesure en été, et ce sera alors sans doute plutôt dû à des barbecues, mais cela reste très négligeable. Le stress oxydatif lié au trafic routier est lui présent en continu, avec bien sûr des pics lors des vacances scolaires par exemple, ou en fonction des jours de la semaine.

Avec toutes ces mesures d’ampleur inédite à l’échelle d’un continent, quels constats avez-vous pu faire qui étaient impossibles avec la seule mesure de la taille et de la concentration des particules fines ?

G. U. et C. T. : On a par exemple vu que les niveaux à Athènes (Grèce), où le préleveur est installé en face de l’Acropole, dans une zone plutôt boisée avait une concentration massique à peu près équivalente à celle d’une école de zone périurbaine d’une vallée alpine. Mais le potentiel oxydant est beaucoup plus élevé dans cette zone périurbaine du fait de sa topographie notamment, dans une vallée.

On a pu aussi constater que certains pics de concentration n’étaient pas tellement dus à des émissions locales, mais plutôt à des phénomènes météorologiques, comme des épisodes de poussières sahariennes. En tant que tel, le potentiel oxydant d’un microgramme de poussière du Sahara n’est pas très élevé, c’est plutôt l’accumulation qui est néfaste. Nos poumons ne sont pas faits pour recevoir de grandes quantités de poussières de sable par mètre cube d’air inhalé pendant plusieurs jours, ça les irrite.

Enfin, de façon plus globale, nous observons des niveaux de potentiel oxydant beaucoup plus élevés dans les sites de trafic proches des grandes voies routières que dans des sites ruraux ou même urbains. Ces différences ne sont pas aussi marquées lorsqu’on mesure seulement la concentration massique.

Mais la bonne nouvelle, c’est que l’on peut jouer sur les deux sources d’émissions principales à savoir le chauffage au bois non performant et le trafic routier. Nos simulations montrent qu’une réduction d’au moins 15 % des émissions de chacune de ces deux sources permet d’abaisser les niveaux urbains moyens de potentiel oxydant au niveau de ceux observés dans les zones urbaines les moins polluées.

Après cette publication d’ampleur inédite, quelles sont les prochaines étapes pour mieux comprendre le stress oxydatif et pour lutter contre la pollution atmosphérique ?

G. U. et C. T. : En publiant notre étude, nous avons proposé des valeurs cibles de potentiel oxydant à atteindre pour l’Europe et mis à disposition de tous notre base de données avec le code qui nous a permis de faire nos simulations de baisse des émissions. Elles peuvent donc désormais être répliquées à des niveaux plus locaux, pour fixer certains objectifs, réfléchir aux stratégies à mettre en place.

Plusieurs études tâchent également de modéliser spatialement le potentiel oxydant, mais c’est un volet de recherche toujours en cours. Des prototypes de mesures en ligne du potentiel oxydant sont aussi développés dans plusieurs laboratoires, dont l’Institut des géosciences de l’environnement (Isère), mais leur sensibilité ne dépasse pas encore les mesures en laboratoire.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Publié le  30 octobre 2025
Mis à jour le  30 octobre 2025