L’édition scientifique sous pression
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le 10 novembre 2023
De 2016 à 2022, le nombre d’articles scientifiques publiés dans le monde est passé d'environ 1,9 million par an à 2,8 millions, soit une augmentation de 47 %, alors que le nombre de chercheurs n'a guère évolué. Cette croissance exponentielle pourrait apparaitre comme une bonne nouvelle pour la science en permettant au plus grand nombre de chercheurs de publier et de confronter une plus grande diversité de résultats. En réalité, les pratiques de certains éditeurs mettent sous tension le secteur de l’édition scientifique. Un groupe de chercheurs internationaux a étudié les ressorts de cette évolution fulgurante.
Pour fournir un état des lieux de l’édition scientifique, Paolo Crosetto (INRAE, GAEL), Mark A. Hanson (université d’Exeter), Pablo Gómez Barreiro (Royal Botanic Gardens Kew) et Dan Brockington (université autonome de Barcelone) ont élaboré plusieurs indicateurs de tension en utilisant des données collectées via des sites web, ou obtenues sur demande auprès des éditeurs sur la totalité des articles indexés dans Scopus et Web of Science entre 2016 et 2022. Ces indicateurs décrivent la croissance de l’activité des éditeurs, les comportements en matière de citations et les délais de traitement des articles, c'est-à-dire le temps écoulé entre la soumission et l'acceptation qui comprend plusieurs relectures critiques par des spécialistes au cours d’un processus formalisé.
À partir de ces données, les chercheurs proposent une approche fondée sur les preuves scientifiques pour rendre compte de la pression existante dans le secteur et proposer des solutions concrètes pour la réduire et aboutir à un système de publication efficace et transparent. Leurs analyses permettent d’identifier les éditeurs qui ont le plus stimulé la croissance des publications et les pratiques éditoriales qui y contribuent.
La stratégie d'hébergement de numéros spéciaux, adoptée par des éditeurs comme MDPI, Frontiers et Hindawi, contribue particulièrement à cette croissance. Traditionnellement, les numéros spéciaux se focalisent sur un thème spécifique, le plus souvent pour valoriser les meilleurs travaux présentés lors d’un colloque ou traiter d'un sujet scientifique urgent. Toutefois, l’essor actuel des numéros spéciaux s’est accompagné d’une redéfinition de ce terme. Tels que pratiqués aujourd’hui, les numéros spéciaux mobilisent des rédacteurs invités qui actionnent leurs réseaux scientifiques pour attirer des contributions. Chez tous les éditeurs, les numéros spéciaux bénéficient de délais de traitement plus courts que ceux des numéros normaux, et parfois aussi, comme chez MDPI et Hindawi, de taux de rejet inférieurs à ceux des numéros réguliers.
Pour certains éditeurs la réduction des délais entre soumission et acceptation de l’article semble être une tendance de fond. L'étude a révélé que le délai de traitement moyen chez MDPI, qui est par ailleurs très homogène pour l'ensemble de ses revues, était d'environ 37 jours, comparé à 185 jours pour Nature ou 134 pour Elsevier. Une autre étude de 2022 confirmait cette tendance et évoquait des temps de traitement moyens ayant diminué de 150 jours en moyenne en 2011/12 à 137 en 2019/20. Cette rapidité de traitement, de la soumission à l'acceptation, en passant par les révisions, rend sceptique sur la possibilité d'évaluer correctement un article scientifique complexe.
Les indicateurs tels que le facteur d'impact (IF) développé par Clarivate peuvent être détournés. Ainsi, les auteurs de l’étude montrent, grâce à leur indicateur « d'inflation de l'impact », que tous les éditeurs, à des degrés divers, ont fait croitre artificiellement les mesures d'impact. Cela passe notamment par l'autocitation, quand les articles font référence à d'autres articles de la même revue ou du même éditeur. Si, en moyenne, les autocitations sont en baisse chez la plupart des éditeurs, certains d’entre eux comme MDPI, Frontiers et Hindawi ont enregistré une augmentation. Ce phénomène d’inflation généralisée des facteurs d'impact d'une année sur l'autre risque de brouiller les signaux de qualité et nuire à la crédibilité de la science.
À partir de ces données, les chercheurs proposent une approche fondée sur les preuves scientifiques pour rendre compte de la pression existante dans le secteur et proposer des solutions concrètes pour la réduire et aboutir à un système de publication efficace et transparent. Leurs analyses permettent d’identifier les éditeurs qui ont le plus stimulé la croissance des publications et les pratiques éditoriales qui y contribuent.
Les délais de publication réduits et le miracle des numéros spéciaux
L’étude révèle que certains groupes ont augmenté de manière disproportionnée le nombre d'articles publiés par an, exerçant par là une pression sur la production scientifique. Ainsi, l’éditeur Multidisciplinary Publishing Institute (MDPI) est à lui seul à l'origine d'environ 27 % de la croissance ajoutée depuis 2016, suivi par Elsevier (16 %), Frontiers (11 %), Springer (9,5 %), et Wiley (6,8%).La stratégie d'hébergement de numéros spéciaux, adoptée par des éditeurs comme MDPI, Frontiers et Hindawi, contribue particulièrement à cette croissance. Traditionnellement, les numéros spéciaux se focalisent sur un thème spécifique, le plus souvent pour valoriser les meilleurs travaux présentés lors d’un colloque ou traiter d'un sujet scientifique urgent. Toutefois, l’essor actuel des numéros spéciaux s’est accompagné d’une redéfinition de ce terme. Tels que pratiqués aujourd’hui, les numéros spéciaux mobilisent des rédacteurs invités qui actionnent leurs réseaux scientifiques pour attirer des contributions. Chez tous les éditeurs, les numéros spéciaux bénéficient de délais de traitement plus courts que ceux des numéros normaux, et parfois aussi, comme chez MDPI et Hindawi, de taux de rejet inférieurs à ceux des numéros réguliers.
Pour certains éditeurs la réduction des délais entre soumission et acceptation de l’article semble être une tendance de fond. L'étude a révélé que le délai de traitement moyen chez MDPI, qui est par ailleurs très homogène pour l'ensemble de ses revues, était d'environ 37 jours, comparé à 185 jours pour Nature ou 134 pour Elsevier. Une autre étude de 2022 confirmait cette tendance et évoquait des temps de traitement moyens ayant diminué de 150 jours en moyenne en 2011/12 à 137 en 2019/20. Cette rapidité de traitement, de la soumission à l'acceptation, en passant par les révisions, rend sceptique sur la possibilité d'évaluer correctement un article scientifique complexe.
L'inflation de l'impact
L'augmentation soudaine du nombre d'articles publiés a créé ce que les auteurs appellent « l'inflation de l'impact ». Apprécier « l'impact » d'une revue revient à rendre compte de sa visibilité au travers d’indicateurs de performance basés sur des mesures telles que les citations. Si les articles d'une revue sont fréquemment cités par d'autres, elle est considérée comme ayant un impact élevé. C'est important pour les scientifiques, car l'impact d'une revue peut être utilisé comme critère d’évaluation quantitative de la recherche et/ou d’attribution des subventions par des bailleurs de fonds.Les indicateurs tels que le facteur d'impact (IF) développé par Clarivate peuvent être détournés. Ainsi, les auteurs de l’étude montrent, grâce à leur indicateur « d'inflation de l'impact », que tous les éditeurs, à des degrés divers, ont fait croitre artificiellement les mesures d'impact. Cela passe notamment par l'autocitation, quand les articles font référence à d'autres articles de la même revue ou du même éditeur. Si, en moyenne, les autocitations sont en baisse chez la plupart des éditeurs, certains d’entre eux comme MDPI, Frontiers et Hindawi ont enregistré une augmentation. Ce phénomène d’inflation généralisée des facteurs d'impact d'une année sur l'autre risque de brouiller les signaux de qualité et nuire à la crédibilité de la science.
Quelles solutions pour l’édition scientifique de demain ?
L'objectif de cette étude était d’apporter une analyse scientifique et quantitative de la situation actuelle pour éclairer le débat sur l’édition scientifique mondiale. Les auteurs restent impartiaux et indiquent les premières pistes d’actions qui se dégagent grâce à leur diagnostic. Ils plaident pour davantage de transparence dans le système de publication scientifique et pointent le rôle essentiel des bailleurs de fonds et des organismes de recherche qui pourraient développer des stratégies visant d’une part à décourager la multiplication des numéros spéciaux, et d’autre part à réduire la pression sur les scientifiques soumis à une injonction à publier.Au printemps 2023, INRAE a publié un guide Bonnes pratiques pour atteindre 100 % de publications librement accessibles en 2030.
Ce guide précise en synthèse :
Tout scientifique reste libre de choisir ses supports de publications quel que soit leur modèle économique. L’institut formule cependant des conseils aux auteurs pour que leurs résultats soient librement accessibles notamment en déposant le texte intégral de leurs publications dans HAL INRAE, en mettant également à disposition les données et les codes (résultats reproductibles). De plus, il conseille d’appliquer certains principes pour limiter les dépenses liées à la publication et alerte sur les pratiques des éditeurs douteux.
Depuis 2023, l’évaluation-conseil et les promotions des chercheurs s’appuie sur la version librement accessible des articles publiés dans les revues scientifiques, via la liste des productions exportée de HAL INRAE.
Télécharger le guide
Ce guide précise en synthèse :
Tout scientifique reste libre de choisir ses supports de publications quel que soit leur modèle économique. L’institut formule cependant des conseils aux auteurs pour que leurs résultats soient librement accessibles notamment en déposant le texte intégral de leurs publications dans HAL INRAE, en mettant également à disposition les données et les codes (résultats reproductibles). De plus, il conseille d’appliquer certains principes pour limiter les dépenses liées à la publication et alerte sur les pratiques des éditeurs douteux.
Depuis 2023, l’évaluation-conseil et les promotions des chercheurs s’appuie sur la version librement accessible des articles publiés dans les revues scientifiques, via la liste des productions exportée de HAL INRAE.
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La science ouverte à l'UGA
À l'automne 2022, en cohérence avec le contexte national et international de la science ouverte et avec son engagement de longue date en faveur de la science ouverte, l'UGA a adopté à l'unanimité une charte science ouverte et un schéma directeur "données de la recherche".
Dans ces deux textes fondateurs, plusieurs recommandations émergent :
· déposer ses publications dans HAL ou dans toute autre archive ouverte et privilégier, autant que possible, la publication dans des revues sans frais pour les lecteurs et pour les auteurs (modèle diamant)
· partager ses données autant que possible, notamment dans des entrepôts de données, selon les principes FAIR (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable)
· diffuser les codes et logiciels produits pour la recherche
L'objectif est de mettre à disposition de la communauté l'ensemble de la production scientifique de l'UGA et de lier publications, données et codes, notamment grâce à l'usage des identifiants comme Orcid.
Un dispositif d'accompagnement personnalisé et au plus près des besoins (équipe HAL UGA, Cellule Data Grenoble Alpes, etc) permet à la communauté d'adopter ces recommandations de manière concrète et et de faire de la science ouverte une pratique quotidienne. Pour découvrir les services proposés, voir le site Science ouverte UGA
À l'automne 2022, en cohérence avec le contexte national et international de la science ouverte et avec son engagement de longue date en faveur de la science ouverte, l'UGA a adopté à l'unanimité une charte science ouverte et un schéma directeur "données de la recherche".
Dans ces deux textes fondateurs, plusieurs recommandations émergent :
· déposer ses publications dans HAL ou dans toute autre archive ouverte et privilégier, autant que possible, la publication dans des revues sans frais pour les lecteurs et pour les auteurs (modèle diamant)
· partager ses données autant que possible, notamment dans des entrepôts de données, selon les principes FAIR (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable)
· diffuser les codes et logiciels produits pour la recherche
L'objectif est de mettre à disposition de la communauté l'ensemble de la production scientifique de l'UGA et de lier publications, données et codes, notamment grâce à l'usage des identifiants comme Orcid.
Un dispositif d'accompagnement personnalisé et au plus près des besoins (équipe HAL UGA, Cellule Data Grenoble Alpes, etc) permet à la communauté d'adopter ces recommandations de manière concrète et et de faire de la science ouverte une pratique quotidienne. Pour découvrir les services proposés, voir le site Science ouverte UGA
Publié le 10 novembre 2023
Mis à jour le 18 décembre 2023
Mis à jour le 18 décembre 2023
Références
Hanson M. A., Barreiro P. G., Crosetto P., Brockington D. (2023).
The Strain on Scientific Publishing.
https://t.co/4mitceMZAh
Les auteurs de l'étude n'ont reçu aucun financement pour ce travail. Elle est librement accessible en tant que prépublication sur la plateforme arXiv.org.
The Strain on Scientific Publishing.
https://t.co/4mitceMZAh
Les auteurs de l'étude n'ont reçu aucun financement pour ce travail. Elle est librement accessible en tant que prépublication sur la plateforme arXiv.org.