Jonctions Josephson en régime d’effet Hall Quantique : l'émergence d'une ère de dispositifs supraconducteurs révolutionnaires

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le  29 novembre 2023
Dans un article paru le 29 novembre 2023 dans la revue Nature, une équipe de recherche internationale, comprenant des scientifiques de l'Université Grenoble Alpes et du CNRS a annoncé une percée dans le domaine de la physique quantique des circuits supraconducteurs. La découverte révèle l'émergence d'un supercourant d'électrons aux propriétés exceptionnelles au sein de jonctions Josephson* soumises à un fort champ magnétique, en plein régime d'effet Hall quantique.
Les chercheurs ont relevé le défi complexe d'associer deux phénomènes quantiques emblématiques de la matière condensée : l'effet Hall quantique et la supraconductivité. L'effet Hall quantique, se manifestant dans des systèmes électroniques bidimensionnels de hétérostructures semiconductrices sous champ magnétique intense, représente un environnement particulièrement hostile à la supraconductivité, surtout à l'effet Josephson. Ce dernier se produit lorsque deux supraconducteurs transfèrent leur supraconductivité à travers une fine barrière isolante ou métallique. De telles jonctions Josephson sont extrêmement sensibles et vulnérables face à un tel champ magnétique et sont généralement détruites par quelques centaines de milli-teslas de champ magnétique.

Malgré ces défis, les physiciens ont démontré l'existence d'un supercourant Josephson aux propriétés inédites circulant entre deux électrodes supraconductrices, reliées par un nano-ruban de graphène en régime d'effet Hall quantique. Ce supercourant, transporté de manière inhabituelle le long des bords du nano-ruban de graphène, forme une boucle chirale dont le sens de rotation dépend du signe du champ magnétique. Des mesures électriques réalisés en conditions extrêmes (à une température de 0.01° au-dessus du zéro absolu et un champ magnétique jusqu’à 8 teslas, soit 170 000 le champ magnétique terrestre) ont confirmé que cette boucle est sujette à des interférences quantiques, avec une périodicité en flux magnétique quantifiée et égale à h/e (h représentant la constante de Planck et e la charge de l'électron), caractéristique unique de la nature chirale de ce supercourant.

Cette avancée marque une étape cruciale dans l'exploration des dispositifs supraconducteurs. Elle ouvre la voie à des dispositifs supraconducteurs dans les états corrélés de l'effet Hall quantique fractionnaire pouvant générer une nouvelle supraconductivité dite topologique présentant des états quantiques insensibles aux phénomènes de décohérence qui limite les ordinateurs quantiques. Ces dispositifs promettent non seulement d'élargir notre compréhension fondamentale de la matière, mais également d'offrir des applications potentielles révolutionnaires dans le domaine de l'informatique quantique et des technologies supraconductrices avancées.

La supraconductivité topologique pour le calcul quantique

La découverte récente du supercourant chiral dans les jonctions Josephson en régime d'effet Hall quantique, grâce à l'utilisation de nanorubans de graphène étroits, ouvre la voie à des avancées significatives dans deux domaines clés de la physique quantique : la supraconductivité topologique et le calcul quantique. La supraconductivité topologique est une propriété quantique qui émerge dans certains matériaux supraconducteurs ou certaines jonctions Josephson. Dans les supraconducteurs classiques, le courant électrique circule sans résistance à l'intérieur du matériau.

Cependant, la supraconductivité topologique va au-delà en introduisant des états électroniques particuliers appelés états topologiques. Ces états sont caractérisés par des propriétés topologiques qui leur confèrent une robustesse particulière contre les perturbations externes, notamment les phénomènes de décohérence. Cette propriété ouvre la voie à des dispositifs quantiques topologiques exploitant les états topologiques pour créer et manipuler des qubits de manière plus stable et moins sensible aux erreurs quantiques. Cela pourrait potentiellement résoudre l'un des défis majeurs du calcul quantique : la préservation de la cohérence quantique sur de longues périodes.
*La jonction Josephson est l'un des systèmes les plus étudiés en physique de la matière condensée. Elle consiste en deux supraconducteurs séparés par une fine couche isolante ou un métal non supraconducteur, qui agissent comme une barrière entre eux. Dans un supraconducteur, le courant circule sans dissipation grâce aux « paires de Cooper », ces paires d’électrons qui s’apparient quantiquement grâce aux vibrations du réseau atomique. La couche non supraconductrice de la jonction Josephson constitue pour ces paires une barrière, mais si elle est suffisamment fine, elles peuvent la traverser grâce à l’effet tunnel quantique, ce qui donne lieu à un certain nombre de phénomènes physiques remarquables. Lorsque cette barrière est remplacée par un semiconducteur bi-dimensionnel comme une couche de graphène portée en régime d’effet Hall quantique par un champ magnétique perpendiculaire, les paires de Cooper sont transmises par les canaux de bord de l’effet Hall quantique (canaux rouges et bleus). Ce dernier transporte ces charges de façon unidirectionnelle -- chiral – formant ainsi une boucle sujette à des interférences quantiques.
Publié le  29 novembre 2023
Mis à jour le  30 novembre 2023