Le management contemporain impose à l’entreprise un rythme spécifique — celui de la mobilisation infinie décrite par Peter Sloterdijk. L’entreprise moderne est une machine cinétique, fondée sur l’utopie du mouvement perpétuel : se transformer sans cesse, innover toujours, anticiper. Le mouvement devient la norme, et l’immobilité une faute. Or, cette cinétique généralisée façonne aussi une temporalité existentielle. L’individu y est pris dans une tension narrative permanente : il doit sans cesse se raconter, se projeter, se “réinventer”. Le récit managérial condense la vie dans un présent contracté fait de notifications, de tweets, d’informations en continu où le temps de la réponse devient la mesure de la valeur. La performance, c’est la capacité à comprimer le présent, à réduire l’écart entre la sollicitation et la réaction. Le management devient ainsi une rythmique syncopée qui organise la cadence de nos existences. Face à cette hégémonie du rythme productif, certaines figures apparaissent comme des dissonances temporelles. Le chômeur, par exemple, incarne celui dont le tempo n’est plus au diapason du management. Son temps se dilate : il devient “hors-rythme” et de fait socialement disqualifié. Comme l’a montré Hartmut Rosa, cette désynchronisation entre le rythme individuel et le rythme social est l’une des sources majeures de l’aliénation contemporaine. Ainsi, penser les rythmes du management, c’est interroger les formes de récit qu’il impose : récit de la performance, de la mobilité, de l’innovation et les modalités d’un autre tempo du récit.

L'intervenant

Sociologue de formation (Sciences Po Paris, doctorat en sciences humaines à l'ENS, Harvard), Vincent Petitet se définit comme un "être hybride" qui fait dialoguer sciences humaines et monde de l'entreprise. Chercheur associé au CNRS de 2009 à 2018, il a travaillé sur la domestication des individus dans les organisations au jour de l'œuvre de Sloterdijk, Anders, Foucault, Derrida et Rosa. Il est notamment l'auteur de cinq ouvrages, allant du management au cinéma de Visconti, jusqu'à une relecture de l'œuvre de Michel Foucault quarante ans après sa disparition (Michel foucault en son Escurial). Il a occupé des fonctions de direction dans des grands groupes et des institutions publiques (Arthur Andersen, AXA, EPA Paris-Saclay) et, aujourd'hui consultant indépendant, accompagne des dirigeants dans la conduite du changement et le management par le récit. Boxeur passionné et pratiquant la méditation tibétaine depuis vingt ans, il explore les sensations comme voies privilégiées vers des expériences de résonance.

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