Les paysages alpins d’aujourd’hui reflètent les hivers très enneigés d’autrefois

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le  15 décembre 2025
Enneigement de début d’été dans le vallon de Roche Noire à proximité du col du Lautaret, un site modèle dans lequel les dynamiques couplées de l’enneigement et de la végétation sont étudiées de très près dans le cadre des activités de recherche et d’obser
Enneigement de début d’été dans le vallon de Roche Noire à proximité du col du Lautaret, un site modèle dans lequel les dynamiques couplées de l’enneigement et de la végétation sont étudiées de très près dans le cadre des activités de recherche et d’observation du Jardin du Lautaret. Copyright : Philippe Choler/ CNRS - LECA et Jardin du Lautaret.
Si nous savons déjà que les périodes d’enneigement en milieu montagnard étaient plus longues avant les années 1980, nous en connaissons moins les conséquences écologiques. Une étude publiée dans la revue Communications Earth & Environnement vient de montrer que les traces laissées par ces hivers jadis très enneigés sont encore bien visibles dans les paysages actuels des Alpes.
En montagne, la diminution de la durée d’enneigement saisonnier due au réchauffement climatique entraîne un allongement de la saison de croissance des plantes. Dans les conditions les plus extrêmes, un seuil peut être franchi si la saison sans neige dépasse les deux mois, une durée considérée comme minimale pour la formation des sols et l’installation durable des plantes. Toutefois, les scientifiques ignorent à quels endroits et à quelles périodes ces conditions favorables au développement de la végétation se sont mises en place, et quelles ont pu être les conséquences de ces basculements sur la distribution du vivant et les paysages actuels.

À partir de données recueillies sur le site Lautaret-Roche noire, situé dans les Alpes, une équipe de chercheurs des laboratoires d’écologie alpine (LECA-OSUG, CNRS/UGA/USMB), d’Environnement, dynamique et territoires des montagnes (EDYTEM-OSUG, CNRS/USMB), du Centre d’études spatiales de la biosphère (CESBIO), l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE-OSUG, CNRS/UGA/IRD/INRAE/Grenoble INP-UGA) et du Jardin du Lautaret (Lautaret – CNRS/UGA), montre que l’accélération du réchauffement climatique à partir des années 1980 a provoqué, dans de nombreuses zones situées au-dessus de 2300 m d’altitude, le dépassement du seuil de deux mois sans neige.
Les reconstructions microclimatiques indiquent que, durant les deux siècles précédant cette accélération, les conditions étaient défavorables au développement de la vie à cette altitude. Bien que ces endroits y soient depuis devenus favorables, ils restent marqués par les longues périodes d’enneigement, le développement des sols et d’une végétation d’alpage nécessitant bien plus que 40 ou 50 ans. Ainsi, cette dernière reste clairsemée et seules des espèces pionnières sont présentes. Les caractéristiques observées aujourd’hui d’un écosystème en émergence résultent davantage des conditions d’enneigement passées que des effets des conditions actuelles.

Par ailleurs, les chercheurs ont estimé que, dans les Alpes, les surfaces ayant franchi le seuil critique de deux mois sans neige sont équivalentes à celles occupées par les glaciers. En revanche, à la différence de ces derniers, ces surfaces sont plus également réparties et se retrouvent dans chaque haute vallée alpine, y compris là où aucun glacier n’existe aujourd’hui ou n’a existé par le passé.

Végétation pionnière de pentes longuement enneigées à proximité du Pic Blanc du Galibier (Hautes-Alpes) vers 2800 m d’altitude. Cet écosystème en émergence présente encore un sol peu développé et une végétation clairsemée, des caractéristiques qui sont l’
Végétation pionnière de pentes longuement enneigées à proximité du Pic Blanc du Galibier (Hautes-Alpes) vers 2800 m d’altitude. Cet écosystème en émergence présente encore un sol peu développé et une végétation clairsemée, des caractéristiques qui sont l’héritage des hivers jadis très enneigés © Philippe Choler / CNRS

Pour mieux saisir les conséquences et enjeux de ces changements, deux pistes d’étude sont envisagées. D’une part, il s’agit de déterminer dans quelle mesure ces écosystèmes en émergence jouent un rôle de refuge pour la biodiversité de haute montagne, dans un contexte marqué par la multiplication des épisodes de canicule et de sécheresses estivales. D’autre part, une étude similaire à l’échelle de l’ensemble des montagnes d’Europe et du bassin méditerranéen permettrait de comparer l’importance des effets d’héritage dans des situations climatiques et écologiques très différentes. Ces travaux s’inscrivent dans une volonté de rapprocher les sciences du climat, des sols et de la biodiversité ; l’enneigement saisonnier et la vie en montagne s’avérant étroitement liés.
 
En résumé
- Le réchauffement climatique a entraîné la disparition de nombreux névés tardifs dont l’accumulation de neige limitait auparavant le développement des sols et des plantes.
- À la place des anciens névés, seule une maigre végétation a réussi à se développer progressivement, nécessitant plus de 40-50 ans pour constituer une vraie prairie d’alpage.
- La répartition des plantes et des sols sur ces espaces reflète davantage l’héritage des conditions d’enneigement passées que les effets des conditions actuelles.
 
Publié le  15 décembre 2025
Mis à jour le  15 décembre 2025