Éducation aux médias et à l'information : quelle place dans l'enseignement supérieur ?

Définition, enjeux, acteurs, initiatives : nous vous proposons un large panorama sur l'éducation aux médias et à l'information (EMI), de l'école à l'université.
Chaque année, la « Semaine de la presse et des médias dans l’école » permet aux enseignants de primaire, de collège et de lycée, d’aborder l’univers des médias et les enjeux de l’information avec leurs élèves. Les objectifs de cet événement fixés par le CLEMI (Centre pour l’éducation aux Médias et à l’Information), qui est en charge de l’éducation aux médias dans l’ensemble du système éducatif français, visent à amener les élèves à « comprendre le système des médias, former leur jugement critique, développer leur goût pour l'actualité et se forger leur identité de citoyen » 1.

Si l’éducation aux médias et à l'information (EMI) est bien inscrite dans les programmes scolaires du primaire et du secondaire depuis 2006, sa place dans l’enseignement supérieur aujourd’hui est moins balisée. Or, face à la forte fréquentation des médias de masse et des réseaux sociaux par les étudiants, à l’instantanéité de l’information et à la possibilité pour chacun de diffuser du contenu sur le web, la formation à la recherche d’une information fiable et la sensibilisation à la responsabilité de tous dans sa diffusion semblent être des questions d’une grande actualité à l’université.

Que recouvre l'éducation aux médias et à l'information et quels en sont les principaux enjeux ? Y a-t-il une continuité autour de ces questions entre le secondaire et le supérieur ? Qui sont les acteurs de l’EMI dans le supérieur ? Quelles initiatives existent déjà à l’université ? Nous vous proposons d'aborder ces questions au fil de cet article, à travers un large panorama sur l'éducation aux médias et à l'information, de l'école à l'université.

Naissance et évolution de l'EMI

L’accès permanent à une information instantanée et mondiale, la multiplication des vecteurs d’information et des sources, la possibilité de créer du contenu sur le web mais aussi un certain climat de défiance envers les médias, la parole institutionnelle ou scientifique 2…  Ces tendances liées au développement du web et aux usages qui y sont associés, conduisent à un enrichissement formidable du débat démocratique, au libre partage d’informations et de ressources, mais aussi à certaines dérives comme la propagation de « fake news ».

Depuis plus de 30 ans, constatant que les médias représentent un élément important de la culture contemporaine, l'UNESCO s'est emparé de la question de l'éducation aux médias et à l'information afin de permettre  d’ « assurer à tous le plein et égal accès à l’éducation, la libre poursuite de la vérité objective et le libre échange des idées et des connaissances » 3 .

L'arrivée d'internet et la naissance d'une information globalisée ont amené les institutions internationales à multiplier les actions et recommandations. L'UNESCO a également encouragé la recherche scientifique dans ce domaine afin de définir les contours de l'EMI ou MIL en anglais (media and information literacy).

Les 5 lois de l'EMI
Source : UNESCO, Les cinq lois de l'éducation aux médias et à l'information

Depuis une quinzaine d'années, avec le développement galopant du numérique, c'est l'Union Européenne qui pousse ses états membres à intégrer l'éducation aux médias et à l'information dans les programmes scolaires, du premier degré au supérieur.

En France, l'EMI à l'école est associée au « parcours citoyen », visant à faire de chacun un acteur de la démocratie, éclairé et responsable. Elle intègre en 2006 le « socle commun » que chaque élève doit avoir acquis en fin de collège et fait partie de la loi de refondation de l'école de 2013. Elle apparaît à nouveau en 2016 dans le « nouveau socle commun », avec des objectifs précis comme le traitement et la hiérarchisation de l'information, l'éthique des réseaux sociaux ou les principes de base des algorithmes 4.

L'EMI dans les programmes - Le CLEMI
Source : Le CLEMI, L'éducation aux médias et à l'information dans les programmes (extrait)

Les trois dimensions de l'éducation aux médias et à l'information

Démarche de formation transversale, qui peut accompagner l'apprenant de l'école primaire aux études supérieures, l'éducation aux médias et à l'information recouvre plusieurs aspects. Les principales instances nationales et internationales (UNESCO, Union Européenne, Ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la Recherche, CNRS, CLEMI, Conseil supérieur de l'éducation aux Médias...) concernées par l'EMI en livrent des définitions multiples, qui se rejoignent cependant autour de grandes notions communes.

De manière générale, comme l'indique le CESE (conseil économique social et environnemental) il s'agit d'« acquérir, sans pour autant devenir des professionnels, des connaissances et des compétences [...] permettant de s’informer, d’émettre, de diffuser, d’analyser et de partager des informations de façon responsable. » 5

Selon l'ouvrage Cultures de l'information, coordonné par Vincent Liquète, l'éducation aux médias et à l'information comporte trois dimensions :
« - Une dimension cognitive (connaissance des principes de production, de communication et de signification des médias de masse) ;
- Une dimension sociale (formation à l'esprit critique, à l'expression citoyenne et conscience du rôle des médias dans le fonctionnement de la démocratie) ;
- Une dimension technique (maîtrise des outils de communication). » 6

La dimension cognitive est effectivement abordée par de nombreuses sources. L'EMI doit permettre à l'élève de connaître et de comprendre l'univers des grands médias, d’acquérir une certaine culture de la presse et de savoir lire et décrypter une information ou une image. C'est donc tout d'abord une compétence de lecture de l'information et de compréhension de son contexte de diffusion qui est amenée.

La dimension sociale de l'EMI vise au développement de l'esprit critique et à la garantie de la liberté d'expression. Être capable de prendre du recul sur un message médiatique, de se construire une opinion et d'utiliser l'information de manière responsable et éclairée constitue un enjeu fort de l'EMI. On ne s'adresse plus seulement à un « apprenant » mais bien à un citoyen amené à s'exprimer au sein d'une société démocratique. L'UNESCO insiste particulièrement sur la nécessaire compréhension « du rôle et de la fonction des médias […] dans nos vies personnelles et dans les sociétés démocratiques » et sur la critique que nous pouvons en faire. Selon elle, l'EMI « promeut les droits des individus à communiquer et à s'exprimer, et à rechercher, recevoir et diffuser des informations et des idées. Elle encourage l'évaluation des médias et des autres diffuseurs d'information en interrogeant leurs modes de productions, les messages qu'ils diffusent et le public qu'ils ciblent. » 7

La recherche d'infos est une enquête - Mélissa Antoyé
Source : "La recherche d'info est une enquête", dessin de Mélissa Antoyé, DAPI, UGA

Certaines sources étendent plus largement l'usage éclairé et responsable des médias et d'internet à une éducation aux droits et aux devoirs liés à l'utilisation des outils numériques et aux pratiques actuelles sur les réseaux sociaux. Savoir utiliser le numérique, les médias et le web pour s'en protéger et protéger les autres est aussi une thématique importante de l'EMI, à l'heure du big data et du cyber-harcelement.

Enfin, si la dimension technique ressort moins dans les textes, elle fait partie intégrante de l'EMI afin de former les citoyens de demain à l'écriture et à la diffusion de leurs propres messages. Cet aspect créatif peut passer par exemple par la découverte du processus de fabrication d'un journal, par la conception d'un blog ou d'un site web...

De l'EMI à l'Information Literacy

L'éducation aux médias et à l'information telle que nous l'avons décrite, s'inscrit dans la notion anglo-saxonne plus large de « Information Literacy ». Difficile à traduire en français, ce terme consacré en 1989 par l'American Library Association est défini par l'Office québecois de la langue française comme « un ensemble de compétences permettant de reconnaître l’existence d’un besoin d’information, d’identifier l’information adéquate, de la trouver, de l’évaluer et de l’exploiter en relation avec une situation donnée, dans une perspective de résolution de problème […]. » 8

D'autres travaux élargissent cette notion avec les éléments suivants :
- « ajout des notions de pensée critique, d’éthique, de droit ;
- question du lien avec les disciplines ;
- notions de citoyenneté, formation tout au long de la vie, lien entre les bibliothèques scolaires et les autres bibliothèques. Importance de ne pas limiter l’IL aux étudiants et de ne pas couper cette activité de la vie quotidienne. » 9

Au-delà du public scolaire ou universitaire, ces « compétences informationnelles » semblent aujourd'hui indispensables à chaque citoyen. Chacun doit pouvoir, dans n'importe quel domaine, identifier un besoin d’information, trouver et sélectionner une info, puis l’évaluer pour finalement l’utiliser.

 En 2007, dans une volonté d'approfondir cette notion d' « information literacy » par des travaux de recherche, l'UNESCO publie une « Introduction à la maîtrise de l’information » rédigée par Forest Woody Horton. L'auteur propose en annexe de ce document, un schéma du cycle d'acquisition de la maîtrise de l'information constitué de 11 étapes. Ces étapes, associées à des  ressources, outils, contextes et résultats, vont de la prise de conscience de « l’existence d’un besoin ou problème dont la solution nécessite de l'information » à la capacité de « se défaire de l’information qui n’est plus nécessaire et préserver celle qui doit être protégée » 10.

Quelle place pour l'EMI à l'université ?

Si la place de l'EMI en tant qu'enseignement transversal est aujourd'hui bien balisée en France de la maternelle au lycée, son insertion dans les différents cursus universitaires reste plus floue.

Déjà en 2005, dans le Bulletin des Bibliothèques de France, Sylvie Chevillotte faisait état des principaux axes de réflexion au niveau mondial sur la place de l' « information literacy » (IL) dans le supérieur. La collaboration entre les enseignants, les professionnels de l'information et les bibliothécaires était posée en « préalable à la réussite de l'IL en milieu universitaire ». Le contenu des programmes précisant les liens possibles entre les disciplines enseignées et l' « information literacy » était aussi au cœur de la réflexion. Enfin, « la reconnaissance institutionnelle de la nécessité de l'IL » était recherchée afin de faciliter son développement. 11

Au niveau mondial, certains pays précurseurs, comme les États-Unis, l'Australie ou le Canada, ont défini, depuis une vingtaine d'années, un premier cadre à l'EMI dans l'enseignement supérieur. Ces normes ont servi de base à d'autres pays pour encadrer l'éducation aux médias et à l'information dans leur propre système universitaire, en restant toutefois très générales.

Ainsi, plusieurs référentiels ont été créés par les universités françaises sur la base des normes australiennes ou québécoises par exemple. Au début des années 2000, l'Université Grenoble Alpes (à l'époque il s'agissait d'un groupe de travail émanant du service inter-établissements de coopération documentaire de l'Université Stendhal et de l'Université Pierre Mendes-France) fut l'un des premiers pôles universitaires français à proposer un « Référentiel de compétences documentaires pour le métier d'étudiant - 1er cycle universitaire -» 12 afin d'assurer une continuité avec les référentiels établis pour l'enseignement secondaire. Ce travail a été suivi et repris par d'autres, notamment en 2012, avec le « Référentiel de compétences informationnelles » 13  rédigé par une commission regroupant une dizaine d'universités françaises coordonnées par l'ADBU (association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation).

Quant au lien avec les attendus universitaires par cursus de formation, il est présent dans les « Référentiels de compétences des mentions de licences » où des compétences informationnelles sont mentionnées pour chaque discipline , sous le titre « compétences transversales et linguistiques ».
Cette trame est commune à chaque mention de licence :
« Utiliser les outils numériques de référence et les règles de sécurité informatique pour acquérir, traiter, produire et diffuser de l’information ainsi que pour collaborer en interne et en externe.
•Identifier et sélectionner diverses ressources spécialisées pour documenter un sujet.
•Analyser et synthétiser des données en vue de leur exploitation.
•Développer une argumentation avec esprit critique.
•Se servir aisément des différents registres d’expression écrite et orale de la langue française.
•Se servir aisément de la compréhension et de l’expression écrites et orales dans au moins une langue vivante étrangère » 14

Quant à la reconnaissance institutionnelle de la nécessite de développer l'EMI dans l'enseignement supérieur voire plus largement, elle pourrait être en bonne voie suite à la publication par le CESE en 2019 de 19 préconisations concernant l'EMI, destinées aux ministères et collectivités concernées. Le CESE propose en particulier l’élargissement à tous les publics de la portée des actions du CLEMI et autres acteurs de l'EMI, et suggère le lancement d'un appel à projets à destination des étudiants, des adultes et des personnes âgées. Il préconise par ailleurs que l'action « phare » qu'est « La semaine de la presse et des médias dans l'Ecole »  devienne « La Semaine des médias et de l'information pour toutes et tous », avec un volet scolaire et un volet grand public. 15

La formation des enseignants : la clé pour développer l'EMI ?

Le panorama (non exhaustif) que nous venons de réaliser, fait état des différentes mentions et évolutions concernant l'EMI dans l'enseignement supérieur, dans les textes officiels. Nous constatons l'importance du rôle des universités elles-mêmes dans la définition d'un cadre et la création d'outils. Cependant, l'éducation aux médias et à l'information reste un enseignement transversal, qui repose largement dans les faits sur l'engagement des enseignants, leur volonté et leur capacité à l'inscrire ou non dans leurs cours.

Certains enseignants sont sensibilisés à ces questions et parviennent à établir un lien naturel avec leur discipline. Pour d'autres, qui se sentiraient moins armés, la question de la formation et des outils disponibles est déterminante. Il faut aussi trouver le temps et l'espace pour introduire ces questions dans son enseignement. Enfin, l'apprentissage de la critique reste un sujet délicat, à la frontière entre vie professionnelle et personnelle, qu'il faut pouvoir porter en tant qu'enseignant. 16

L'EMI - Dessin de Matthieu Collignon
Source : "L'EMI à l'université", dessin de Matthieu Collignon, DAPI, UGA

Nous avons pu noter plus haut le rôle central des bibliothèques universitaires et des services de documentation dans la réflexion et la mise en place d'un cadre à l'EMI dans l'enseignement supérieur, voire au-delà. Aujourd'hui, les bibliothèques universitaires semblent aussi être de réels « passeurs » de savoirs et de bonnes pratiques quant à la recherche documentaire et au traitement de l'information, en proposant des ressources, et parfois, une offre de formation dédiée aux enseignants et aux étudiants.

A l'Université Grenoble Alpes, par exemple, les BU proposent une courte formation aux enseignants nouvellement nommés, dont une partie concerne le partenariat pédagogique possible à la demande des enseignants, sur les questions d'information, de média, de validation de l'information, de lutte contre les fake-news... Elles proposent aussi une sélection de ressources en ligne pour faciliter la recherche informationnelle. La question de l'EMI est par ailleurs aujourd'hui au cœur de la formation professionnelle des bibliothécaires.
D'autres acteurs au sein des Universités, comme le collectif Cortecs à Grenoble par exemple, peuvent aussi proposer des formations pour les enseignants ou les doctorants. Au niveau international, on peut à nouveau mentionner l'UNESCO qui a publié en 2012 un programme de formation pour les enseignants très complet.

En une trentaine d'années, la réflexion sur l'éducation aux médias et à l'information a fait son chemin auprès des institutions et des acteurs de l'enseignement, en tentant d'apporter des clés adaptées aux enjeux de chaque époque traversée. Du questionnement sur la place des médias de masse dans les années 1980, aux échanges d'informations numériques globalisés, l'EMI doit encore trouver sa place dans le système éducatif et universitaire français pour permettre à chacun de devenir un citoyen responsable, conscient de son époque.
Il semble que la mise en place généralisée de l'EMI dans les universités françaises passera par une reconnaissance institutionnelle de sa nécessité, une structuration au niveau national et par le développement plus large d'actions de sensibilisation et de formation déjà initiées localement par certains acteurs, comme les BU ou des collectifs d'enseignants. La question de la formation des bibliothécaires et des enseignants est au cœur de cette stratégie de diffusion de l'EMI, qui reste pour l'instant en grande partie soumise à la bonne volonté de ces acteurs.
Pourtant, dans des amphis où une majorité d'étudiants prend des notes sur ordinateur et a un accès instantané au web, on constate plus que jamais la nécessité du développement des compétences informationnelles et de l'esprit critique. Comment amorcer cette réflexion en cours pour les enseignants qui le souhaitent ? Quels outils ont-ils à disposition ?

Nous vous proposons quelques pistes de réponses et des exemples d'initiatives dans la suite de l'Infusion pédagogique #4 !
Retrouvez notamment notre série de podcasts "L'EMI & Moi" et notre sélection de ressources pratiques pour faire de l'EMI à l'université et approfondir la question.

 
Références bibliographiques

1 - Le CLEMI. (s. d.). Semaine de la presse et des médias dans l’école

2 ; 5 ; 15 - Conseil Economique Social et Environnemental. (2019). Les défis de l’éducation aux médias et à l’information - Avis du CESE - Note de synthèse

3 ; 7 - UNESCO, Wilson, C., Grizzle, A., Tuazon, R., Akyempong, K., & Cheung, C. K. (2011). Education aux médias et à l’information: programme de formation pour les enseignants (Vol. 1)

4 - Corroy, L. (2019, janvier 21). L’éducation aux médias, une nécessité ?

6 - Liquète, V. (2014). Cultures de l’information. Paris, France : CNRS.

8 ; 9 ; 11 - Chevillotte, S. (2005). Bibliothèques et Information Literacy, un état de l’art. Bulletin des Bibliothèques de France, (2)

10 - UNESCO, & Horton, F. W. (2008). Introduction à la maîtrise de l’information

12 - Référentiel « EruDist », aucun lien fonctionnel accessible au 14/06/2021

13 - Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU). (2012). Référentiel de compétences informationnelles

14 - Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la Recherche. (2015). Référentiels de compétences des mentions de licence

16 - Lehmans, A. (2019, mars 17). Pour éduquer à l’information, être un « digital native » ne suffit pas
 
Mis à jour le  28 juin 2021