Climat et inondations : une étude internationale menée dans les Alpes nous éclaire sur les liens entre réchauffement climatique et crues

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le  27 janvier 2022
Crue du torrent du Vorz en août 2005, massif de Belledonne - Photo : Dominique Thillet
Crue du torrent du Vorz en août 2005, massif de Belledonne - Photo : Dominique Thillet
Une équipe internationale animée par un scientifique de l’Institut des géosciences et de l’environnement de Grenoble (IGE – UGA/Grenoble-INP-UGA/CNRS/IRD), a étudié des sédiments lacustres et reconstitué des chroniques de crues survenues au cours des périodes froides et chaudes de l’ère industrielle, du dernier millénaire et de l’Holocène. Cette étude paléohydrologique publiée dans Nature Géosciences le 27 janvier 2022 montre que régionalement le risque de crue pourrait globalement décroître avec le réchauffement climatique, à l’exception de certains petits bassins versants de montagne où les crues extrêmes pourraient être plus fréquentes. Ces résultats apportent un nouvel éclairage pour mieux appréhender le phénomène d’inondations extrêmes dans les Alpes.
Les crues sont un risque naturel omniprésent - coûteux en termes humains et économiques - que le changement climatique pourrait exacerber. Cette évolution est particulièrement préoccupante dans les zones montagneuses telles que les Alpes qui sont particulièrement sensibles au changement climatique comme en atteste leur taux de réchauffement plus élevé que celui de l’hémisphère nord. De plus le risque hydrologique y est déjà élevé en raison de la forte densité de population et de l’occurrence de crues soudaines favorisée par les processus hydrométéorologiques associés à la forte topographie.
 
Pour tester l'impact encore incertain qu’une période climatique plus chaude pourrait avoir sur la fréquence et l'ampleur des crues dans les Alpes, des scientifiques français, suisses, allemands et italiens ont étudié des sédiments lacustres et reconstitué des chroniques de crues survenues durant diverses conditions climatiques passées sur 33 sites différents dans les Alpes européennes.
 
 Au cours d’une crue, l’augmen­tation du débit entraîne une impor­tante érosion des matériaux qui sont transportés par le cours d’eau. Plus à l’aval, les matériaux sont piégés dans les lacs où ils forment des dépôts caractéristiques, appelés « dépôts de crues ». Ces dépôts sont parfaitement préservés au cours des millénaires. En réalisant des carottages comme cela se pratique dans la glace, les scientifiques peuvent prélever, identifier et dater les dépôts de crues pour reconstituer les changements de fréquence et d’intensité des crues à travers le temps.
 
Pas moins d’une trentaine de chroniques remontant jusqu’à 10 000 ans, ont ainsi pu être produites, dont les données viennent d’être compilées afin d’analyser les changements de fréquence des grandes crues (temps de retour ≥ 10 ans) au cours des périodes froides et chaudes de l’ère industrielle, du dernier millénaire et de l’Holocène. Les résultats de cette compilation démontrent qu'un réchauffement de + 0,5-1,2°C, qu'il soit d’origine naturel ou anthropique, a conduit à une diminution de 25-50 % de la fréquence des grandes crues. Cette tendance à la baisse n'est pas concluante dans les enregistrements couvrant moins de 200 ans mais elle apparaît persistante dans ceux allant de 200 à 9 000 ans. La même analyse a été conduite sur les crues extrêmes (temps de retour ≥ 100 ans). Contrairement à la diminution généralisée des grandes crues pendant les périodes chaudes, l’évolution des crues extrêmes révèlent des tendances différentes en fonction des bassins versants. En particulier, il apparaît que les crues extrêmes soient plus fréquentes dans certains petits bassins versants de montagne lors des périodes chaudes.
 
Les résultats obtenus montrent donc que régionalement le risque de crue pourrait globalement décroître avec le changement climatique, à l’exception de certains petits bassins versants de montagne où les crues extrêmes pourraient être plus fréquentes. Il conviendra donc d’étudier davantage l’évolution du risque dans ces petits bassins versants, jusqu’ici peu considérés. Plus généralement, ces travaux montrent comment des reconstitutions paléohydrologiques permettent de démêler les relations complexes entre le climat et les inondations et d’améliorer l'évaluation et la gestion des risques à l'échelle locale et régionale.

Bruno Wilhelm nous explique la technique d’analyse des sédiments lacustres pour mener des études paléohydrologiques


Un épisode de la série vidéo Flash réalisée par l'Observatoire des Sciences de l'Univers de Grenoble (OSUG) sur les réseaux sociaux. Des vidéos courtes de vulgarisation scientifique sur les thématiques Terre, Univers et Environnement.
Publié le  27 janvier 2022
Mis à jour le  10 février 2022