Rencontre avec Gerhard Krinner, directeur de recherche CNRS à Grenoble et l’un des auteurs du dernier rapport du GIEC
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le 18 octobre 2021
Modélisateur du climat polaire, Gerhard Krinner est directeur de recherche CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE - CNRS / IRD / UGA – Grenoble INP-UGA) au sein de l’équipe Climat-Cryosphère-Hydrosphère. Il travaille
actuellement sur des méthodes de corrections de biais pour les projections climatiques et il a coordonné la section « Climat global » du Résumé Technique du rapport du GIEC publié le 9 août 2021.
Vous avez contribué à la rédaction du dernier rapport du GIEC. Pouvez-vous d’abord nous rappeler brièvement qu’est-ce que le GIEC ?
Le GIEC c’est le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (en anglais Intergovernmental Panel on Climat Change), créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) pour servir de base scientifique aux négociations climatiques. Le GIEC fait une évaluation régulière des travaux scientifiques consacrés aux changements climatiques qui doit permettre aux décideurs de connaître les conséquences et les risques et d’envisager des stratégies d’adaptation et d’atténuation. Les dirigeants de tous les états ayant ratifié la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique s’appuient sur les différents rapports du GIEC lors des Conférences des Parties (COP) qui les réunissent chaque année depuis la conférence fondatrice de Rio en 1992 qui faisait suite au 1er rapport du GIEC publié en 1990.Le rapport publié le 9 août 2021 est en fait le 1er volet du 6e rapport du GIEC. Combien de volets composent un rapport du GIEC ?
Il s’agit du 6e cycle de rapport du GIEC, le dernier cycle datant de 2014. Pour chaque rapport le GIEC est constitué de trois groupes de travail : le groupe de travail I pour lequel je fais partie des 31 auteurs coordonnateurs parmi les 234 auteurs internationaux et qui se charge des bases physiques de l’évolution du climat, le groupe de travail II qui étudie les impacts et l’adaptation, et le groupe de travail III qui traite des mesures d’atténuation du changement climatique. Chaque groupe rédige un rapport de 1 500 pages environ, puis un résumé technique d’une centaine de pages et enfin un résumé à l’intention des décideurs politiques, qui contient l’essentiel en une quinzaine de pages. Ce résumé est ensuite discuté phrase par phrase lors d’une réunion entre les scientifiques et les représentants des États. Pour ce rapport du groupe I, cette réunion a eu lieu exceptionnellement en visioconférence à cause de la pandémie de COVID-19 qui a considérablement retardé la publication du rapport initialement prévue en avril 2021. Les rapports des groupes II et III seront publiés dans quelques mois et seront suivis du rapport de synthèse qui sera publié fin 2022. Ce rapport de synthèse, beaucoup plus court - une soixantaine de pages, compilera les travaux des trois groupes de travail et sera lui aussi complété par un résumé d’une quinzaine de pages à l’intention des décideurs politiques.Quelle a été l’implication grenobloise pour ce rapport ?
Les rapports des trois groupes sont divisés en chapitres. Pour ma part j’ai participé à la rédaction du chapitre 9 sur l’océan, la cryosphère et le changement du niveau des mers. J’ai également coordonné la rédaction du résumé technique et je fais partie des quelques auteurs (une dizaine d’auteurs de chaque groupe de travail) qui rédigeront le rapport de synthèse à la fin. Ma collègue Olga Zolina, maître de conférences Université Grenoble Alpes à l’IGE, a contribué quant à elle au chapitre 8 sur les changements du cycle de l'eau. Enfin, Arona Diedhiou, directeur de recherche IRD à l’IGE a également participé à ce rapport en tant qu’éditeur-réviseur du chapitre 8. Son rôle était de s’assurer que les auteurs répondent et prennent en compte l’ensemble des commentaires (plus de 78 000 pour ce rapport). Il était également l’un des auteurs du rapport spécial « Réchauffement planétaire de 1,5 °C » publié en 2018. La rédaction d’un rapport du GIEC dure environ 3 ans.En quoi consistent les projections climatiques qui constituent les rapports du GIEC ?
Une projection climatique est basée essentiellement sur des modèles de climat. C’est un peu comme les modèles de prévisions météorologiques, sauf que ces modèles simulent des périodes beaucoup plus longues. Comme on ne sait pas comment vont évoluer les émissions de gaz à effet de serre, puisqu’elles dépendent de nos futures décisions politiques, individuelles, etc. les scientifiques sont obligés de faire des hypothèses. On fait donc plusieurs hypothèses qu’on appelle des scénarios. Il y a plusieurs types de scénarios : le scénario extrême pour lequel on considère qu’on abandonne l’accord de Paris et donc toutes les mesures d’atténuation qu’il prévoit ; le scénario plus réaliste qui consiste à se contenter d’implémenter les engagements actuels des états pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ; ou encore le scénario le plus vertueux qui prévoit de réduire complètement les émissions de gaz à effet de serre et d’arriver à la neutralité carbone en 2050. De ces scénarios on en déduit des projections climatiques, à 2,7°C ou 3°C de réchauffement en 2100 pour celui qui correspond à peu près aux engagements chiffrés des états, ou à environ 1,5°C pour le plus vertueux - sachant qu’aujourd’hui on est déjà à plus 1,1° par rapport à la période préindustrielle. On peut évaluer les projections climatiques faites par le passé, par exemple celle faite par le GIEC dans son 1er rapport en 1990 : si on regarde le scénario qui s’est réalisé entre 1990 et aujourd’hui, celui qui nous a amené à la concentration de CO2 observée aujourd’hui (410 ppmv pour une concentration naturelle de 280 ppmv), on observe que les projections qui ont été faites pour celui-là, prédisaient très bien l’augmentation du niveau des mers et l’augmentation globale des températures qu’on a observées entre 1990 et 2020.Comment doit-on interpréter le fait que, plus de 30 ans après le 1er rapport, le GIEC soit toujours d’actualité et publie un 6e rapport en 2022 ?
En ce qui concerne, ce que l’on sait sur le réchauffement climatique, et les projections climatiques, le message du GIEC n’a pour l’essentiel pas beaucoup changé depuis 30 ans, mais il est aujourd’hui beaucoup plus détaillé au niveau régional, beaucoup plus certain. Avec l’évolution des moyens de calcul, on arrive aujourd’hui à faire des projections climatiques beaucoup plus précises avec des résolutions spatiales plus élevées dans nos modèles de climat. Par ailleurs les progrès scientifiques théoriques nous ont amenés entre le dernier rapport et celui-là à réduire les incertitudes sur ce qu’on appelle la sensibilité du climat, ou plus simplement comment va réagir le climat en fonction de l’augmentation de CO2. Il y a encore de grandes incertitudes mais il est évident, on l’observe déjà, que les événements extrêmes - notamment les vagues de chaleur et les précipitations extrêmes - vont augmenter partout. Le GIEC a d’ailleurs fait cette fois-ci un atlas interactif qui permet de voir ces projections climatiques au niveau régional. Par contre ce qui a changé depuis 30 ans, c’est l’attribution des changements observés à l’activité humaine : c’est aujourd’hui une certitude. Pour l’essentiel, on voit bien qu’on a perdu 30 ans depuis le 1er rapport, car il aurait été plus facile de commencer tôt avec les réductions des émissions. Aujourd’hui, si on veut limiter à moins de 2°C le réchauffement climatique global, cela implique de réduire de 2% du niveau actuel les émissions de gaz à effet de serre pendant les cinquante prochaines années, ce qui est énorme. Par exemple la crise du COVID-19, en 2020, a mené à une réduction de 7% des émissions de gaz à effet de serre et ce n’était pas une partie de plaisir pour personne car tout s’est arrêté violemment. Évidemment on ne va pas pouvoir enrayer le changement climatique par un arrêt généralisé comme cela, ce qui nous donne une idée de la taille du défi à relever.Quelle est la prochaine étape après le rapport de synthèse de 2022 ?
À priori il va y avoir un 7e cycle d’évaluation du GIEC, mais sa forme reste à définir. Il y a beaucoup de personnes qui disent que le modèle actuel avec ces gros rapports d’évaluation a bien vécu et qu’il demande notamment une trop forte disponibilité des chercheurs. Mais ce modèle défini par l’ONU n’est pas évident à réformer et il est possible que le 7e rapport aura donc la même forme que le 6e mais je n’ai pas l’intention d’y participer. Je l’ai fait deux fois, la 1re fois en 2013 pour le 1er volet du 5e rapport, pour lequel j’ai eu un rôle beaucoup moins exposé puisque j’étais seulement auteur d’un chapitre sur les projections climatiques à long terme. À l’époque cela m’a occupé 20% de mon temps pendant quelques années mais cette fois-ci c’était beaucoup plus lourd, parfois 100% de mon temps. D’ailleurs pour la plupart des auteurs du rapport du 1er groupe c’est fini, mais pour ma part je vais être encore bien occupé pendant un an.
Publié le 18 octobre 2021
Mis à jour le 3 novembre 2021
Mis à jour le 3 novembre 2021