Une information optimale sur l'invisible

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le  29 janvier 2021
Cible derrière une vitre de salle de bain. Lorsque que la lumière est déviée par une structure désordonnée, il devient difficile de connaitre précisément la position de la cible. Les auteurs de cette étude présentent une procédure qui permet d’atteindre l
Cible derrière une vitre de salle de bain. Lorsque que la lumière est déviée par une structure désordonnée, il devient difficile de connaitre précisément la position de la cible. Les auteurs de cette étude présentent une procédure qui permet d’atteindre la précision de mesure optimale dans ces situations compliquées.
Comment mesurer des objets qui ne peuvent pas être vus dans des circonstances normales ? Des chercheurs de l'université d'Utrecht, de TU Wien et de l'Université Grenoble Alpes ouvrent la voie à de nouvelles possibilités en utilisant des ondes lumineuses particulières.
La lumière d’un laser peut être utilisée pour mesurer avec précision la position ou la vitesse d'un objet. Cependant, il faut généralement avoir une vue claire et dégagée de cet objet - et cette condition n'est pas toujours remplie. En biomédecine, par exemple, il est souvent nécessaire d’examiner des structures qui sont incluses dans des environnements irréguliers. Le faisceau laser y est dévié, diffusé et réfracté, ce qui empêche l’acquisition de données utilisables sur ce type de structures.

Les chercheurs Dorian Bouchet (actuellement à l’Université Grenoble Alpes), Stefan Rotter (TU Wien, Autriche) et Allard Mosk (Université d’Utrecht, Pays-Bas) ont pu montrer que des mesures probantes peuvent être réalisées même dans ces environnements complexes. En effet, il existe un moyen de modifier le faisceau d’un laser afin qu'il fournisse exactement l’information souhaitée malgré la présence d’un environnement qui peut être complexe et désordonné. De plus, cette procédure ne fonctionne pas de manière approximative, mais de manière optimale au sens physique du terme : la nature ne permet pas d'obtenir une meilleure précision de mesure avec la lumière cohérente d’un laser. Cette nouvelle technologie est utilisable dans des domaines d'application variés, impliquant même différents types d'ondes, et a fait l'objet d'une publication dans la revue scientifique Nature Physics.

Du vide et une vitre de salle de bain

"Il est toujours souhaitable d’obtenir la meilleure précision de mesure possible - c'est dans la nature même de toutes les sciences naturelles", explique Stefan Rotter, de TU Wien. "Prenons par exemple le dispositif LIGO, qui permet de détecter les ondes gravitationnelles. Des faisceaux laser sont dirigés vers des miroirs, et de faibles variations de distance entre le laser et les miroirs peuvent être mesurées avec une précision extrême". Cette approche fonctionne uniquement car les faisceaux se propagent dans un vide très poussé. Toute perturbation, aussi minime soit-elle, doit être évitée.

Mais que peut-on faire face à des perturbations qui ne peuvent pas être éliminées ? "Imaginons une plaque de verre qui n'est pas transparente, telle qu’une vitre de salle de bain", explique Allard Mosk de l'université d'Utrecht. "La lumière peut passer à travers, mais pas en ligne droite. Les ondes lumineuses sont altérées et diffusées, de sorte que vous ne pouvez pas voir avec précision un objet de l'autre côté de la vitre". La situation est assez similaire lorsque qu’il s’agit d’examiner de minuscules objets situés à l'intérieur de tissus biologiques. L'environnement désordonné perturbe le faisceau lumineux et, d’un faisceau simple et régulier, il en ressort un motif d'ondes compliqué qui est dévié dans toutes les directions.

Une onde optimale

Cependant, si l’on connaît exactement l’action de l'environnement perturbateur sur le faisceau lumineux, il est possible d’inverser la situation, c’est-à-dire de générer une structure d'onde compliquée au lieu d’utiliser un simple faisceau laser. En choisissant la bonne structure d’onde, celle-ci prend exactement la forme souhaitée lors de son interaction avec l’environnent perturbateur, et se dirige alors à l’endroit même où elle peut donner le meilleur résultat. "Pour y parvenir, vous n'avez pas réellement besoin de savoir précisément quelles sont ces perturbations", explique Dorian Bouchet, le premier auteur de l'étude. "Il suffit simplement d'envoyer au préalable une série d'ondes test à travers le système pour étudier comment celles-ci sont modifiées par le système".

Les chercheurs impliqués dans ce travail ont développé conjointement une procédure mathématique utilisable pour calculer les structures d’ondes optimales à partir de ces données test : "Il est possible de démontrer que certaines structures d’ondes fournissent une quantité d’information maximale pour une propriété physique donnée, par exemple si l’on s’intéresse aux coordonnées spatiales caractérisant la position d’un objet." C’est notamment le cas pour un objet caché derrière une vitre en verre dépoli : il existe une structure d’onde optimale qui peut être utilisée pour obtenir une quantité d’information maximale sur le fait que l'objet se soit déplacé légèrement sur la droite ou sur la gauche. Cette structure d’onde est d’apparence compliquée et désordonnée, mais elle est ensuite modifiée par le verre dépoli de telle sorte qu'elle arrive jusqu’à l'objet exactement de la manière souhaitée, et renvoie la plus grande quantité possible d’information à l’appareil de mesure.

Expériences laser à Utrecht

L’efficacité de la méthode a été confirmée expérimentalement à l'université d'Utrecht. Des faisceaux laser ont été dirigés à travers un milieu désordonné constitué par une lame de verre dépoli. La diffusion de la lumière dans le milieu a ainsi été caractérisée, puis les structures d’ondes optimales ont été calculées afin d'analyser un objet situé derrière la lame – avec succès, la précision obtenue étant de l'ordre du nanomètre.

Les chercheurs ont ensuite effectué d'autres mesures pour tester les limites de leur nouvelle méthode. Le nombre de photons présents dans le faisceau laser a été réduit drastiquement, afin de vérifier si des mesures probantes pouvaient encore être réalisées dans ces conditions. Ils ont ainsi montré non seulement que la méthode est efficace, mais qu'elle est aussi optimale au sens physique du terme. "La précision de notre méthode n'est limitée que par le bruit dit quantique", explique Allard Mosk. "Ce bruit résulte du fait que la lumière est constituée de photons – rien ne peut être fait pour supprimer ce bruit. Mais dans les limites de ce que la physique quantique permet de réaliser avec le faisceau cohérent d’un laser, nous pouvons calculer les structures d’ondes optimales pour mesurer diverses propriétés physiques : non seulement la position, mais aussi le mouvement ou le sens de rotation des objets étudiés".

Cette étude a été réalisée dans le cadre d'un programme d'imagerie de matériaux semi-conducteurs à l'échelle nanométrique, issu d’une collaboration entre des universités et des acteurs industriels. Les domaines d'application possibles de cette nouvelle technologie incluent en effet la microbiologie mais également la production de circuits intégrés, qui nécessite la réalisation de mesures précises à l’échelle du nanomètre.

Au lieu d’utiliser un faisceau laser simple et régulier afin d’estimer la position d’un objet caché à l’intérieur d’un environement désordoné (tel que représenté sur la partie haute de la figure), la procédure optimale fonctionne en appliquant un motif st
Au lieu d’utiliser un faisceau laser simple et régulier afin d’estimer la position d’un objet caché à l’intérieur d’un environement désordoné (tel que représenté sur la partie haute de la figure), la procédure optimale fonctionne en appliquant un motif structuré au faisceau laser incident, produisant ainsi d’obtenir une quantité d’information maximale sur l’objet caché et permettant une estimation précise de sa position (voir partie basse de la figure).
Publié le  29 janvier 2021
Mis à jour le  1 février 2021