Quels processus à l’origine de la formation du plateau du Tibet ? Détermination de la structure crustale du chevauchement de Muli

le  21 septembre 2021
Plateau Tibétain © Paul Pitard Isterre / OSUG
Plateau Tibétain © Paul Pitard Isterre / OSUG
Le plateau Tibétain est le plus grand et le plus haut plateau du monde. La compréhension de ses processus de formation, encore fortement débattus aujourd’hui, est cruciale pour mieux appréhender les mécanismes de déformation des continents, qui sont à l’origine des séismes parmi les plus destructeurs du globe sur les continents.
Résultant de la collision entre l’Inde et l’Eurasie, initiée il y a environ 50 millions d’années [Ma], le Tibet est l’endroit parfait pour étudier la déformation des continents. Mais l’étude des ces processus de formation est complexe, représentant un vrai challenge scientifique et technique.

Les chercheurs de l’Institut des Sciences de la Terre (ISTerre / OSUG - UGA, CNRS, USMB, IRD, Univ. Gustave Eiffel) se sont intéressés au rôle des failles chevauchantes [1] du Sud-Est du Tibet, mieux préservées car à l’écart de la collision frontale. Ils ont choisi le chevauchement de Muli, une structure majeure dans la construction du plateau, avec un saut topographique d’environ 2000 m, formant la limite Sud-Est du plateau.

La modélisation de datations thermochronologiques, inédite par son ampleur spatiale et sa profondeur, dans le bloc supérieur de la faille a permis de quantifier dans le temps et dans l’espace la remontée de roche vers la surface (exhumation) depuis 50 Ma. Ainsi, plus on se rapproche de la faille, plus l’on observe un rajeunissement des âges de la roche, soulignant une exhumation de roche plus forte liée au soulèvement le long du chevauchement. Les chercheurs ont testé en 3D différents scénarios d’exhumation susceptibles de reproduire les âges obtenus.

Le modèle reproduisant le mieux ces âges montre une faille abrupte (>70°) dans la croûte supérieure, cohérente avec les observations de terrain, qui s'aplatit en profondeur (≥20 km). L’exhumation le long du chevauchement est rapide (0,6 ± 0,08 km/Ma) depuis environ 12,5 Ma, après une phase plus lente (0,2 ± 0,06 km/Ma) débutée il y a 50 Ma. Ainsi depuis l’initiation de la collision Inde/Asie, l’exhumation totale le long de la faille est d’environ 15 km [2]

Crédit: Pitard et al., 2021
Structure crustale de la faille de Muli déduite de la modélisation de datations thermochronologiques. En surface, la faille marque un important saut topographique définissant la limite Sud-Est du Tibet. En profondeur, la variation des vitesses des ondes S de part et d'autre de la faille à 50 km (Yao et al., 2008) souligne son implication dans la croute inférieure visqueuse. Crédit: Pitard et al., 2021
 
Néanmoins, ces modèles ne permettent pas de contraindre la profondeur d’enracinement de la faille, les données thermochronologiques enregistrant seulement l’évolution thermique de la croûte supérieure. Mais la corrélation entre la faille de Muli et le saut de la profondeur du moho suggère que ce chevauchement n’est pas seulement une structure dans la croûte supérieure cassante, mais se prolonge dans la croûte inférieure visqueuse (au-dessous de 20-25 km), épaississant ainsi l’ensemble de la croûte au cours de la collision.

La prochaine étape est de mieux comprendre cette interaction entre la croute supérieure cassante, dans laquelle se produisent les séismes destructeurs, et la croute profonde, qui s’épaissit sans activité sismique.
 
Notes :
[1] - Une faille qui soulève le bloc supérieur.
[2] -  Cette exhumation a subi un phénomène d’érosion en continue au cours des dernières 50 Ma, et l’altitude actuelle moyenne du Tibet est d’environ 4200 m, bien moindre que ces 15 km maximums sans érosion.
Publié le  21 septembre 2021
Mis à jour le  21 septembre 2021