Les globules rouges se contorsionnent pour notre santé !

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le  6 janvier 2023
Des chercheurs, dont certains du Laboratoire interdisciplinaire de physique (LiPhy - CNRS/UGA), ont montré que la déformabilité des globules rouges est un ingrédient essentiel pour assurer leur diffusion homogène dans le réseau terminal des vaisseaux sanguins, quand le diamètre de ceux-ci est à peine plus grand que la taille des globules. Ces résultats sont publiés dans la revue Physical Review Letters.

La bonne circulation des globules rouges (GR dans la suite du texte) dans l’organisme est une question essentielle au bon fonctionnement du corps humain, car outre leur fonction bien connue de véhicules de l’oxygène respiré, ils transportent également de nombreux métabolites comme l’ATP, destinés à être livrés in fine aux organes via le réseau terminal des tout petits vaisseaux sanguins (les capillaires), dont le diamètre est à peine plus grand que la taille des globules eux-mêmes.

La loi de transport des GR dans ces microvaisseaux est restée très mal connue pendant des décennies. L’image classique qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui supposait que dans chaque branche du réseau vasculaire l’écoulement sanguin ne dépendait pas de son trajet antérieur dans les vaisseaux sanguins en amont : les fluctuations thermiques, les désordres locaux de l’écoulement étaient supposés rendre les trajectoires aléatoires et les globules choisir aux intersections leur direction au hasard.

Dans un travail réalisé au Laboratoire interdisciplinaire de physique (LiPhy, CNRS / Université Grenoble Alpes), en collaboration avec l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse (IMFT, CNRS / Toulouse INP / Université Toulouse – Paul Sabatier), et le Laboratoire ondes et matière d'Aquitaine (LOMA, CNRS / Université de Bordeaux), des chercheurs proposent un modèle qui précise, voire remet partiellement en question ce dogme. En effet, quand l’écoulement concerne les capillaires sanguins, ils montrent que la turbulence n’est plus opérante pour rendre chaotique le transport de particules individuelles rigides, qui sont alors advectées par l’écoulement de façon très prédictive, le long des lignes de courant. Quand une particule se présente à un carrefour, portée par la partie du flot qui se destine à « tourner à gauche » par exemple, elle va sans surprise faire de même si sa forme est suffisamment circulaire ou sphérique. Les chercheurs notent cependant qu’une forme rigide suffisamment allongée et asymétrique est susceptible de donner aux particules un esprit de contradiction à chaque carrefour et lui faire prendre une direction différente de celle du flot dans laquelle elle baigne majoritairement ! Ceci dit, cette opposition est systématique et induit de fait une trajectoire beaucoup plus prévisible et donc potentiellement dangereuse s’il s’agit de porter des nutriments de façon homogène dans un réseau de capillaires. La moindre sélectivité dans la distribution des GR dans le flot risque en effet de se traduire en aval par des inhomogénéités de répartition et d’induire un stress biologique dans des organes insuffisamment approvisionnés en GR.

La portée de ce travail ne se limite pas uniquement aux globules rouges, mais reste valable pour toute particule déformable, comme les gouttes, les capsules, et les cellules à noyau (comme celles du système immunitaire ou les cellules cancéreuses). Cette étude pourrait donc aider à mieux comprendre les propriétés de transport d’un large éventail de systèmes, et guider par exemple la conception de circuits microfluidiques pour les biotechnologies lab-on-a-chip pour diagnostics et tris cellulaires. 

Trajectoires typiques des particules (de la gauche vers la droite).Légende : Trajectoires typiques des particules (de la gauche vers la droite).
En noir, une particule sphérique rigide: initialement (tout à gauche) dans la partie supérieure du canal, elle impacte la première bifurcation légèrement au-dessus et continue donc dans le canal supérieur. Elle reste ensuite près de cette paroi (absence de force de décollement pour un objet rigide), de telle sorte qu'à la prochaine bifurcation (tout à droite) elle impacte la paroi inférieure, et ainsi de suite, suivant ainsi un zig-zag périodique parfait.
En bleu, un globule rouge peu flexible: initialement (tout à gauche), tout en baignant majoritairement dans la partie supérieure du canal, son nez protubérant pointe vers le bas (le centre du canal) et à la première bifurcation le globule choisit le chemin vers le bas, ce qui le conduira ensuite, de manière déterministe, vers une trajectoire balistique systématiquement vers le bas. Noter qu’il lui faut parcourir deux segments pour revenir sur un comportement périodique.
En rouge, le globule rouge flexible: grâce à sa flexibilité une force latérale due au cisaillement le pousse efficacement vers le centre à la seconde bifurcation ce qui lui confère la même probabilité de tourner à gauche ou à droite à chaque bifurcation.).
Crédit : Chaouqi Misbah, chercheur CNRS au LiPhy
Lire l'article complet sur le site de l'Institut national de physique du CNRS
Publié le  14 février 2023
Mis à jour le  14 février 2023