Le neutrino stérile n'existe pas

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le  12 janvier 2023
Illustration de l'expérience STEREO réalisée par Loris Scola. La vue en coupe du détecteur montre les différentes couches de blindage mises en place pour atténuer le bruit de fond extérieur. Le cœur du détecteur est constitué de 6 cellules identiques disp
Illustration de l'expérience STEREO réalisée par Loris Scola. La vue en coupe du détecteur montre les différentes couches de blindage mises en place pour atténuer le bruit de fond extérieur. Le cœur du détecteur est constitué de 6 cellules identiques disposées entre 9 et 11 m du cœur compact de l’ILL, rendu visible ici par l’intense lumière Cerenkov qu’il induit dans l’eau de la piscine du réacteur. Les interactions des neutrinos induisent d’infimes flashs lumineux dans le liquide scintillant qui remplit les cellules, dont les murs réfléchissants permettent de collecter la lumière jusqu’aux photomultiplicateurs installés au sommet. Au-dessus de STEREO un large canal, rempli de 6 m d’eau et connecté à la piscine offre une protection cruciale contre les rayonnements cosmiques.
La collaboration Stereo, composée de chercheurs du CEA, du CNRS, de l’Université Grenoble Alpes (UGA), de l’Université Savoie Mont Blanc (USMB), de l’Institut Laue-Langevin (ILL) et de l’Institut allemand MPIK Heidelberg, n’a pas trouvé trace de neutrino stérile pendant ses six années de mesure. Un résultat qui a des implications dans de nombreux domaines de la physique. Leur étude est publiée le 12 janvier dans Nature.
Les physiciens de la collaboration Stereo sont formels : s’il y a bien une anomalie dans les neutrinos émis par les réacteurs nucléaires, le neutrino stérile n’en est pas la cause. Formée de chercheurs du CEA, du CNRS, de l’UGA, de l’USMB, de l’ILL et de l’Institut allemand MPIK Heidelberg, cette collaboration a traqué pendant six ans cette particule, sans en trouver la trace, grâce à une expérience unique étudiant les neutrinos issus du réacteur nucléaire de l’ILL.

Cette expérience met fin à des années de questionnement. L’existence du neutrino stérile est en effet une extension naturelle du modèle standard élaboré par les physiciens des particules depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Cette particule, permettrait d’expliquer des phénomènes physiques encore incompris, comme la matière noire, et les physiciens ont cru en déceler la trace dans plusieurs expériences auprès de réacteurs nucléaires, sous la forme d’un déficit de neutrinos issus de la fission par rapport à la prédiction.

Pour tester sans ambiguïté cette hypothèse des neutrinos stériles et déterminer leurs propriétés, les chercheurs de la collaboration Stereo se sont tournés vers une source de neutrinos très intense et contrôlée, le réacteur à haut flux de l’ILL à Grenoble. À seulement dix mètres du cœur du réacteur, ils ont placé une série de six détecteurs identiques, bénéficiant d’un savoir accumulé grâce à plusieurs générations d’expériences. Isolés de l’environnement extérieur, ces détecteurs étaient idéalement placés pour chercher, avec une précision inédite, la signature des neutrinos stériles : au-delà d'un simple déficit en neutrinos standards, des changements dans leur distribution en énergie devaient apparaître. « Ce déficit des neutrinos de réacteurs renforçait d’autres anomalies observées dans d’autres expériences. Le neutrino stérile ouvrait potentiellement la voie à une nouvelle physique et nous le pensions à portée de mesure ; nous nous sommes totalement investis dans cette quête », explique David Lhuillier, physicien au CEA et porte-parole de l’expérience. Pendant 4 ans, de 2017 à 2020, suivis de deux années d’étude des données, 107 558 neutrinos ont ainsi été observés, mais sans trace d’un neutrino stérile.

Restait à expliquer d’une autre manière le déficit, toujours présent, de neutrinos émis lors des désintégrations radioactives des produits de fission. La précision des mesures de Stereo est telle que l’équipe pointe vers une autre direction : ce sont non pas les expériences détectant les neutrinos mais les données nucléaires utilisées pour la prédiction des désintégrations qui seraient biaisées.

La distribution en énergie des neutrinos de la fission de l’uranium 235 fournie par Stereo devient ainsi une donnée de référence, qui motive un vaste programme de réévaluation des émissions bêta des produits de fission décrits dans les bases de données nucléaires. Ce programme permettra, par exemple, de comprendre avec une précision accrue les phénomènes à l’œuvre lors d’un arrêt de réacteur actuel ou futur. Les résultats de Stereo posent également des bases solides pour les prochaines générations d’expériences auprès des réacteurs, pour une possible surveillance des réacteurs par la mesure des neutrinos émis, pour étudier la hiérarchie de masse de ces neutrinos ou encore tester encore plus loin le modèle standard à basse énergie.

Stereo est une expérience franco-allemande conçue et exploitée par une équipe de scientifiques de l’institut Irfu du CEA à Saclay, de l'Institut Laue-Langevin à Grenoble, du Laboratoire de physique des particules d'Annecy (LAPP, CNRS/USMB), du Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble LPSC (UGA-Grenoble INP-UGA/ CNRS), et l'Institut für Kernphysik Max-Planck à Heidelberg en Allemagne (MPIK).
Publié le  12 janvier 2023
Mis à jour le  16 février 2023