La découverte de l'ADN le plus ancien du monde bat le record d'un million d'années

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le  5 janvier 2023
De l'ADN vieux de deux millions d'années a été identifié pour la première fois, ouvrant ainsi un nouveau chapitre de l'histoire de l'évolution. Des fragments microscopiques d'ADN environnemental ont été découverts dans des sédiments du Nord du Groenland. Grâce à une technologie de pointe, l'équipe de recherche internationale, parmi laquelle des scientifiques grenoblois du Laboratoire d'écologie alpine (LECA - UGA / USMB / CNRS) et de l'Institut des Sciences de la Terre (ISTerre - UGA / USMB / CNRS / IRD / Université Gustave Eiffel), a découvert que ces fragments sont plus anciens d'un million d'années que le précédent record d'ADN prélevé sur un os de mammouth sibérien. Ces résultats de recherche ont été publiés dans la prestigieuse revue scientifique Nature le 7 décembre 2022.
L'ADN ancien a été utilisé pour décrire un écosystème vieux de deux millions d'années qui a subi des changements climatiques extrêmes. Un nouveau chapitre couvrant un million d'années supplémentaires d'histoire a finalement été ouvert et, pour la première fois, les scientifiques peuvent regarder directement l'ADN d'un écosystème passé qui remonte dans le temps.

Des échantillons incomplets, longs de quelques millionièmes de millimètre, ont été prélevés dans la formation de Kap København, un dépôt de sédiments de près de 100 mètres d'épaisseur couvrant 20 000 ans et situé à l'embouchure d'un fjord de l'océan Arctique à l'extrême nord du Groenland. Ces sédiments ont été préservés dans la glace ou le pergélisol et, point crucial, n'ont pas été perturbés par l'activité humaine pendant deux millions d'années. À l'époque, le climat du Groenland variait entre l'Arctique et le tempéré et était de 10 à 17 °C plus chaud que le Groenland actuel.

Les scientifiques ont découvert des traces d'ADN d'animaux, de plantes et de micro-organismes, notamment de rennes, de lièvres, de lemmings, de bouleaux et de peupliers. Les chercheurs ont même découvert que le Mastodon, un mammifère de l'ère glaciaire, a vécu jusqu'au Groenland avant de s'éteindre.

Le travail de détective de 40 scientifiques du Danemark, du Royaume-Uni, de France, de Suède, de Norvège, des États-Unis et d'Allemagne a permis de percer les secrets des fragments d'ADN. Chaque fragment d'ADN a été comparé à l'aide de vastes bibliothèques d'ADN recueillies auprès d'animaux, de plantes et de micro-organismes actuels. Une image de l'ADN des arbres, des buissons, des oiseaux, des animaux et des micro-organismes a commencé à se dessiner. Certains fragments d'ADN étaient faciles à classer comme prédécesseurs d'espèces actuelles, d'autres ne pouvaient être reliés qu'au niveau du genre, et certains provenaient d'espèces impossibles à placer dans les bibliothèques d'ADN d'animaux, de plantes et de micro-organismes vivant encore au 21e siècle.

L’équipe scientifique a envisagé une série de substances qui auraient pu aider l'ADN à lutter contre la dégradation et le temps, et ont finalement considéré les minéraux argileux comme responsables. Les minéraux argileux sont polyvalents, on les trouve partout à la surface de la Terre et leur structure unique leur permet d'absorber l'ADN comme une éponge. Il est possible que, protégé dans les minéraux argileux, l'ADN puisse survivre à des conditions extrêmes telles qu'une forte humidité, des températures élevées ou des attaques constantes par des bactéries qui utilisent l'ADN comme nourriture.

L'écosystème de Kap København, qui n'a pas d'équivalent actuel, existait à des températures considérablement plus élevées que celles que nous connaissons aujourd'hui dans cette région, et similaires à celles que nous attendons sur notre planète à l'avenir en raison du réchauffement climatique. L'un des facteurs clés ici est de savoir dans quelle mesure les espèces seront capables de s'adapter au changement des conditions découlant d'une augmentation significative de la température. Les données suggèrent que nombre d'espèces peuvent évoluer et s'adapter à des températures très variables. Mais ces résultats montrent qu'elles ont besoin de temps pour y parvenir. La rapidité du réchauffement climatique actuel signifie que les organismes et les espèces n'ont pas ce temps, de sorte que l'urgence climatique reste une énorme menace pour la biodiversité.

En examinant l'ADN ancien de la formation de Kap København, les scientifiques ont également trouvé de l'ADN provenant d'un large éventail de micro-organismes, notamment des bactéries et des champignons, qu'ils continuent à cartographier. L’espoir réside dans le fait que certaines des "astuces" de l'ADN végétal découvert il y a deux millions d'années pourront être utilisées pour aider à rendre certaines espèces menacées plus résistantes au réchauffement climatique. Il est possible que le génie génétique puisse imiter la stratégie développée par les plantes et les arbres il y a deux millions d'années pour survivre dans un climat caractérisé par une hausse des températures et empêcher l'extinction de certaines espèces, plantes et arbres.

La conservation de l’ADN est généralement optimale dans des conditions froides et sèches. La préservation de l’ADN au contact des argiles ouvre toutefois des perspectives inédites pour la recherche d’ADN environnemental dans les conditions chaudes et humides rencontrées en Afrique par exemple et donc pour l’origine des espèces qui s’y sont développées, dont les premiers humains.
Publié le  5 janvier 2023
Mis à jour le  5 janvier 2023