Rencontre avec Michel Campillo, sismologue et académicien des sciences

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le  16 décembre 2021
Enseignant-chercheur en géophysique à l’Université Grenoble Alpes et à l’Institut des sciences de la Terre (ISTerre), Michel Campillo était le 12 octobre dernier sous la Coupole de l’Institut de France pour la cérémonie officielle de réception des nouveaux académiciens des sciences. Sismologue de renommée internationale, il nous fait partager son expérience au sein de cette prestigieuse institution.
Professeur des universités à l'UGA et à l’Institut des sciences de la Terre (ISTerre - CNRS, UGA, IRD, USMB, Univ. Gustave Eiffel), Michel Campillo est l’un des meilleurs spécialistes des séismes, de leurs causes et de leurs effets*. Près de deux ans après son élection à l’Académie des sciences en décembre 2019, et quelques semaines après la cérémonie officielle de réception - retardée en raison de la crise sanitaire -, il nous en dit plus sur le rôle des académiciens, ses premières actions, son choix de l'Université et son goût pour les sciences.

Comment devient-on académicien des sciences et pour combien de temps ?

Il n’y a plus de candidature. Ce sont des académiciens qui proposent des personnalités dont les dossiers sont évalués. L’élection finale associe l’ensemble des membres de l’Académie des sciences. Les personnes considérées ne sont pas tenues au courant de l’existence des discussions dont elles font l’objet. Pour moi, c’est la surprise d’un coup de téléphone lorsqu'un membre de l’Académie m’a annoncé la nouvelle en me suggérant de consulter mon courrier électronique et le site de l’Académie !

L’élection à l’Académie des sciences est une élection à vie : on est académicien pour toujours ! Mais afin de couvrir l’ensemble des domaines scientifiques, y compris les plus émergents, et de rajeunir ses effectifs, l’Académie a fait évoluer ses statuts au début des années 2000 : lors de chaque session d’élection, 50% au moins des nouveaux membres ont moins de 55 ans et les femmes y sont devenues beaucoup mieux représentées.

Vous avez été élu membre de l’Académie des sciences en décembre 2019, pouvez-vous revenir sur le rôle d’un académicien ?

Vous avez noté que décembre 2019 est une date un peu particulière : c’est le début de l’épidémie de Covid et cela a remis en cause bon nombre de réunions à l’Académie. Par chance, l’Académie a souvent pu fonctionner en visioconférence ; cela m’a permis de me faire une idée un peu plus claire du rôle des académiciens. Ce rôle est d’abord de répondre à des attentes qui sont liées à l’institution elle-même. Depuis l’Ancien Régime, l’Académie a été fondée pour apporter, à travers des rapports écrits, des réponses scientifiques à des questions posées par les gouvernants. Le caractère pluridisciplinaire de l’Académie lui permet de disposer de scientifiques spécialisés et très compétents dans de nombreux domaines, et cette richesse permet de s’intéresser aux problèmes de notre temps avec des points de vue très variés, et en toute indépendance.

L’Académie a aussi une mission de diffusion et de promotion des sciences. De nombreuses actions sont soutenues par l’Académie comme par exemple l’opération "La main à la pâte". Les activités de culture scientifique et de partage des savoirs occupent une bonne partie du temps des académiciens. Il y a également une importante activité liée au soutien à la recherche et aux scientifiques eux-mêmes à travers la remise de prix, de médailles et de subventions. Ces distinctions sont très sélectives et demandent un travail d’analyse et d’évaluation. Elles apportent tous les ans aux chercheurs un soutien réel, financier et moral. Il ne faut pas hésiter à proposer des candidatures !

Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’actions que vous avez pu engager malgré la crise sanitaire ?

Dans ce contexte de crise sanitaire, beaucoup d’activités extérieures de l’Académie ont été arrêtées. Je devais ainsi participer à des actions dans des collèges qui n’ont malheureusement pas pu avoir lieu. J’ai également été sollicité pour la diffusion des connaissances mais nous n’avons pu nous réunir qu’à quelques reprises seulement.

Malgré ces temps de Covid, j’ai pu rencontrer des collègues académiciens que je ne connaissais que de nom et cela a été vraiment important pour moi. J’ai pu avoir ces échanges grâce notamment aux conférences de très grande qualité qui sont proposées à l’Académie. Dans mon cas, cette ouverture porte sur le domaine de l’intelligence artificielle mais aussi de la biologie et de la médecine où des méthodes que l’on emploie pour imager la Terre sont aussi employées. On essaie ainsi de démarrer un projet suggéré par un académicien.

Vous avez inventé des techniques inédites d’observation des entrailles de la Terre. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’objet de vos recherches actuelles ?

Le travail de notre groupe de recherche à ISTerre consiste à utiliser les enregistrements continus de toutes les perturbations que l’on observe à la surface du sol pour décrire la façon dont les couches terrestres évoluent en fonction du temps et en profondeur. Cette idée est assez nouvelle dans la vision que l’on a de l’évolution de la Terre. On imagine la Terre très statique alors qu’en réalité, on découvre que la Terre se déforme, que des fluides se transfèrent en profondeur et ce, à toutes les échelles de temps, y compris très courtes, jours, semaines ou mois.

Ces changements-là, nous commençons seulement à pouvoir les mesurer en continu. Cela signifie que notre capacité à faire des modèles, pour les volcans, les tremblements de terre ou pour la sismicité produite par les activités industrielles souterraines va être transformée par ces découvertes qui mettront en lumière des processus physiques qui ont été ignorés ou négligés jusqu’à maintenant.

Votre élection à l’Académie des sciences marque le couronnement d’une brillante carrière universitaire. Pour quelles raisons avez-vous choisi de faire vos études puis votre carrière au sein de l’Université ?

Oui, je suis le produit de l’Université ! Elle m’a offert une ouverture très grande sur différents domaines quand j’étais étudiant et cet espace de liberté m’a suffisamment plu pour que j’ai eu envie de rester à l’Université puis d’y devenir enseignant-chercheur.

Et donc oui, je crois que l’Université est un endroit assez exceptionnel pour cette liberté, pour la richesse des connaissances qu’on peut y acquérir, et peut-être aussi parce que le système universitaire français est un système ouvert, qui n’est pas un simple lieu de reproduction sociale. C’est un enjeu difficile pour nous tous mais il est très important de le maintenir et de pouvoir offrir à tous un enseignement de très bonne qualité, dispensé par de vrais acteurs de la recherche.

Comment est né votre goût pour les sciences et la recherche ?

Après le Bac, je n’avais pas une idée très claire de ce que je voulais étudier, les lettres, les sciences, que sais-je ? Tout me paraissait intéressant. Et puis finalement, j’ai débuté mes études universitaires en maths-physique. Lors des premiers stages, des premiers travaux pratiques, j’ai découvert l’intérêt de se frotter à la réalité en amenant avec soi des modèles, des théories et d’essayer de les opposer à ce que l’on observait.

Et puis, un peu par hasard, j’ai découvert la géophysique en arrivant à Grenoble. Le fait de rajouter la dimension "sciences naturelles", c’est-à-dire le milieu réel tel qu’il est et d’essayer de le comprendre avec des théories et des modèles mathématiques, cela m’a paru quelque chose de passionnant. C’est aussi une autre façon de regarder le monde, une autre façon de regarder la Nature. Ce n’est pas une réduction, c’est une autre façon de voir ; et la Nature se révèle tout aussi merveilleuse et magique vue dans cette perspective que dans celle d’un simple observateur passif.
 
* Une brillante carrière scientifique. Chevalier de la Légion d’honneur, membre senior de l'Institut universitaire de France en 2006, fellow de l'American Geophysical Union en 2008, Michel Campillo a déjà été distingué à de nombreuses reprises pour l’excellence scientifique de ses travaux de recherche. Médaille d'argent du CNRS en 2003, il est notamment lauréat en 2005 du prix Jaffé de l’Académie des sciences et en 2013 de l’un des grands prix de l’Institut de France (prix de la Fondation Simone et Cino del Duca). Lauréat d’une bourse ERC Advanced Grants en 2016, il reçoit en 2018 le Humboldt Research Award de la Fondation Alexander von Humboldt.

Le discours de réception à l'Académie des sciences

Retardée de plusieurs mois en raison de la crise sanitaire, la cérémonie officielle de réception des académiciens des promotions 2019 et 2020 s’est déroulée le 12 octobre 2021 sous la coupole de l’Institut de France.

Michel Campillo le 12 octobre 2021 lors de son discours de réception à l’Académie des sciences ©Simon Cassanas

Lors de cette séance solennelle de l’Académie des sciences, Michel Campillo a prononcé son discours de réception sur le thème : "Bruits telluriques, magie des ondes sismiques : à l’écoute des murmures de la Terre".

Retrouvez en images la cérémonie officielle de réception des nouveaux académiciens des sciences et le discours Michel Campillo (1’43’’20).
Publié le  6 décembre 2021
Mis à jour le  17 décembre 2021