L’évolution paradoxale des glaciers de très haute altitude dans le massif du Mont-Blanc

Recherche
le  16 avril 2020
Carottage profond au col du dôme du Goûter (4 250 m) lors de l’opération Ice Memory en 2016. © Christian Vincent, IGE
Carottage profond au col du dôme du Goûter (4 250 m) lors de l’opération Ice Memory en 2016. © Christian Vincent, IGE
Les études glaciologiques conduites depuis 25 ans, par des chercheurs de l’Institut des géosciences de l'environnement (IGE/OSUG, CNRS / IRD / UGA / Grenoble INP) et de l’Institute of geography (Russie), sur le glacier du dôme du Goûter situé à 4 300 m d’altitude dans le massif du Mont-Blanc révèlent un paradoxe surprenant. L’épaisseur de ce glacier est en effet restée quasiment inchangée malgré le fort réchauffement du climat au cours des dernières décennies, alors que les températures de la glace en profondeur ont subi une augmentation très marquée. Ce réchauffement en profondeur pourrait à terme affecter la stabilité des glaciers dits « suspendus », localisés sur des pentes très raides, et provoquer ainsi des avalanches de glace massives.
L’évolution du climat à très haute altitude est peu connue, à cause du manque de données météorologiques dans ces régions hostiles et peu accessibles. Dans la chaîne alpine (France, Autriche, Suisse et Italie), les stations météorologiques situées au-dessus de 4 000 m d’altitude et présentant des relevés d’une durée supérieure à 10 ans sont rares. Les glaciers représentent donc des indicateurs uniques du climat à ces altitudes et sur le long terme.

Pour étudier ces glaciers de très haute altitude, des chercheurs de l’IGE et de l’Institute of geography ont examiné l’évolution, depuis 25 ans, de la calotte de glace recouvrant le dôme du Goûter (4 300 m) dans le massif du Mont-Blanc. En particulier, ils ont conduit des mesures de variations d’épaisseur ainsi que des mesures du régime thermique à l’aide de capteurs de température installés dans des forages jusqu’à 135 mètres en profondeur.

Cette étude révèle un paradoxe. D’une part, les observations de surface montrent que les pertes d’épaisseur de ces glaciers situés au-dessus de 4 000 m d’altitude sont très faibles malgré le fort réchauffement climatique des 30 dernières années. En effet, la variation d’épaisseur observée depuis 1993 au glacier du dôme du Goûter est inférieure à trois mètres, ce qui est modeste au regard de celles observées pour les langues glaciaires du massif qui dépassent les 100 mètres au cours de la même période. La fonte étant négligeable par rapport à l’accumulation de neige à ces altitudes, ces mesures révèlent que les accumulations de neige ont peu changé à ces altitudes dans le massif du Mont-Blanc. D’autre part, en opposition à cette stabilité des conditions de surface, les chercheurs ont mis en évidence un réchauffement très marqué de la glace en profondeur au dôme du Goûter, où l’augmentation de température de la glace peut atteindre 1,5°C à 50 m de profondeur.

Mais ce paradoxe n’est qu’apparent et peut s’interpréter de la manière suivante : le surplus d’énergie en surface dû au réchauffement de l’atmosphère se traduit par une augmentation des températures de surface et donc par une augmentation de la percolation de l’eau de fonte qui, en regelant en profondeur, réchauffe progressivement le névé et le glacier en profondeur ; cette onde de chaleur se propage rapidement en profondeur non seulement à cause de la percolation et du regel de l’eau, mais aussi à cause du mouvement vertical de la glace.

Le changement climatique à ces hautes altitudes ne se traduit donc pas par des changements visibles en surface, mais par des changements invisibles en profondeur liés à une modification du régime thermique. Cette situation est très différente de celle des glaciers tempérés de plus basses altitudes pour lesquels le réchauffement de l’atmosphère se traduit par une perte considérable d’épaisseur.

Plusieurs de ces glaciers de très haute altitude, dits « suspendus », sont situés sur des pentes très raides et doivent leur stabilité à leur température interne négative. Si la base de ces glaciers devait atteindre la température de fusion de la glace, cela pourrait affecter leur stabilité et provoquer des avalanches de glace très massives.

Enfin, cette percolation de l’eau de fonte à travers ces glaciers a une autre conséquence néfaste : elle entraîne un lessivage des particules contenues dans la glace, lesquelles sont de véritables archives glaciaires utilisées par les chercheurs pour remonter à la composition chimique passée de l’atmosphère.
Publié le  16 avril 2020
Mis à jour le  17 avril 2020