Les secrets intimes de la photosymbiose dans le plancton marin

Recherche
le  28 février 2019
Acanthaires, micro-organismes présents dans le plancton marin © Decelle
Acanthaires, micro-organismes présents dans le plancton marin © Decelle
Décrite il y a quelques années, la symbiose entre les acanthaires et une micro-algue appelée Phaeocystis, deux micro-organismes du plancton marin, est observée dans tous les océans du globe. Grâce aux technologies d’imagerie subcellulaire notamment développées à Grenoble, des chercheurs du Centre Helmholtz pour la recherche environnementale (UFZ), de l’Université Grenoble Alpes (UGA), du CNRS et du CEA, en collaboration avec l’ESRF, ont réussi à montrer que cette forme unique de symbiose profite essentiellement aux acanthaires (hôtes).

Parfois deux organismes vivants très différents s’associent intimement, de façon quasi-indissociable, et constituent des formes symbiotiques qui peuvent être considérées comme des nouvelles créatures, des organismes à part entière. Ces symbioses s’avèrent en fait très fréquentes. Lorsqu’une symbiose fait intervenir un organisme (comme une micro-algue) qui utilise la photosynthèse, on parle alors de photosymbiose. Malgré l’importance écologique de ce type de symbiose dans les écosystèmes marins, les mécanismes par lesquels les hôtes intègrent et hébergent les micro-algues symbiotiques sont encore mal compris.

Un nouveau mode de photosymbiose

En 2012 [2] , avec son équipe CNRS / Sorbonne Université, Johan Decelle, découvre non seulement que la symbiose des acanthaires, organismes unicellulaires du groupe des radiolaires, et des Phaeocystis, une algue unicellulaire du phytoplancton, se retrouve dans toutes les mers du globe, mais également que les algues une fois intégrées aux acanthaires changent d'aspect par rapport à leur vie libre. Il se demande alors si cette association est vraiment à l’avantage des deux organismes… Car, il semblerait qu’une fois intégrée à l’acanthaire, l'algue ne parvienne plus à se diviser. En revanche, ses chloroplastes, lieu de la photosynthèse, se multiplient. Cette association profite-t-elle réellement aux deux organismes ?

"À l’époque, nous n’avions pas les techniques pour le vérifier car il faut observer précisément ce qui se passe dans les cellules"explique Johan Decelle. "C’est essentiel pour déchiffrer le rôle de chaque partenaire, pour mettre en évidence les mécanismes physiologiques, structurels et métaboliques qui sous-tendent les interactions cellule-cellule."

Grâce aux technologies d’imagerie subcellulaire notamment développées à Grenoble, et au Synchrotron Européen de Grenoble (ESRF), par Johan Decelle, aujourd’hui chercheur UGA au laboratoire de Physiologie Cellulaire et Végétale (LPCV - CNRS / CEA / Inra / Université Grenoble Alpes) et titulaire de la Chaire d’excellence du Labex GRAL [3], (la microscopie électronique 3D, le nanoSIMS, la fluorescence rayons X de l´ESRF) complétées par des analyses physiologiques, les chercheurs ont aujourd’hui enfin la réponse : "Nous avons découvert un nouveau mode de photosymbiose, qui ne correspond pas du tout à ce que l’on observe chez les coraux ou les lichens par exemple" raconte Johan Decelle. "Au sein de l’acanthaire, les micro-algues subissent une transformation radicale de leur organisation structurelle et de leur métabolisme. Cette transformation, vraisemblablement induite par l'acanthaire, maximise l'activité photosynthétique de l’algue."

Véritable symbiose ou « culture » ?

Au sein des acanthaires, les chercheurs ont observé une augmentation du volume des micro-algues mais aussi la multiplication de chloroplastes volumineux et de leurs membranes photosynthétiques qui augmentent significativement la surface photosynthétique.

De plus, la visualisation des nutriments à l'intérieur des cellules, possible grâce à l´imagerie chimique, montre que le rapport azote sur phosphore, augmente de manière significative dans les micro-algues symbiotiques. Grâce au rayonnement synchrotron de l’ESRF, les chercheurs constatent aussi que les micro-algues contiennent de grandes quantités de métaux essentiels (fer et cobalt) fournis par l'hôte et stockés dans des vacuoles d'algues à forte concentration, et qu’elles sont appauvries en phosphore comparativement aux espèces libres, ce qui pourrait expliquer l'absence de division cellulaire au sein de l'hôte. La photosymbiose des acanthaires et des Phaeocystis se traduit donc par un remodelage morphologique et métabolique extrême des micro-algues, qui n´avait jamais été observé auparavant dans d´autres photosymbioses comme celle entre le corail et ses microalgues.

Un acanthaire (hote) de 100-200 µm de longueur avec ses micro-algues symbiotiques intracellulaires (cellules jaune). Crédit : Johan Decelle
Un acanthaire (hote) de 100-200 µm de longueur avec ses micro-algues symbiotiques intracellulaires (cellules jaune). Crédit : Johan Decelle
 

Cette symbiose planctonique répandue et abondante entre les acanthaires et Phaeocystis semble correspondre davantage à une stratégie de l'hôte visant à réduire la croissance de ses symbiotes tout en maximisant leur photosynthèse et leur rendement, autrement dit : une « culture » (ou « farming ») d’algues par l’acanthaire, ou un parasitisme inverse, où le « grand » parasite le « petit ».

Peut-être une étape de l’évolution des espèces

L’étude réalisée par Johan Decelle et ses collègues est le fruit d’une synergie entre les nombreux centres de recherche impliqués, mobilisant des expertises en biologie structurale, biochimie, imagerie unicellulaire. Elle met en lumière les mécanismes subcellulaires par lesquels les hôtes planctoniques peuvent intégrer, contrôler et manipuler des cellules photosynthétiques dans un océan pauvre en nutriments.

Elles ouvrent ainsi de nouvelles pistes de réflexion en terme d´évolution. « Ces résultats représentent un changement radical dans la compréhension du fonctionnement d'une relation symbiotique clé des écosystèmes marins » affirme Johan Decelle. "Elle apporte également de nouvelles hypothèses pour essayer de comprendre ce qui s’est passé au cours de l’évolution, notamment comment un hôte peut-il prendre le contrôle d’une algue et intégrer une fonction photosynthétique."

Notes

[1] Laboratoires et organismes impliqués dans l’étude :
1- Helmholtz Centre for Environmental Research – UFZ, Department of Isotope Biogeochemistry, Leipzig, Germany
2- Institut de Biologie Structurale, Université Grenoble Alpes, CNRS, CEA; 71, Avenue des Martyrs, 38044 Grenoble, France
3- Laboratoire de Chimie et Biologie des Métaux UMR 5249, Université Grenoble Alpes, CNRS, CEA; 17, Avenue des Martyrs, 38054 Grenoble, France
4- ESRF, The European Synchrotron Radiation Facility, 71, Avenue des Martyrs, 38043 Grenoble, France
5- NIOZ, Royal Netherlands Institute for Sea Research, Department of Marine Microbiology and Biogeochemistry, and Utrecht University. P.O. Box 59, NL-1790 AB Den Burg, The Netherlands
6- Sorbonne Universités, UPMC Université Paris 06, CNRS, Laboratoire d’Océanographie de Villefranche (LOV) UMR7093, Observatoire Océanologique, 06230 Villefranche-sur-Mer, France
7- Laboratoire de Physiologie Cellulaire et Végétale, Université Grenoble Alpes, CNRS, CEA, INRA; 38054, Grenoble Cedex 9, France
8- Institut Nanosciences et Cryogénie, Université Grenoble Alpes, CEA, F38054 Grenoble, France
9- Cell Biology and Biophysics Unit, European Molecular Biology Laboratory (EMBL), 69117 Heidelberg, Germany

[2] An original mode of symbiosis in open ocean plankton, Johan Decelle, Ian Probert, Lucie Bittner, Yves Desdevises, Sébastien Colin, Colomban de Vargas, Martí Galí, Rafel Simó, Fabrice Not, PNAS, octobre 2012.
[3] Laboratoire d’Excellence Grenoble Alliance for Integrated Structural Cell Biology
Publié le  14 décembre 2019
Mis à jour le  15 décembre 2019