Un "Trumpement" de terre électoral

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Donald Trump en campagne © Gage Skidmore / Flickr, CC BY-SA
Donald Trump en campagne © Gage Skidmore / Flickr, CC BY-SA
"Don’t boo, vote". C’est par ces mots que le Président sortant, Barack Obama, a exhorté les électeurs à se rendre aux urnes et à soutenir, par leur suffrage, la Démocrate Hillary Clinton. Le peuple américain l’a écouté, mais contrairement à toutes les prévisions des instituts de sondage, des journalistes, des experts et des observateurs de la vie politique, c’est Donald Trump qui deviendra le 20 janvier 2017 le 45e président des États-Unis d’Amérique. En effet, à l’issue d’une campagne 2016 qui aura été, dans l’ensemble, décevante, tant elle fut marquée par la violence des propos des deux candidats et les scandales à répétitions, le multimilliardaire, a certainement réalisé l’un des plus grands retours électoraux depuis la victoire-surprise de Harry Truman en 1948.

Une remontée spectaculaire

La victoire de Donald Trump aura été frappée du sceau de l’outsider souhaitant s’opposer à un système politique qu’il n’a eu de cesse de présenter comme corrompu et déconnecté des préoccupations d’une partie de la société américaine. Ainsi, Trump est devenu le premier candidat, depuis Dwight Eisenhower en 1952, à remporter l’élection présidentielle sans jamais avoir occupé de fonction élective par le passé.

Alors que Hillary Clinton était présentée comme la grande favorite, Donald Trump a même réussi le tour de force de recréer une dynamique républicaine dans son sillage, ce qui lui permettra de prendre ses fonctions à la Maison-Blanche avec une majorité de députés et de sénateurs du GOP dans les deux chambres du Congrès, une première depuis 1924 et l’élection de Calvin Coolidge.

Pour comprendre la victoire du candidat républicain, il convient de se pencher sur la stratégie électorale élaborée par l’équipe de campagne de Donald Trump. Son pari, en apparence risqué, consistait alors pour Donald Trump à l’emporter dans les États-pivots encore indécis à la veille de l’élection et de réaliser une percée historique dans les États industriels du nord-est des États-Unis, traditionnellement acquis à la cause du Parti démocrate.

Au fil d’une soirée historique, le pari de Trump s’est avéré payant puisque le candidat républicain a successivement remporté la Floride et ses 29 grands électeurs (49 % contre 48 % à Hillary Clinton), ainsi que l’Ohio, 18 grands électeurs, (52 % contre 44 %), et enfin la Caroline du Nord, 15 grand électeurs, (51 % contre 47 %).

Pour sceller sa victoire, Trump a ensuite réussi à briser le fameux "Mur bleu" que les Démocrates pensaient pouvoir aisément conserver. Il a fait basculer successivement le Wisconsin (10 grands électeurs), le Michigan (16 grands électeurs) et la Pennsylvanie (20 grands électeurs), sans lesquels la quête de Hillary Clinton était condamnée à l’échec.

Le facteur économique

Bien que surprenante, parce qu’elle a fait mentir tous les sondages, la victoire de Donald Trump trouve ses origines dans la situation précaire dans laquelle se trouve une partie de l’électorat américain. En effet, même si Barack Obama est parvenu, au cours de ses deux mandats, à redresser l’économie américaine, les conséquences de la Grande Récession de 2008–2009 se font encore ressentir pour un certain nombre d’Américains.

Comme l’a souligné Stéphane Lauer, dans Le Monde, de nombreux indicateurs économiques remettent en question la "qualité de la reprise", qui, au final, n’a pas bénéficié à l’ensemble des citoyens. Tout d’abord, la reprise économique n’a pas forcément engendré une augmentation du pouvoir d’achat pour les Américains. Au contraire, le salaire médian a connu une diminution de 13 % depuis l’arrivée au pouvoir de Barack Obama.

Ensuite, si le chômage a reculé depuis 2010, en passant de 10 % à 4,9 % en 2016, un certain nombre d’Américains se trouvent dans une situation précaire et ne parviennent pas à décrocher un emploi à temps plein. Les dernières années ont vu les contrats à temps partiel augmenter de façon exponentielle pour atteindre le chiffre des 6 millions. Enfin, phénomène qui s’est amorcé il y a de cela plusieurs décennies et qui a pris de l’ampleur ces dernières années, la classe moyenne a connu un recul significatif aux États-Unis, tant en termes de richesse – ses revenus globaux passant de 62 % en 1970 à 43 % aujourd’hui – qu’en termes démographiques – 61 % de la population appartenait à la classe moyenne en 1970, contre moins de 50 % aujourd’hui.

Des fractures profondes

Et c’est justement sur cet électorat désenchanté – ces hommes blancs, peu éduqués, nés dans l’après-guerre, victimes de la désindustrialisation et du chômage qu’elle a engendré – que Donald Trump a capitalisé, occultant le changement démographique de la société américaine, et notamment la montée en puissance des minorités ethniques.

Pour cette « majorité silencieuse », animée d’un sentiment de dépossession et de marginalisation dans le contexte actuel, les arguments de Trump en faveur d’une abrogation des traités de libre-échange, de mesures protectionnistes, et de la réouverture des mines de charbon sont des sujets qui ont un écho pour ses électeurs, parce qu’ils répondent à leurs préoccupations.

Dans le détail, à l’instar de ce qui s’est passé au Royaume-Uni, lors du référendum sur le Brexit, les résultats révèlent une fracture géographique, notamment entre les villes et les zones rurales. C’est notamment le cas de l’Ohio et de la Floride, deux des États clés, qui ont permis à Donald Trump de remporter la majorité absolue dans le Collège électoral, où les districts urbains de Cleveland, Toledo, Cincinnati, Columbus pour le premier état et ceux de Tampa, Orlando et Miami pour le second ont voté majoritairement pour la candidate démocrate, alors que les districts ruraux ont voté massivement pour son adversaire républicain.

Symbole d’un pays polarisé qui a vu se creuser le fossé entre, d’une part, l’Amérique profonde, industrielle, dévastée par les délocalisations, l’Amérique ouvrière, blanche, se sentant oubliée et, d’autre part, l’Amérique des minorités, celle des métropoles américaines, progressistes, porteuses de la croissance économique et vectrices de la mondialisation, la victoire de Donald Trump est aussi la manifestation d’un rejet de l’establishment, d’une élite politique et médiatique qui a perdu la confiance d’un grand nombre d’électeurs.

Cependant, malgré sa victoire significative en matière de grands électeurs, Donald Trump n’arrive qu’en deuxième position dans le vote populaire avec 47,5 % des voix, contre 47,7 % pour Hillary Clinton, un décalage qui non seulement apporte un certain discrédit sur le fonctionnement de la démocratie américaine, mais qui remet en question le mandat dont va disposer le futur président des États-Unis pour mettre en place son programme électoral.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation le 10 novembre 2016.

Publié le10 novembre 2016
Mis à jour le8 février 2017