En Californie, une révolution énergétique pour les riches

Société Article
Une villa équipée d’une toiture solaire. www.solarcity.com
Une villa équipée d’une toiture solaire. www.solarcity.com
Été 2006 : Elon Musk, le très charismatique et richissime patron de Tesla Motors, annonce en fanfare le lancement d’un véhicule électrique haut de gamme, susceptible de concurrencer les sportives européennes. Été 2016 : Musk rachète la société Solarcity, premier producteur et installateur de panneaux solaires photovoltaïques aux États-Unis. En juillet dernier, le milliardaire dévoile son nouveau Master Plan : une stratégie complète de développement de solutions solaires intégrées pour le bâtiment et les transports.

L’ambition d’Elon Musk ne semble pas avoir de limites. Sera-t-il au XXIe siècle ce qu’Henri Ford et Steve Jobs furent respectivement au début et à la fin du XXe siècle, lui qui n’hésite pas à comparer Tesla à Apple ? Fera-t-il partie de ces innovateurs qui "changent le monde" ?

Ou ne sera-t-il pas plutôt la première victime de l’éclatement de la prochaine bulle, celle des industries des énergies renouvelables, souvent dopées aux aides publiques et dont certains fleurons (SunEdison aux États-Unis, Abengoa en Europe) sont aujourd’hui en grande difficulté ?

Elon Musk, l’homme derrière Tesla, SpaceX, SolarCity (Conférence TED, 2014).

California Dreamin’

Le premier acte de cette pièce à rebondissements se jouera certainement en Californie, où le soleil est abondant, le pouvoir d’achat élevé et les citoyens plutôt techno-écolos…

Là-bas, la progression des énergies renouvelables – et en particulier celle de l’énergie solaire – a été remarquable ces dernières années : elles représentent aujourd’hui 27 % de la production d’électricité, contre 44 % pour le gaz naturel et 9 % pour le nucléaire.

Mais cette progression n’est pas sans difficulté, tout particulièrement en ce qui concerne la gestion de l’équilibre du système électrique californien ; ce dernier doit en effet faire face à d’importants excédents de production solaire en milieu de journée, suivis par un pic de la demande d’électricité le soir, alors même que le soleil se couche. Une situation difficile pour les gestionnaires du réseau.

De ce point de vue, l’expérience californienne, combinant solutions solaires individuelles à la Elon Musk et gestion de la sécurité d’un système électrique complet, préfigure ce qui attend tous les pays engagés dans le développement des énergies renouvelables. Elle sera donc à suivre de très près.

Toit solaire + batterie + véhicule électrique : Here comes the sun

Le nouveau plan de Tesla s’appuie sur la combinaison suivante : toitures solaires photovoltaïques intégrées (et non panneaux posés sur toiture), système de stockage domestique (avec le « mur électrique » ou powerwall, une batterie Lithium-ion domestique de 7 à 10 kWh), et pour finir, véhicule électrique avec de nouvelles batteries (passant de 65 à 100 kWh avec une autonomie de 450 km) et un modèle middle-class, la Tesla Model 3.

Depuis des années maintenant, on évoque cette possibilité d’une complémentarité véhicule-bâtiment et véhicule-bâtiment-réseau. En France, des chercheurs du CSTB ont exploré ces pistes dès le milieu des années 2000.

Aujourd’hui, EDF et Engie se lancent dans des solutions photovoltaïques pour l’autoproduction avec batteries : l’un avec son offre "Mon soleil et moi" et l’autre avec la solution "My Power".

Présentation de «My Power» (Engie, mai 2016).


Ces offres apparaissent au moment où Total rachète Saft et Engie Green Charge Networks. Signe que le stockage d’électricité devient un véritable enjeu industriel.

Pour l’heure, aucun industriel français ne propose la solution intégrée prônée par Elon Musk. Mais pour Total, par ailleurs actionnaire majoritaire du leader mondial Sunpower, il n’y a qu’un pas du panneau photovoltaïque et de la batterie à la propulsion du véhicule électrique.

En 2016, il semble bien que les différentes pièces du puzzle soient en train de se mettre en place. La révolution est-elle en marche ?

Power to the people ou révolution pour riches ?

Détournant le titre d’une chanson de John Lennon, l’essayiste Jeremy Rifkin promet l’avènement d’un nouveau monde énergétique qui donnerait "la puissance électrique – et par conséquent le pouvoir – au peuple" (la polysémie du terme power étant difficilement restituée en français). Mais à ce stade, on ne peut manquer de formuler deux remarques.

Premièrement, le modèle d’autoproduction californien est conçu pour l’habitat individuel dans les banlieues des grandes villes. Deuxièmement, ce modèle est aujourd’hui coûteux, en tous cas en termes d’investissement.

Dans de bonnes conditions d’ensoleillement, la solution technique « toit photovoltaïque + stockage + véhicule électrique » permettra d’ici peu une quasi-autonomie électrique. En ordre de grandeur, car la rentabilité dépend des conditions et du prix de l’énergie dans chaque région, on peut estimer le gain moyen à 1 000 € par an sur la facture d’électricité et 1 000 € par an sur celle d’essence (remplacement de l’essence par l’électricité, dans des conditions européennes). Soit au total près des deux-tiers de la facture énergétique d’un ménage type.

Mais ces économies annuelles supposent un investissement supplémentaire important, de l’ordre de 15 à 20 000 € pour le système photovoltaïque + batterie et de 10 000 € pour le véhicule électrique (par rapport à un modèle classique de milieu de gamme, sans aides publiques).

Jeremy Rifkin sur les enjeux sociétaux de la révolution énergétique en marche (Sustainable Human, avril 2012).

Un bien long retour sur investissement

Dans l’attente des réductions de coût à venir, l’autoproduction d’électricité est un modèle d’investissement qui peut être rentable dès aujourd’hui, mais à condition d’accepter des temps de retour longs (d’après les chiffres ci-dessus, respectivement près de 20 ans pour l’autoproduction, 10 ans pour le véhicule électrique).

Des temps de retour bien plus longs que ceux habituellement acceptés par les ménages, sauf s’ils sont très aisés, ou très motivés… D’où l’importance de l’impulsion initiale à travers les politiques publiques d’incitation, notamment pour le développement des véhicules électriques.

Au final, le modèle californien est donc sans doute adapté aux foyers aisés des banlieues de San Francisco ou aux vedettes d’Hollywood, mais certainement pas à ceux des ghettos de Los Angeles ou du centre-ville de Delhi en Inde. Dès lors… énergie individuelle propre pour les riches et électricité carbonée de réseau pour les pauvres ?

La voiture électrique grand public Tesla 3 devrait sortir d’usine courant 2017. www.tesla.com


EDF avoue d’ailleurs cibler, avec son offre « Mon soleil et moi », cinq millions de maisons individuelles dans le quart sud-est de la France. Et le premier coup de poker marketing de Tesla était bien d’attaquer le marché du véhicule électrique "par le haut", la Tesla S étant avant tout un objet de prestige.

Mais rendons justice à Elon Musk : son nouveau plan dépasse les solutions strictement individuelles, puisqu’il prévoit pour les propriétaires de Tesla un service intégré de partage de voiture (le Airbnb du véhicule électrique !) et qu’il ouvre de nouvelles perspectives pour des bus électriques autonomes.

Il est difficile de dire pour l’instant si l’autoproduction solaire connaîtra un développement massif ou si elle restera sur des marchés-niches. Elle est aujourd’hui marginale, et dans tous les cas, le réseau continuera à jouer son rôle et les énergies renouvelables y seront présentes plus massivement.

C’est d’ailleurs sur le réseau qu’apparaissent d’autres problèmes liés au développement de ces énergies renouvelables, en particulier celui du passage de la pointe du soir. C’est la désormais célèbre "courbe du canard", qui nourrit déjà les débats en Californie. Mais elle pourrait être aussi d’ici peu la réalité des pays d’Europe du Sud (et de l’Allemagne). Il en sera question dans un prochain article.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation le 1er septembre 2016.

Publié le1 septembre 2016
Mis à jour le8 février 2017