Des communautés aux territoires : vers un réseau méditerranéen du coworking

Société Article
Que racontent ces nouveaux lieux des transformations de notre monde professionnel, social, politique ? Et comment les transformer en tremplins pour le développement des territoires ?

Depuis quelques années, on constate la multiplication de lieux dits « de coworking », dans le monde et en particulier en Europe. Si le premier « coworking space » est une invention américaine, la moitié de ces espaces se concentre aujourd’hui en Europe. L’émergence de ces nouveaux lieux de travail correspond à un besoin certain, face à la croissance des travailleurs indépendants et des pratiques de télétravail. Cependant, et au-delà d’une transformation du monde du travail, moins salarié et moins localisé, ils sont également le signe d’un autre management, d’un mode de gestion alternatif de la production, du territoire et de la gouvernance, d’un nouveau modèle économique et démocratique.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet européen CoWorkMed, dont l’Agence des villes et territoires méditerranéens durables (AVITEM) est chef de file. Rassemblant des partenaires français, grecs, italiens, croates et espagnols, le projet, financé par le programme Interreg MED, vise à fournir un état des lieux du coworking dans ces cinq pays partenaires, et créer des outils adaptés à la mise en réseau transnationale entre ces tiers lieux, vers l’émergence d’un réseau méditerranéen.

Une première étude réalisée dans le cadre de ce projet permet d’interroger l’émergence de ces nouveaux modes de travail et de construction sociale. Que racontent ces nouveaux lieux des transformations de notre monde professionnel, social, politique ? De quoi sont-ils les témoins ? Et comment les transformer en tremplins pour le développement des territoires ?

La communauté

Les tout premiers lieux de coworking, apparus à partir de 2006 aux États-Unis et très vite dans le reste du monde, sont directement issus du développement de l ‘économie de la connaissance et du numérique.

Ils se sont créés pour des travailleurs indépendants désirant partager un lieu de travail dans une communauté de besoins, de contraintes et de valeurs, et bénéficier d’un réseau actif, fertile en opportunités professionnelles. Le principe premier du coworking est donc autant un lieu qu’une communauté, un réseau de compétences et d’atouts partagés, souvent animé par des événements sociaux destinés à favoriser le tissage de liens entre les coworkers. C’est une émanation directe du concept de third place forgé par le sociologue américain Ray Oldenburg. Un « tiers lieu » situé quelque part entre le lieu privé et le lieu public, entre le domicile et le lieu de travail, un lieu de rencontre informel et créateur d’opportunités.

Dans la décennie qui a suivi, le concept a essaimé dans d’autres secteurs, donnant lieu à la création des lieux de production collaborative notamment dans l’innovation et la recherche, en particulier avec les fab lab. Puis les secteurs social, culturel et du service public s’en sont également emparés, donnant naissance à des espaces contributifs adaptés à leurs propres problématiques, avec l’idée de faire intervenir acteurs et usagers dans la création de services les plus adaptés aux besoins, grâce à une logique de co-construction.

Après quinze ans de développement de ces pratiques, on constate un impact fort et direct sur les territoires.

Le territoire

Suivant des logiques de pollinisation, d’accélération, d’incubation et autres processus de transformation des idées faisant intervenir le collectif, ces lieux sont devenus de véritables hubs d’innovation locale. Rassemblant une diversité d’acteurs de façon à la fois volontaire et spontanée, ils sont des épicentres de la créativité à l’échelle d’un territoire, d’une ville, d’un centre-ville. Ils activent ainsi par friction les dynamiques économiques locales et les encastrent avec les spécificités d’un territoire, créant un véritable écosystème régénératif pour le territoire.

Outre les effets directs de croissance économique, ils ont également des impacts indirects sur la gestion du territoire. Ils influent notamment sur la réduction des déplacements domicile-travail et des coûts environnementaux et économiques liés aux transports.

Ces lieux de rencontre et d’interaction entre professionnels et usagers contribuent aussi à resituer la richesse d’un territoire dans sa cohérence géographique. En créant un maillage concret et moteur entre les habitants, citoyens, usagers, travailleurs, préoccupés par les mêmes enjeux, notamment locaux, ils valorisent le territoire comme un capital à part entière, faisant converger ses atouts vers des objectifs communs.

Les collectivités et grands groupes ont d’ailleurs perçu les avantages de ce nouveau mode de travail. Les premières les utilisent pour revitaliser les centres-bourgs, en créant des services de proximité sur ce modèle comme un outil pour réancrer les habitants dans leur territoire, réactiver les ressources locales, réhabiliter des lieux anciens ou abandonnés, créer des liens de proximité et de petites mobilités, en bref recréer un écosystème local. Les seconds s’organisent de façon croissante sur le modèle du télétravail, permettant à leurs salariés d’utiliser les lieux de coworking pour économiser du temps de transport, et gagner ainsi en énergie, en bien-être et donc en productivité. C’est ainsi qu’une nouvelle vision de la gouvernance émerge.

La gouvernance

Par le développement du télétravail, les grandes entreprises améliorent les conditions de travail et de vie de leurs salariés, les rendant plus autonomes, plus créatifs, plus productifs. À travers le portage de projets territoriaux, les petits entrepreneurs s’approprient leur territoire et le dynamisent. Par l’impulsion de tiers lieux dans les domaines social et du service public, les collectivités s’inspirent de cette nouvelle tendance pour revitaliser les territoires en perte de vitesse face à des dynamiques globales, nationales et métropolitaines.

De nouveaux liens se tissent entre des groupes et acteurs jusque-là moins poreux. En effet, des premiers « coworkings spaces » où des professionnels de divers secteurs formaient des partenariats « opportunistes », optimisant les occasions offertes par les circonstances, aux nouvelles formes de tiers lieux, innovants, sociaux, culturels, ce sont de véritables partenariats public-privés-citoyens qui se nouent. À travers des lieux plus ou moins informels qui agissent en « facilitateurs de rencontres », c’est la société civile et la démocratie qui se réinventent dans ces lieux hybrides.

The ConversationAu bout de ses 18 mois de mise en œuvre, le projet CoWorkMed proposera une vision globale de ces réseaux sur les territoires partenaires (France, Italie, Espagne, Grèce, Croatie) permettant de favoriser leur reconnaissance institutionnelle et leur structuration transnationale comme levier d’innovation sociale en Méditerranée. À travers l’étude de nouveaux modèles, il fournira les bases pour la création d’un réseau méditerranéen du coworking.

Cet article a été co-écrit par Léonard Lévêque, Responsable du Pôle Coopération de l’AVITEM et Charlotte Yelnik, Consultante.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.



Publié le29 juin 2017
Mis à jour le30 juin 2017