Conflits d’intérêts : il faut plus de transparence dans les décisions politiques (3)

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Assemblée des
Assemblée des "Divins" de Westminster lors d'une discussion sur la liberté de conscience © Peinture de John Rogers Herbert
Un long chemin doit encore être parcouru si nous voulons mettre fin aux conflits d’intérêts. Le monde politique doit se réformer.
Dans notre article précédent, nous nous demandions si, après des décennies dans le flou, on était en passe de réussir à limiter les conflits d’intérêts dans la gestion des problèmes en santé environnementale. Avant de conclure, il est important de garder à l’esprit qu’alerte, recherche et expertise ne correspondent qu’aux premières étapes du processus de décision dans le domaine de la santé publique et la protection de l’environnement.

Transparence de la vie politique

Qu’en est-il de la dernière étape, celle de la gestion du risque par les décideurs politiques ? Elle est bien sûr cruciale. Il est important d’appliquer avec attention la politique de déclaration des conflits d’intérêts des élus et décideurs prévue par la loi sur la transparence de la vie politique. Cette pratique existe aussi, au moins dans la réglementation, au niveau des Commissaires européens.

Mais il est probable que la plupart des retards ou erreurs dans les décisions sur les questions de santé et d’environnement ne proviennent pas de conflits d’intérêts des politiques mais du fait que l’information scientifique ne parvienne pas jusqu’à eux, ou y parvienne déformée.

Rétention de l’information

Il est inefficace d’écarter les chercheurs ayant des intérêts en lien avec le sujet débattu des réunions d’expertise si, au moment où le dossier arrive sur le bureau du ministre ou du parlementaire, quelqu’un est là pour lui susurrer à l’oreille que "tout cela n’est pas très solide". Il est aussi possible que l’information ne lui parvienne pas du tout. Une information scientifique rigoureuse est nécessaire à la mise en place d’une vraie démocratie sanitaire, mais elle ne suffira pas s’il est facile de boucher le tuyau qui la transporte.

La table du Conseil des ministres. Chatsam/Wikipédia, CC BY-SA


Une condition pour l’éviter serait d’aller vers plus de transparence concernant les personnes morales et physiques avec qui les décideurs échangent avant de prendre une décision. Bien entendu, il est important que les décideurs consultent toutes les parties. Mais de la transparence est nécessaire dans ces consultations.

Les décideurs et leur cabinet ne pourraient-ils pas justifier qu’ils ne passent pas sans raison valable un temps disproportionné avec l’une des parties concernées par une décision, par rapport aux autres parties ? La capacité de lobbying d’une entité est, en première approximation, déterminée par l’ampleur des intérêts financiers mobilisables qu’elle représente. Ces intérêts financiers mobilisables ne sont pas forcément proportionnels au nombre de citoyens concernés (les fœtus et les femmes enceintes, "combien de millions d’euros ?"). Assurer cette transparence et cet équilibre dans les parties consultées, sans forcément fermer la porte au lobbying, permettrait d’aller vers un lobbying un peu plus équilibré…

Ces questions en lien avec la transparence de la décision publique sont au cœur de la démocratie. La visibilité des personnages politiques et de leurs actes est une chose, mais la lisibilité de ces actes en est une autre, comme le rappelle Pierre Rosanvallon, pour qui "l’exercice du pouvoir exécutif s’appréhende ainsi par la façon dont il élabore ses décisions et non pas seulement par le contenu de celles-ci".

Communication des mails

Il existe des pistes. Dans un effort de transparence, la Commission européenne peut aller jusqu’à communiquer les échanges de mails de ses fonctionnaires travaillant sur une question donnée – au moins s’y est-elle engagée, sous certaines conditions.

Cette question de transparence n’est pas un problème théorique. Revenons à la question de la pollution de l’air, qui est probablement un des enjeux environnementaux où les connaissances scientifiques sont les plus solides, et l’écart entre ces connaissances d’une part et la réglementation et l’action politique d’autre part le plus flagrant. La loi reconnaît à chacun le droit de "respirer un air qui ne nuise pas à sa santé" ; elle explique que les "seuils d’alerte et valeurs limites sont régulièrement réévalués pour prendre en compte les résultats des études médicales et épidémiologiques".

La pollution automobile tue. Ruben de Rijcke/Wikipédia, CC BY-SA


Or les études épidémiologiques réalisées depuis le début du siècle et auparavant montrent sans ambiguïté l’impact sanitaire majeur des polluants atmosphériques sur la santé, bien en dessous des seuils en vigueur en France et en Europe. Elles nous disent que 20 à 40 000 personnes, peut-être plus, décèdent chaque année du fait de l’exposition aux particules fines en suspension et aux polluants qui y sont associés.

Ce n’est pas l’existence possible de conflits d’intérêts chez quelques chercheurs qui se font entendre sur ce domaine qui peut expliquer cet écart entre les connaissances scientifiques, les exigences de la loi d’une part, et la décision politique d’autre part. Aux USA, la limite réglementaire sur l’exposition aux particules fines en suspension dans l’air (les PM2,5) n’est "que" 20 % au-dessus de la valeur recommandée par l’OMS, élaborée dans des conditions limitant la possibilité de conflits d’intérêts.

Anomalie démocratique, péril sanitaire

En Europe et en France, elle est 150 % au-dessus de cette valeur. Comment justifier un tel écart entre Europe et USA ? Par quels mécanismes la décision publique sur cette question peut-elle arriver à un tel hiatus entre connaissances et action ? Quels critères, en plus des résultats scientifiques que la loi demande de considérer, ont-ils été pris en compte par les décideurs ? Le niveau anormalement haut de ces normes sur la pollution atmosphérique constitue une anomalie démocratique, en plus d’un péril sanitaire. Comment expliquer que les politiques n’entendent pas les scientifiques, et qu’il n’y ait pas d’instance politique ou juridique qui se saisisse de cette anomalie ?

Cette question de la prise en compte des conflits d’intérêts dans la recherche et l’expertise en santé et environnement, comme on le voit ici, interroge l’articulation entre science et politique, et in fine le fonctionnement de notre démocratie dans son ensemble.

Dans le premier article de cette série en trois volets, nous avions vu comment les conflits d’intérêts pouvaient perturber les deux premières étapes de la gestion des risques sanitaires et environnementaux, à savoir l’alerte et la recherche.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Publié le9 juin 2016
Mis à jour le8 février 2017