À l’approche de son 30e anniversaire, le GIEC face à un triple défi

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Détail d’une carte de la NASA montrant des anomalies de températures pour avril 2017. Il s’agit d’un des mois les plus chauds jamais observé sur la planète. © NASA
Détail d’une carte de la NASA montrant des anomalies de températures pour avril 2017. Il s’agit d’un des mois les plus chauds jamais observé sur la planète. © NASA
Ce groupe d’experts internationaux, dont le rôle est d’évaluer l’état des connaissances sur le climat et de produire des rapports pour les décideurs, entre dans une période de turbulences inédite.

L’Amérique de Donald Trump vient de se retirer de l’Accord de Paris. Malgré l’onde de choc provoquée par cette décision, on peut dire que le mal était déjà fait depuis des semaines.

Le nouvel homme fort de Washington a en effet signé le 28 mars dernier un décret qui balaie l’essentiel de la politique climatique programmée par le président Barack Obama. Et il s’apprête à réduire le budget de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) de 30 % et celui de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), première agence américaine de recherche sur le climat, de 17 %.

Il a aussi promis de supprimer, ou de réduire considérablement, les financements pour le changement climatique bénéficiant aux institutions onusiennes. Les conséquences pourraient être rudes pour le GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (IPCC en anglais), confronté par ailleurs à d’autres turbulences.

 Le défi du financement à l’ère Trump

Le GIEC a été créé en 1988 sous les auspices de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) à la demande explicite des gouvernements, États-Unis en tête.

La place centrale de Washington au sein du GIEC ne s’est depuis jamais démentie. Les États-Unis ont ainsi toujours été le plus important contributeur au budget de l’organisation. À eux seuls, ils assurent aujourd’hui près de 45 % de ses coûts de fonctionnement. Il faut par ailleurs noter que les contributions et le nombre de bailleurs de fonds ont constamment diminué depuis 2008.

Si Trump revient sur l’engagement financier de son pays en faveur des organisations internationales en charge du changement climatique, les conséquences pourraient en être redoutables pour la pérennité des travaux en cours et à venir du GIEC. D’ailleurs dans son budget pour l’année fiscale 2017, Washington n’a provisionné aucun financement pour l’organisme.

Face à cette situation inédite, ce dernier a créé fin mars une "équipe spéciale" dédiée à la question de sa stabilité financière.

Le défi des solutions à trouver pour le climat

Dès son élection, en octobre 2015, le nouveau Président du GIEC, le sud-coréen Hoesung Lee, annonçait l’orientation centrale de son mandat : "I would like to be remembered as the chairman that shifted the IPCC’s focus to solutions" ("Je voudrais que l’on se rappelle de moi comme de celui qui a conduit le GIEC à mettre l’accent sur les solutions").

Dans un entretien accordé à The Conversation, Hoesung Lee précisait ainsi que pour la rédaction du prochain rapport du GIEC – attendu en 2022 – le panel d’experts devait "se tourner de plus en plus vers les sciences sociales, les sciences politiques et l’analyse économique."

Alors que le 5? rapport du GIEC publié en 2013 avait permis l’acquisition des connaissances de base sur le changement climatique, depuis la signature de l’Accord de Paris fin 2015, l’heure est clairement à la décision politique et à la mise en œuvre de solutions.

L’orientation des travaux et préconisations du GIEC vers les sciences sociales témoigne d’une période nouvelle, plus ouverte mais aussi plus risquée : les aspirations conflictuelles et les rapports de force seront d’une autre teneur et d’une autre amplitude que les seuls débats et controverses entre climatologues.

Comment sont élaborés les rapports du GIEC et à quoi ils servent (IPCC, 2017).

Le défi du positionnement sur l’objectif des 1,5 °C

Dans ses premiers paragraphes, l’Accord de Paris propose de "contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C."

Au titre de l’Accord, les États ont demandé au GIEC de "produire en 2018 un rapport spécial sur l’impact d’un réchauffement global de 1,5 °C […] et sur les profils des émissions de gaz à effet de serre (GES) correspondantes". Le GIEC a répondu positivement, des experts ont été retenus, le cadrage et le contenu du rapport ont été précisés à l’automne 2016.

L’exigence de limitation à 1,5 °C a été portée dans les derniers jours de la COP21 par une coalition de petits États insulaires, de pays particulièrement vulnérables au réchauffement et de pays en développement. Les climatologues du GIEC se sont bien gardés, à notre connaissance, de participer au débat. Des scientifiques auraient également été briefés par des ONG pour ne pas intervenir à l’encontre d’un plafond auquel ils ne croient pas ou plus. « Inclure les 1,5 °C dans l’Accord était un objectif moral », a reconnu Saleemul Huq, directeur de l’International Centre for Climate Change and Development de Dhaka (Bangladesh) et avocat célèbre des pays pauvres et vulnérables.

C’est la première fois qu’un rapport sur les implications d’une cible explicite de réchauffement à ne pas dépasser est commandé, première fois aussi que les négociations climatiques définissent implicitement un seuil dangereux de réchauffement.

Le GIEC à un tournant de son histoire

Les délais pour réaliser l’évaluation promise en 2018 sont courts. Surtout, les publications sont rares et les interrogations et contraintes multiples. Répondre à la demande des gouvernements est un challenge pour le GIEC et les chercheurs.

Une chose dont on soit sûr cependant : ne pas dépasser 1,5 °C d’ici la fin du siècle implique des transformations considérables des systèmes énergétiques, dont celle de maintenir la demande énergétique annuelle moyenne sur le siècle à un niveau très bas, guère plus que celle correspondant à l’année 2010. 

Or les travaux de modélisation utilisés aujourd’hui pour identifier les différentes trajectoires visant à tenir la limite des 2 °C négligent la contribution au réchauffement des gaz à effet de serre autres que le CO2 ; et ils contiennent tous des hypothèses hautement spéculatives sur la neutralité carbone et les émissions négatives. Enfin, les technologies de géo-ingénierie impliquées dans ces processus en sont encore au stade conceptuel et régulièrement mises en cause pour leur dangerosité.

Il y a aussi toutes ces incertitudes – en particulier celles sur les relations entre émissions et changements de température –, qui rendent bien difficile de savoir si l’on se dirige effectivement vers un réchauffement de 1,5 °C ou plutôt de 2 °C.

Aujourd’hui, un large consensus se dessine autour de l’impossibilité de gagner la bataille des 1,5 °C ; la question porte désormais sur la date à laquelle cette limite se verra franchie : d’ici quatre ans ? D’ici quinze ans ?

The ConversationDans ce nouveau contexte délicat se pose une autre question, celle du rôle que pourra jouer le GIEC dans les années à venir. Pourquoi pas celui, essentiel, de facilitateur des discussions et négociations sur les transformations sociétales, les alternatives en présence et leurs implications politiques ? Certainement une rude tâche pour les climatologues et experts.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.


 

Publié le6 juin 2017
Mis à jour le7 juin 2017