The conversation : "Pourquoi ce qui nous arrive entre 15 et 25 ans nous marque pour la vie"

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Ah, la jeunesse… © Kaspars Grinvalds
Ah, la jeunesse… © Kaspars Grinvalds
Si vous demandez aux gens de vous raconter des moments marquants de leur vie, ils évoquent généralement des événements qui se sont produits entre leur 15e et leur 25e année. Qu’il s’agisse d’événements ordinaires, de sport ou d’événements publics importe peu. Ils se rappellent indifféremment des stars qui ont remporté un Oscar, d’un tube musical, d’un livre, ou de souvenirs plus personnels. Les chercheurs en sciences de la mémoire nomment cela le pic de réminiscence – en référence à la forme de la courbe que nous traçons pour représenter les souvenirs biographiques d’une personne au fil de sa vie.

C’est là l’une des rares découvertes de la psychologie cognitive qui ne soit pas contestée. Plus personne ne cherche à prouver l’existence de ce pic ; désormais, nous nous demandons plutôt ce qui l’explique. Les recherches en neurobiologie suggèrent que ce pic est lié à la façon dont le cerveau se développe, qui nous mène à encoder de manière pérenne les informations collectées à cette période de nos vies.

Selon certains chercheurs, nous sommes simplement plus doués pour nous remémorer nos premières expériences – premier baiser, première leçon de conduite, etc. – or ce sont des expériences que nous vivons majoritairement entre 15 et 25 ans. Selon d’autres chercheurs, le pic de réminiscence est simplement dû à une période marquante de notre vie, au cours de laquelle les expériences que nous vivons sont particulièrement importantes et valorisées. En outre, nous les partageons volontiers, nous en discutons après les avoir vécues.

Les recherches menées avec mon équipe suivent une piste différente, partant du principe que le pic de réminiscence se produit entre 15 et 25 ans parce que c’est une période de la vie où nous stockons des informations qui définissent notre personnalité d’adulte en devenir – une forme de cristallisation de la mémoire biographique, en quelque sorte. Nous avons donc décidé de tester cette hypothèse.

À la recherche du pic de réminiscence…

Contrairement aux recherches menées avant la nôtre, nous ne souhaitions pas nous fonder sur des tests de mémoire pour cette étude. En effet, par définition, dans les tests de mémoire, ce dont les gens se souviennent revêt un sens particulier pour eux. C’est parfaitement logique ! Sinon ils ne s’en souviendraient pas. On ne se rappelle pas d’événements qui n’ont pas de sens pour nous, on ne fait pas attention à des informations que l’on trouve insignifiantes ; et on bataille encore moins pour se les remémorer. Dans la mesure où nous sommes intimement liés à ce qui nous façonne, nous nous en rappelons évidemment.

On pourrait être tenté de contourner ce problème en demandant aux participants de se rappeler d’événements ou de chansons qui n’ont pas de signification particulière pour eux. Mais quelles que soient les choses qui leur viendraient à l’esprit, elles ne seraient pas totalement dénuées de sens pour eux. Même si la personne pense que cette chose dont elle se souvient n’a aucun sens pour elle, cela définit quand même qui elle est. Nous voulions éviter ce problème de circularité.

Des souvenirs impérissables… suzi44


Nous avons donc choisi d’utiliser une autre modalité de test classique chez les spécialistes de la mémoire : l’identification par la reconnaissance. Au lieu de demander aux participants de faire appel librement leurs souvenirs, nous leur avons demandé de choisir, ce dont ils se rappelaient dans une liste de films ayant remporté un Oscar ou de tubes musicaux sortis entre 1950 et 2005. En considérant l’âge des participants au moment de la sortie des films ou des tubes dont ils se souvenaient – ou sur la date qu’ils évoquaient en l’associant à tel film ou telle chanson –, nous avons constaté que les associations les plus courantes se produisaient entre 15 et 25 ans.

Nous avons aussi demandé aux participants de choisir leurs 5 titres et films préférés dans la liste : c’est là que résidait la nouveauté de notre étude. Cela nous permettait de visualiser, sur une courbe retraçant la vie des participants, si la proportion de films/chansons qui leur importaient peu était aussi importante que celle des films/chansons qui leur tenaient à cœur, toujours entre 15 et 25 ans. Si nous avions découvert que les films/chansons peu signifiants pour les participants produisaient aussi un pic de réminiscence, alors nous aurions pu abandonner notre hypothèse du développement de la « mémoire de soi » et en revenir à des théories plus classiques des neurosciences.

En réalité, nous avons découvert que lorsqu’il s’agissait de films/chansons peu signifiants pour les participants, ces derniers ne les associaient pas plus à la période située entre 15 et 25 ans qu’à une autre période de leur vie. Pour confirmer ce résultat, nous avons mené une deuxième étude, dans laquelle nous leur demandions à la fois quelles étaient leurs chansons préférées et de quelles chansons ils se souvenaient. Nous avons obtenu les mêmes résultats.

Nombrilisme

Les résultats obtenus laissent à penser que si les gens se souviennent mieux de cette période critique de leur vie que de toute autre période, c’est bel et bien parce que c’est un moment clé pour la construction de leur identité. Les choses qui n’ont pas d’impact sur notre identité sont tout simplement oubliées. Nos goûts, ce que nous vivons, les informations que nous recevons et les médias que nous consultons à cette période de nos vies sont donc déterminants pour le reste de notre existence.

Son visage vous dit quelque chose ? Featureflash


Cela ne remet pas forcément en cause les théories qui indiquent que le pic de réminiscence est lié à la façon dont la mémoire se développe, ou à un certain type de culture. La question de savoir pourquoi certaines choses ont du sens pour nous reste en suspens, et ces autres théories peuvent nous aider à le comprendre. Nous sommes peut-être socialement conditionnés pour considérer que telle ou telle chose est appréciable ou importante ; ou bien peut-être que nous nous appuyons sur les mécanismes de la mémoire pour préserver notre sentiment du soi.

Il reste une avenue à explorer : celle des films et des chansons dont nous nous rappelons très bien alors que nous ne les apprécions pas. Nous devons mener de nouvelles études pour savoir si ce phénomène obéit à la règle de la période située entre 15 et 25 ans, même si ces films et ces chansons ne définissent pas qui nous sommes. Pour l’heure, en tous cas, nous savons que les chansons, les films, les livres ou les événements que nous croisons pendant nos jeunes années et qui comptent pour nous deviennent probablement des compagnons de route pour toute la vie, et qu’ils représentent même une part de notre identité.

Les auteurs remercient Audrez Mazancieux, doctorante au Laboratoire de Psychologie et Neurocognition de l'Université Grenoble Alpes pour son aide précieuse.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Publié le15 janvier 2017
Mis à jour le23 juillet 2018