The Conversation : "Les malades mentaux, une catégorie d’êtres à part ?"

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Les personnes souffrant de troubles mentaux ne sont pas forcément si différentes. Scène de Vol au-dessus d'un nid de coucou (Miloš Forman, 1975). Cinémathèque française / DR
Les personnes souffrant de troubles mentaux ne sont pas forcément si différentes. Scène de Vol au-dessus d'un nid de coucou (Miloš Forman, 1975). Cinémathèque française / DR
Les troubles mentaux sont si dévalués que les individus concernés sont considérés comme à part, différents du reste de l’humanité. Mais ont-ils vraiment si peu en commun avec les gens "normaux" ?

Schizophrénie, bipolarité, autisme, déficience intellectuelle… La plupart du temps, les déviations à la norme sont perçues négativement et les individus ayant des troubles mentaux, surtout psychiatriques, sont souvent considérés comme appartenant à une catégorie d’êtres à part, n’ayant aucun point commun avec les autres, les gens normaux. Mais ont-ils vraiment si peu de points communs ?

La personne normale n’existe pas

La normalité désigne, au sens statistique, la majorité des individus. « Être normal » signifie donc « être comme la majorité ». Mais imaginons un homme qui soit de taille normale, cela suffit-il à faire de lui une personne normale ? Est-il aussi de poids normal ? D’une intelligence normale ? D’une couleur de cheveux normale ? D’une orientation sexuelle normale (c’est-à-dire similaire à celle de la majorité) ?

Et quand bien même il remplirait ces critères, nous ne pourrions jamais avoir la certitude que nous avons bien énuméré l’ensemble des caractéristiques possibles. Nous pourrions toujours en avoir oublié une, sur laquelle notre homme « normal » serait finalement anormal. Ainsi, la normalité constitue une référence à ce qui est majoritaire, et donc habituel, mais aucune personne ne peut être totalement normale. Dit autrement, la personne normale n’existe pas.

Dans son acceptation courante la normalité est souvent perçue comme une caractéristique souhaitable, a contrario de l’anormalité qui serait à éviter. Mais appartenir à la majorité n’est pas en soi un gage de qualité. Ainsi, avoir une coupe de cheveux normale ne signifie pas que votre coiffure est mieux que celle des autres, ni que celle des autres est moins bien que la vôtre. Dans certains cas la rareté statistique peut même être synonyme de plus-value, comme en ce qui concerne les personnes d’intelligence exceptionnellement élevée.

Classifier les troubles mentaux

Dans leur acceptation la plus large, les troubles mentaux renvoient aux perturbations de la cognition, de la régulation des émotions ou encore du comportement. Ils sont recensés dans des classifications telles que la CIM-10 ou le DSM-5 et renvoient à des affections psychiatriques (troubles bipolaires, schizophrénie, dépression, troubles anxieux, etc.) ou encore à des troubles neurodéveloppementaux (autisme, hyperactivité, dyslexie, etc.).

Les classifications telles que la CIM ou le DSM ne sont pas figées. Elles évoluent d’une époque à l’autre, tant en ce qui concerne les catégories définies que les critères à remplir pour y appartenir. Par exemple, en 1980, l’« autisme infantile » incluait uniquement des individus présentant d’importants déficits dans le développement du langage. En 1994 (DSM-IV), ce critère n’apparaît plus comme nécessaire pour le diagnostic du « trouble autistique », lequel est alors distingué du « syndrome d’asperger » et des « troubles envahissants du développement non spécifiés ». Puis en 2013, à l’entrée en vigueur du DSM-5, ces différents troubles ont été regroupés sous l’appellation « troubles du spectre autistique ».

Les classifications constituent en fait un cadre artificiel destiné à la compréhension des individus. Elles permettent de cibler dans la population les personnes qui ont besoin d’un soutien particulier. Elles sont un prérequis nécessaire pour pouvoir ensuite proposer un suivi orthophonique aux dyslexiques, une éducation spécialisée aux enfants avec autisme, un traitement et/ou une éducation thérapeutique pour des personnes avec schizophrénie, bipolarité ou anxiété, etc.

Les classifications diagnostiques proposent une répartition des individus en deux catégories. D’un côté les personnes qui n’ont pas de troubles mentaux, celles qui entrent dans la norme, c’est-à-dire qui sont majoritaires ; de l’autre côté, la catégorie des personnes qui ont des troubles mentaux, la minorité qui s’écarte de la norme.

L’existence de ces classifications peut laisser croire à la présence d’une barrière nette entre ces deux catégories d’individus, telle que toute personne se classerait très facilement dans une case ou dans l’autre. Ces catégories étant mutuellement exclusives, une personne serait soit normale soit anormale, sans possibilité de recouvrement. Mais la frontière est-elle si nette ?

Des critères fluctuants

Les critères diagnostics des maladies mentales évoluent, et les modifications des classifications qui résultent de ces changements suscitent toujours des débats houleux entre experts. Ceci témoigne de leur caractère arbitraire et indique qu’il n’existe pas de frontière nette entre le normal et le pathologique.

Les caractéristiques mentales des individus constituent plutôt un spectre continu, à l’instar des couleurs du spectre lumineux. Bien qu’il n’existe pas de délimitation précise entre chacune des couleurs qui le composent, le spectre de la lumière peut néanmoins être découpé en plusieurs catégories : violet, bleu, vert, jaune, orange et rouge. Ces catégories de couleurs sont choisies arbitrairement comme en témoigne le découpage différent dans certaines cultures. Ainsi, le peuple kazakh ne fait pas de distinction entre le vert et le bleu, qui sont désignés par un même mot.

De la même façon, des troubles mentaux peuvent être séparés ou regroupés de manière différente selon les classifications diagnostiques en vigueur, comme dans le cas de l’autisme. De plus, des caractéristiques a priori anormales, tel le fait d’entendre des voix, peuvent exister chez des personnes considérées « normales ». La forte ressemblance de certains troubles mentaux avec des états existant chez tout un chacun peut par ailleurs laisser penser aux autres, lors de l’aveux (souvent honteux) d’un tel diagnostic, que la personne concernée se cherche des excuses pour ne pas faire d’effort, ou souhaite attirer l’attention. Ainsi, il n’est pas rare pour une personne ayant une dépression de se voir conseiller de « se forcer un peu ». Ce qui reviendrait à suggèrer à une personne asthmatique de respirer correctement…

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La stigmatisation des troubles mentaux trouve ses origines dans cette idée reçue selon laquelle les malades mentaux seraient des personnes à part. Plutôt que considérés comme deux entités distinctes, le normal et le pathologique devraient être perçus comme les extrémités d’un même spectre avec, entre les deux, toute une gamme de possibilités.

À l’heure où de nombreux moyens existent pour atténuer les troubles mentaux, être dépressif, schizophrène, bipolaire ou encore autiste ne devrait plus être une source d’exclusion. La personne n’est pas son trouble mental. Celui-ci devrait plutôt être vu comme un compagnon qui n’a pas été choisi, et avec lequel il faut faire au mieux pour vivre.The Conversation

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.



Publié le3 octobre 2018
Mis à jour le4 octobre 2018