La délicate mesure du coefficient d'absorption de la glace pure dans le visible

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SOLEXS, l'instrument développé au LGGE pour mesurer la décroissance de l'intensité lumineuse dans la neige © Quentin Libois / LGGE
SOLEXS, l'instrument développé au LGGE pour mesurer la décroissance de l'intensité lumineuse dans la neige © Quentin Libois / LGGE
Des chercheurs du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement (LGGE - CNRS / Université Grenoble Alpes) viennent de réaliser une nouvelle estimation, plus de 30 fois supérieure à la précédente réalisée en 2006 par une équipe américaine, du coefficient d'absorption de la glace pure dans le visible. Pour cela, ils ont utilisé un plus grand nombre d’échantillons ainsi qu’un instrument de mesure et une méthode d’analyse plus précis. Bien que les causes profondes de la différence entre ces deux études restent mal comprises, les chercheurs recommandent d'utiliser cette nouvelle estimation, laquelle conduit à une augmentation de 0,9 W/m2 de l'énergie absorbée par la calotte polaire antarctique et à une division par trois de la quantité de rayonnement disponible à 25 cm de profondeur pour les réactions photochimiques ou l'activité biologique.
Les propriétés optiques de la neige, de la glace de mer et des nuages constitués de cristaux de glace dépendent fondamentalement du coefficient d'absorption de la glace pure. Bien que ce dernier soit déterminant pour le bilan d'énergie des surfaces enneigées, et donc pour le climat, il reste difficile à estimer dans la partie visible du spectre solaire (surtout sur la plage 400-600 nm) où la glace absorbe extrêmement peu. La raison de cette difficulté ? Le rayonnement visible peut traverser des centaines de mètres de glace avant d'être absorbé, si bien qu'il faut des échantillons de glace pure de plusieurs mètres de long pour pouvoir mesurer précisément leur absorption. Or, préparer en laboratoire de tels échantillons est très délicat et il n'en existe pas dans la nature…

Une alternative originale consiste à mesurer l'absorption de la lumière dans la neige. En effet, du fait de ses nombreuses réflexions entre les grains de neige, un rayonnement mesuré à quelques centimètres de profondeur aura en fait parcouru des centaines de mètres à travers la glace qui constitue ces grains. Pour exploiter au mieux ce phénomène, encore faut-il trouver de la neige extrêmement propre. Il n'y a probablement que sur le plateau antarctique qu’il est possible de trouver une telle neige, vierge de toute pollution du fait de l'isolement de la calotte polaire australe. C'est sur ce principe que s'est basée une étude américaine réalisée à Dôme C et parue en 2006, dont les résultats sont désormais utilisés par les climatologues et de nombreux modélisateurs du transfert radiatif dans la neige.

Ayant analysé les détails de cette étude, des chercheurs du LGGE ont identifié des failles dans le protocole expérimental et dans les résultats. Ils ont donc réalisé, de 2012 à 2014 à Dôme C, de nouvelles mesures, similaires aux précédentes mais portant sur un plus grand nombre de cas, à l’aide d’un instrument optique plus performant (développé au LGGE et baptisé Solar extinction in snow, SOLEXS). Pour l'analyse des données obtenues, ils ont en outre utilisé une méthode[1] plus robuste.

Toutes les mesures convergent vers un coefficient d'absorption autour de 450 nm plus de 30 fois supérieur à la valeur qui fait actuellement référence. Une analyse détaillée des causes pouvant expliquer une telle différence a permis d'exclure la présence d'impuretés résiduelles dans la neige, les erreurs de mesure et de protocole ainsi que d’autres artefacts liés à la perturbation de l'instrument lorsqu'il est inséré dans la neige. En conclusion, il semble que le seul cas étudié en 2006 était de qualité insuffisante pour déduire de manière fiable le coefficient d'absorption de la glace, un risque que les auteurs évoquaient dans leur conclusion.

Les chercheurs recommandent donc d'utiliser la nouvelle estimation de la valeur du coefficient d'absorption de la glace dans le visible, même s’il est impossible de conclure avec certitude dans la mesure où les causes profondes de la différence entre ces deux estimations restent mal comprises.

Coefficient d'absorption de la glace en fonction de la longueur d'onde dans le visible et l'ultraviolet
Coefficient d'absorption de la glace en fonction de la longueur d'onde dans le visible et l'ultraviolet. En orange l'estimation de 1984 (qui faisait référence avant l'étude de 2006), en vert l'estimation de 2006 qui sert aujourd'hui de référence, et en gris la nouvelle estimation.

D'un point de vue pratique, utiliser ce nouveau coefficient d'absorption modifie significativement l’évaluation de l'absorption du rayonnement solaire par les surfaces enneigées et de la pénétration de la lumière dans la neige. Les chercheurs estiment que cela conduit à une augmentation de 0,9 W/m2 de l'énergie absorbée par la calotte polaire antarctique et qu'à 25 cm de profondeur, la quantité de rayonnement disponible pour les réactions photochimiques ou l'activité biologique est environ trois fois moindre. Ce résultat pourrait donc affecter un grand nombre d'études sur le climat, la chimie et la biologie.

[1] La méthode consiste à mesurer la décroissance exponentielle de l'intensité lumineuse dans le manteau neigeux. La mesure du taux de décroissance permet d'estimer le coefficient relatif d'absorption de la glace entre différentes longueurs d'onde. Le coefficient absolu est ensuite déduit en s'appuyant sur les longueurs d'onde où il est connu avec précision (au-delà de 600 nm en pratique).

Source : Actualités du CNRS-INSU


Publié le12 décembre 2016
Mis à jour le8 février 2017