Avis de tempête sur les trous noirs

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Vue d'artiste des vents d'accrétion autour d'un trou noir © NASA/Swift/A. Simonnet, Sonoma State University
Vue d'artiste des vents d'accrétion autour d'un trou noir © NASA/Swift/A. Simonnet, Sonoma State University
Toute la matière en orbite autour d’un trou noir ne finit pas irrémédiablement engloutie par celui-ci. La matière forme un disque d’accrétion autour du trou noir, lieu de processus physiques complexes. Des éruptions de rayons X intenses ont lieu lorsque ce disque devient instable. Une équipe comprenant un chercheur de l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (IPAG / OSUG, CNRS / Université Grenoble Alpes) vient de montrer que ces éruptions indiquent la présence d’un vent puissant, qui éjecte de la matière présente dans le disque et, ainsi, régule l’accrétion sur le trou noir.

L’accrétion de matière sur un trou noir libère une quantité phénoménale d’énergie, à condition que la matière soit effectivement transportée vers le trou noir au lieu de tourner en rond par conservation de son moment cinétique. L’étude des processus de transport dans les disques d’accrétion constitue donc un ingrédient essentiel pour comprendre comment les trous noirs libèrent et injectent de l’énergie dans leur environnement.

Dans une étoile binaire X, un trou noir de masse stellaire, résultat de l’effondrement d’une étoile massive en fin de vie, accrète la matière qui lui est cédée par son compagnon, une étoile normale suffisamment proche du trou noir pour ressentir son attraction gravitationnelle. Les observations en rayons X montrent que le disque d’accrétion autour du trou noir est le siège d’éruptions intenses suivies de phases dormantes. Les éruptions durent de quelques semaines à quelques mois pendant lesquels certaines binaires X deviennent les objets les plus brillants du ciel X. Elles sont en revanche quasi imperceptibles lors de la phase dormante, pouvant durer plusieurs dizaines d’années. Le rayonnement X trace le flux de matière accrété par le trou noir. L’analyse des variations du rayonnement X apporte donc un éclairage sur les mécanismes de transport de matière dans ces disques.

Bailey Tetarenko, Craig Heinke et Greg Sivakoff de l’Université d’Alberta (Edmonton, Canada) ont réuni dans une base de données les mesures provenant de multiples observatoires en rayons X pour reconstruire aussi complètement que possible les variations du rayonnement X lors des éruptions. Ils ont ensuite voulu tester le modèle des éruptions développé, entre autres, par deux chercheurs du CNRS, Jean-Pierre Lasota (Institut d’Astrophysique de Paris) et Guillaume Dubus (Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble), qui permet de relier la chute de la luminosité X durant l’éruption à un paramètre fondamental de la physique de l’accrétion, le fameux paramètre alpha.

Ce paramètre mesure l’efficacité du transport dans le disque. Les valeurs mesurées dans d’autres systèmes comportant des disques d’accrétion indiquent une valeur de alpha allant de 0.1 à 0.2, ce qui concorde avec les études théoriques qui expliquent ce transport par la turbulence générée par un champ magnétique faible cisaillé par le mouvement de la matière dans le disque. Une approche statistique avancée, a permis d’ajuster le modèle théorique aux courbes de lumière d’une douzaine de binaires X et de mesurer, pour la première fois et de manière fiable, la valeur de alpha dans ces systèmes. Le paramètre alpha mesuré varie entre 0.2 et 1, bien au-delà de ce qui avait été mesuré jusqu'à présent.

Une accrétion aussi rapide ne peut être expliquée que par la perte d'une fraction substantielle de la matière du système, ou si le transport turbulent est amplifié par la présence d’un champ magnétique à grande échelle, ce qui génère également un vent emportant une partie de la matière hors du système. La signature de tels vents est présente dans les spectres X obtenus à certain stades de l’éruption. Les résultats présentés ici établissent, par une méthode indépendante, que ces vents sont continuellement présents lors de l’éruption et que le mécanisme de perte de masse joue un rôle aussi fondamental que la turbulence plasma dans la dynamique des disques d’accrétion.

Les résultats de cette étude, publiés dans Nature, jette donc un nouvel éclairage sur la façon dont les transferts de masse vers les trous noirs et comment les trous noirs peuvent affecter l'environnement qui les entoure.


Publié le22 janvier 2018
Mis à jour le30 janvier 2018