William Hogarth et les révolutions du regard

Séminaire Recherche
le  6 avril 2017Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire
Premier grand artiste de l’École anglaise de peinture, William Hogarth est l’héritier direct des grandes révolutions scientifiques et philosophiques qui ont marqué la Grande-Bretagne à l’aube du siècle des lumières. Proposant un regard résolument nouveau et "moderne" sur la Nature dans toute sa matérialité, y compris la nature humaine, vantant les mérites d'une esthétique dynamique, et comparant la perception à une poursuite, Hogarth ne cesse de souligner l'importance, pour l'artiste puis pour le spectateur, de l'activité expérimentale de découverte. L'œuvre d'art, instrument d'optique, intensifie le réel, l'ouvre au regard et en permet une véritable expérience, jusque dans ses moindres détails. L'image artistique rejoint l'image scientifique au service d'un projet épistémologique où le poco piu, loin d'être l'évanescent et mystérieux secret de l'artiste, est le fruit concret de l'expérience et où le beau est avant tout affaire de vérité.

Le centre de recherche CEMRA / ILCEA4 de l'Université Grenoble Alpes organise ce séminaire sur la notion de "détail". En effet, le détail est, par définition, ce sur quoi le regard passe sans y prêter vraiment attention, ce dont la conscience se désintéresse spontanément, ce qu'elle délaisse au profit du sens global, obvie, saisi de prime abord. Pourtant, si le détail peut être considéré comme l'insignifiant même, il peut aussi tenir un rôle central dans l'économie de l’œuvre poétique et picturale. De ce point de vue, ce "petit rien" devient, à bien y regarder, le point d'ancrage de la signifiance, l'espace faussement futile d'une émergence, la zone secrète de la sécrétion du sens où s'élabore une logique insistante donnant à l’œuvre toute sa densité. Ainsi le lièvre minuscule – presque imperceptible – détale-t-il devant la locomotive dévorante du célèbre tableau de Turner (Rain, Steam and Speed), alors que le faisan (cock-pheasant en anglais...) – dont une seule plume reste visible – s'absente mystérieusement des genoux de la castratrice Mrs Andrews dans la toile inachevée de Gainsborough (Mr and Mrs Andrews). Dans ces deux cas, loin d'être anecdotique, la valeur du détail est matricielle. De la même manière, et parmi de nombreux autres exemples, les chevilles enflées de Simon Lee – détail grossier mais extraordinairement grossi (voir les nombreuses répétitions) du poème éponyme de Wordsworth – délivrent l'essence même de l'esthétique du romantique, tandis que le vers ajouté par Tennyson à son sonnet « The Kraken » (vers lui-même excédentaire d'un pied) révèle la prégnance d'un désir indicible qui s'incarne dans la langue sous la forme d'une broutille métrico-linguistique. Abolis bibelots d'inanité sonore et visuelle (dira-t-on pour emprunter en l'adaptant sa belle formule à Mallarmé), ces détails informent ainsi les œuvres dont ils représentent peut-être la clé. Mettre au jour les implications historiques, esthétiques, philosophiques ou psychanalytiques des grandes œuvres poétiques et picturales du monde anglophone : telle sera l'ambition de ce séminaire au cours duquel, paradoxalement, l'insignifiant présidera à l'élaboration du sens.
 
Partenaire(s) : Centre de recherche CEMRA / ILCEA4
Publié le  28 mars 2017
Mis à jour le  28 mars 2017