Le détail : la vie secrète des plantes

Séminaire Recherche
le  2 mai 2018Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire
Ce sémianire sera animée par Sophie Laniel-Musitelli, maître de conférences à l'Université de Lille.
On considère parfois le Romantisme comme le règne de la pathetic fallacy, cette fâcheuse tendance à faire du monde naturel un simple reflet des sentiments humains. Pourtant, la poésie romantique britannique fut aussi le lieu d’une découverte de l’étrangeté radicale des plantes. Les avancées de la physiologie végétale mettent au jour la vie obscure et secrète d’organismes qui boivent, mangent, respirent, et se reproduisent selon des modalités radicalement différentes du monde humain. Nous verrons que certains poèmes de William Blake, P. B. Shelley, ou encore John Clare prennent en compte ces découvertes et sont animés par de déroutantes rencontres entre les règnes, expériences qui se situent entre l’inquiétante étrangeté et la communauté d’affects.

Texte de cadrage du séminaire


La thématique retenue par le CEMRA pour le contrat quinquennal 2015-2020 est celle des "lieux de passage". C’est sur la base de cette notion que l’axe "Poésie" organise un séminaire sur la notion de "détail". En effet, le détail est, par définition, ce sur quoi le regard passe sans y prêter vraiment attention, ce dont la conscience se désintéresse spontanément, ce qu'elle délaisse au profit du sens global, obvie, saisi de prime abord. Pourtant, si le détail peut être considéré comme l'insignifiant même, il peut aussi tenir un rôle central dans l'économie de l’œuvre poétique et picturale. De ce point de vue, ce « petit rien » devient, à bien y regarder, le point d'ancrage de la signifiance, l'espace faussement futile d'une émergence, la zone secrète de la sécrétion du sens où s'élabore une logique insistante donnant à l’œuvre toute sa densité. Ainsi le lièvre minuscule – presque imperceptible – détale-t-il devant la locomotive dévorante du célèbre tableau de Turner (Rain, Steam and Speed), alors que le faisan (cock-pheasant en anglais...) – dont une seule plume reste visible – s'absente mystérieusement des genoux de la castratrice Mrs Andrews dans la toile inachevée de Gainsborough (Mr and Mrs Andrews). Dans ces deux cas, loin d'être anecdotique, la valeur du détail est matricielle. De la même manière, et parmi de nombreux autres exemples, les chevilles enflées de Simon Lee – détail grossier mais extraordinairement grossi (voir les nombreuses répétitions) du poème éponyme de Wordsworth – délivrent l'essence même de l'esthétique du romantique, tandis que le vers ajouté par Tennyson à son sonnet « The Kraken » (vers lui-même excédentaire d'un pied) révèle la prégnance d'un désir indicible qui s'incarne dans la langue sous la forme d'une broutille métrico-linguistique. Abolis bibelots d'inanité sonore et visuelle (dira-t-on pour emprunter en l'adaptant sa belle formule à Mallarmé), ces détails informent ainsi les œuvres dont ils représentent peut-être la clé. Mettre au jour les implications historiques, esthétiques, philosophiques ou psychanalytiques des grandes œuvres poétiques et picturales du monde anglophone : telle sera l'ambition de ce séminaire au cours duquel, paradoxalement, l'insignifiant présidera à l'élaboration du sens.
Partenaire(s) : Laboratoire ILCEA4
Publié le  26 avril 2018
Mis à jour le  26 avril 2018