Empires et impérialisme, hier et aujourd'hui

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le  2 mars 2018Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire


Claude Bourguignon, Revue d’études décoloniales


"Pouvoir pastoral et empire colonial espagnol"

Pour Michel Foucault, le pouvoir pastoral, ce pouvoir qui lie le pasteur à ses brebis, construit sur le modèle de l’obéissance du fidèle à Dieu, est à l’origine d ‘une forme essentielle du pouvoir moderne. La prolifération des techniques de subjectivation sur lesquelles il repose aurait rendu possible ce dont l’état ne serait qu’une « péripétie » , c’est à dire les gouvernementalités.

Mais ce pouvoir, Foucault l’analyse dans son développement en Europe.

Qu’en est il des formes qu’il prit dans l’Amérique espagnole ?

Dans quelle mesure son exportation coloniale supposa-t-elle une modification qui différencierait de façon radicale l’empire des Indes des empires précédents ?

Pour tenter de répondre à ces questions, on aura recours à la perspective de Michel Foucault dans ses derniers séminaires, au concept de colonialité du pouvoir et aux classifications de Martinez Gros et Frederick Cooper et Jane Burbank .

Une attention toute particulière sera apportée aux concepts d’État et de religion.

Julio Andrés Camarillo, Université Paris Diderot


"Généalogie du pouvoir disciplinaire dans les colonies de l’Empire espagnol"

S’il y a toujours eu des grands domaines « impériaux », où l’égalité et la différence se combinaient ; s’il n’y a pas une rupture nette entre la pré-modernité et la modernité ou, sous sa déclinaison politique, entre la forme Empire et la forme État, ou entre l’ancien régime et le nouveau, et si État-nation n’est pas la seule forme politique adéquate pour la bourgeoisie mais une des formes possibles, il s’avère nécessaire de chercher la spécificité de notre monde, tellement étonnant à tant d’égards, dans la transformation plus lente, plus discrète aussi, qui se produit à l’intérieur des diverses formes ou des régimes politiques plutôt qu’à partir de grandes ruptures.

Notre pari est de déchiffrer cette transformation comme une disciplinarisation du genre humain visant la production d’individus utiles et dociles. A partir de quelques notes marginales de Michel Foucault, nous essayerons de faire une généalogie ectopique du pouvoir disciplinaire dans les colonies de l’Empire Espagnol. On sera alors très loin de la France napoléonienne, de la Prusse de Frédéric II et même des monastères des Pays Bas, dans des territoires où l’Ancien Régime était non seulement très solide, mais aussi plus glorieux, plus puisant et efficace, « légitimé » par sa propre force.

A l’intérieur de ce vaste espace qu’est l’Empire Espagnol, scène de grand bouleversements, carrefour de richesses et de commerçants, d’esclaves et de prisonniers se sont développées des techniques diverses d’administration et de distribution d’hommes au sein de domaines tels que les plantations ou les haciendas, les réductions et les encomiendas. Notre intérêt se portera sur les jésuites, sommet intellectuel de ce monde, et plus particulièrement sur les réductions jésuites, authentiques ancêtres des usines, écoles et prisons « modernes ».

Ce thème de la modernité jésuite renvoie aux travaux d' intellectuels latino-américains tels que Dussel, Argote et Bolivar Echeverría, qui l’ont considérée comme une alternative à la modernité brutale et négatrice de l’autre, celle qui a vaincu sur les ruines des peuples subalternisés. Ce sera aussi l’occasion de discuter avec cette tradition de pensée critique, pour laquelle les missions de la compagnie de Jésus seraient porteuses d’un projet qui a échoué mais aurait encore un avenir.

Mais si le cogito cartésien n’est, d’après Dussel, que la version épistémologique de la conquête de l’autre, l’entreprise des jésuites, on sait qu’ils ont joué un rôle important dans l’éducation de Descartes, ne doit elle pas être remise en question ? Serait-il possible que l’admiration de ces auteurs pour les jésuites trahisse une certaine faiblesse de cette pensée critique latino-américaine qui, veut dénoncer la raison occidentale, mais ne s’occupe que de ses démons ?

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Publié le  23 février 2018
Mis à jour le  23 février 2018