Société et souveraineté : "Le Brexit : la souveraineté retrouvée ?"

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le  16 avril 2021Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire
Cinquième et dernière séance de l'édition 2020-201 du séminaire "Société et souveraineté" avec Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’Université Jean-Monnet Saint-Étienne.
Lors de la campagne référendaire de 2016 sur le Brexit, ceux qui lui étaient favorables affirmaient que le Royaume-Uni allait enfin retrouver sa souveraineté. La question se pose de savoir dans quelle mesure l’argument politique est une réalité juridique. En droit international public, la souveraineté se définit classiquement comme le pouvoir de l’État d’exercer l’autorité publique sur un territoire et une population donnés et de disposer librement de ses compétences. Avec le Brexit, le Royaume-Uni retrouve effectivement des compétences étatiques qui étaient auparavant assumées par l’Union européenne. Toutefois, le référendum, puis ses suites diplomatiques et constitutionnelles démontrent, en tant que tels, que les États n’ont jamais perdu leur souveraineté juridique en adhérant aux Communautés européennes ou à l’Union européenne. C’est en vertu de leur pouvoir souverain qu’ils ont consenti des transferts de compétences aux organes de l’Union européenne, tout particulièrement en matière économique. Mais, pour reprendre une formulation que l’on doit au Conseil constitutionnel français, les transferts de compétences peuvent mettre « en cause les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ». Pour les brexiters, ce sont bien ces conditions d’exercice de la souveraineté qui ont été restreintes de façon inacceptable avec l’adhésion aux communautés européennes, quand bien même elles l’ont été sur le fondement d’actes juridiques incontestables, traduisant l’exercice de la souveraineté. Leur constat est simple et finalement similaire à celui que plusieurs sénateurs français avaient exprimés lors de leur saisine du Conseil constitutionnel pour juger de la constitutionnalité du traité de Maastricht : la multiplication des limitations et des transferts de compétence à l’UE ne finit-elle pas par faire disparaître la souveraineté, et donc l’État lui-même ? L’intervention reviendra sur cette articulation subtile entre la souveraineté et les conditions de son exercice.

À la suite de ce premier temps, le propos engagera une réflexion sur le rapport entre le concept de souveraineté juridique et celui de « souveraineté économique » qui est peu abordé dans la doctrine constitutionnaliste française. Pourtant, les transferts de compétences au profit de l’UE relèvent quasi exclusivement de l’encadrement du marché unique dans un contexte de domination des préoccupations économiques dans la détermination des politiques des États. Nation construite sur le commerce, le Royaume-Uni appréhende de façon spécifique la relation entre souverainetés juridique et économique.

L’originalité britannique réside enfin dans l’absence d’une théorisation de la souveraineté identique à celle des penseurs français, au premier rang desquels figure Bodin. En droit constitutionnel britannique, la souveraineté est détenue par le monarque en son Parlement. Cette souveraineté tripartite est en principe absolue. Avec le Brexit, elle a été à la fois valorisée et déconsidérée. Non sans paradoxe, les brexiters ont proclamé leur attachement à la souveraineté de leur parlement national contre les institutions de l’UE, mais s’en sont remis à un processus (le référendum) qui vient la concurrencer. Il en a résulté un hiatus fort problématique entre un gouvernement se réclamant de la souveraineté populaire (qui n’a que peu de place dans l’organisation constitutionnelle britannique) et des parlementaires investis depuis plusieurs siècles de la souveraineté. Une réconciliation ne semble envisageable qu’au prix d’une évolution de la Constitution souple britannique, processus qui est sans doute déjà engagé.

Intervenant

Aurélien Antoine est professeur de droit public à l’Université Jean-Monnet Saint-Étienne/Université de Lyon, membre du CERCRID-UMR 5137, et directeur de l’Observatoire du Brexit. Il est l’auteur d’un Droit constitutionnel britannique (Lextenso, 2e éd., 2018) et du Brexit. Une histoire anglaise, paru aux éditions Dalloz en septembre 2020.
Partenaire(s) : Ce séminaire est organisé par la MSH-Alpes en partenariat avec IPhiG, Pacte - Laboratoire de sciences sociales.
Publié le  16 novembre 2020
Mis à jour le  16 novembre 2020