Avenue centrale : "D’une cuirasse musquée contre la peste aux senteurs florales. Vers la promotion des parfums et de la féminité"

Conférence Culture scientifique et technique, Recherche
le  7 juin 2022Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire
Conférence de Robert Muchembled dans le cadre du cycle "Avenue centrale. Rendez-vous en sciences humaines".

Présentation de la conférence

À la Renaissance, les médecins préconisent d’empêcher l’air vicié (le souffle diabolique) de pénétrer le corps, ce qui, selon eux, cause la peste. Les privilégiés s’entourent pendant deux siècles d’une carapace odorante, composée d’essences animales coûteuses (musc, civette et ambre), répandues sur leur personne, véhiculée dans des pomanders (bijoux remplis de senteurs) et imprégnées dans les cuirs (gants, bottes, etc.) ; les médecins de peste arborent également cette cuirasse, tandis que les humbles se contentent de répulsifs moins coûteux, tels le vinaigre et diverses plantes odoriférantes.

Les mêmes parfums ont une valeur érotique pour les deux sexes (musc et civette proviennent de glandes sexuelles animales), traduisant une domination masculine sans complexe et attirant l’ire véhémente des prédicateurs. Très hostiles à la modification odorante du corps créé par Dieu ces derniers fustigent particulièrement les femmes, qu’ils accusent de déployer une sexualité pécheresse dévorante. Le temps n’est en rien à leur promotion (même pas pour les reines ou les grandes aristocrates) : la médecine des humeurs héritée de l’antiquité les définit comme froides et humides, de ce fait puantes naturellement, à la différence des hommes chauds et secs ; certains docteurs les engagent même à porter sous la robe, lors de leurs règles, une cassolette sur laquelle se consument doucement des substances capables de dissiper leurs épouvantables remugles.

Ce n’est pas avant la fin du règne de Louis XIV que se profile une révolution des odeurs, liée à la disparition de la peste, à l’abandon de la médecine humorale, à des progrès de civilisation (tel le code de politesse) et à un début de promotion féminine parmi les élites sociales (incarnée à la fois par la marquise de Pompadour et par une certaine féminisation de l’apparence masculine). Les senteurs florales prennent alors le haut du pavé, jusqu’à nos jours, malgré quelques retours ponctuels (par exemple sous l’Empire) des parfums animaux virils et guerriers.
La révolution des odeurs va ainsi plus loin que la Révolution française, en soutenant (discrètement) dans le long terme un principe d’égalité entre les sexes qui fait lentement reculer une domination masculine auparavant considérée comme « naturelle », préparant les grandes mutations en cours depuis les années 1970.

Intervenant

Robert Muchembled est écrivain, professeur honoraire des universités de Paris, chevalier de la Légion d’honneur. Il a publié plus de trente ouvrages, traduits dans une trentaine de langues.

Bibliographie sélective :
  • Insoumises. Une autre histoire des Françaises du XVIe siècle à nos jours (Ed. Autrement, 2013)
  • Mystérieuse Madame de Pompadour (Fayard, 2014)
  • La Civilisation des odeurs (XVIe-début XIXe siècle) (Les Belles Lettres, 2017)
  • Le Fils secret du Vert-Galant (Les Belles Lettres, 2021)

En pratique

Ouvert à tous sans inscription (dans la limite des places disponibles).

Pass sanitaire requis.

Conférence également retransmise en direct sur Youtube.
Partenaire(s) : cette conférence est organisée par la MSH-Alpes (CNRS, UGA),  avec le soutien de Grenoble INP, Grenoble Alpes Métropole, la Ville de Grenoble, la librairie La Dérive et le magazine Sciences Humaines.
Publié le  4 novembre 2021
Mis à jour le  4 novembre 2021