Hommage au professeur Jean-Louis Quermonne

Vie de l'établissement
le  8 février 2021
Le professeur Jean-Louis Quermonne, le 18 juin 1991, lors de la cérémonie officielle de dénomination de l’Université Grenoble II, devenue en 1990
Le professeur Jean-Louis Quermonne, le 18 juin 1991, lors de la cérémonie officielle de dénomination de l’Université Grenoble II, devenue en 1990 "l’Université Pierre Mendès France"
Figure fondatrice du site universitaire et scientifique de Grenoble, le professeur Jean-Louis Quermonne nous a quittés le 17 janvier dernier à l’âge de 93 ans. La disparition de cette personnalité emblématique a profondément touché la communauté universitaire qui lui rend hommage.
Directeur de Sciences Po Grenoble de 1958 à 1969, premier président de l’Université Grenoble II de 1970 à 1975, fondateur en 1972 des Presses universitaires de Grenoble, Jean-Louis Quermonne a fortement marqué par sa personnalité et ses réalisations le site universitaire et scientifique de Grenoble.

Premier vice-président de la Conférence des présidents d'université (1971-1973), directeur des enseignements supérieurs et de la recherche au ministère chargé des Universités (1975-1976), membre du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie (1981-1985), et du Comité national d'évaluation des universités (1985-1989), Jean-Louis Quermonne a exercé de nombreuses responsabilités nationales.

Professeur de science politique reconnu, il a été vice-président de la Fondation nationale des sciences politiques (1974-1985), président de l'Association française de science politique (1995-2000), et président d'honneur de l'Association française des constitutionnalistes. Passionné d’Europe, Jean-Louis Quermonne a été un des membres fondateurs en 1996 du laboratoire d'idées "Notre Europe" (aujourd’hui Institut Jacques Delors).

À travers l’évocation du parcours grenoblois de Jean-Louis Quermonne, Bernard Pouyet, Président honoraire de l’Université Pierre Mendès France, rend hommage, au nom de la communauté universitaire, à cette figure fondatrice du site universitaire et scientifique de Grenoble.

Le parcours grenoblois de Jean-Louis Quermonne

Agrégé de droit public en 1952, Jean-Louis Quermonne a débuté sa carrière à l’Université d’Alger où il se lie d’amitié avec Pierre Mendès France, œuvrant avec lui à la recherche de solutions, notamment constitutionnelles, pour l’avenir de l’Algérie.

En 1956, il rejoint la Faculté de Droit de Grenoble et dès 1958, il devient directeur de l’Institut d’Études Politiques.

Le développement de Sciences Po Grenoble

Il porte avec ardeur le développement de l’IEPG, en faisant l’un des deux "instituts d’équilibre", conjointement avec Bordeaux, destinés à compenser sur le territoire le poids de l’Institut des sciences politiques de Paris.
Conscient de l’état de crise qui est celui de l’Université française, repliée sur elle-même, dominée par les disciplines traditionnelles et le cloisonnement facultaire, il fait de l’IEP de Grenoble un lieu d’expérimentation et d’ouverture sur son environnement.

Le professeur Jean-Louis Quermonne dans les années 60
Le professeur Jean-Louis Quermonne dans les années 60
Mettant à profit la liberté d’organisation reconnue aux IEP et s’inspirant du modèle de Sciences-Po Paris, l’IEP de Grenoble s’affirme délibérément pluridisciplinaire, met en place des modalités pédagogiques souples, à travers un travail en petits groupes, en conférences de méthodes, en séminaires... Il initie les étudiants à la recherche, notamment de terrain. Il fait appel à des personnalités venues de tous horizons. Autant de modalités en rupture avec le conservatisme des facultés.

Jean-Louis Quermonne est prompt à sentir les évolutions sociétales et à positionner l’institut pour y répondre.

Planification et régionalisation

De la même manière que plus tard, il orientera ses recherches sur la construction européenne, il saisit, au temps des belles années de la planification à la française, les mutations qui traversent l’État et les collectivités publiques, à travers l’émergence des "administrations de mission".

Dès la création, en 1963, de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR), l’IEPG en devient un partenaire privilégié, au point qu’en Mai 1963, est organisé à Grenoble un colloque sur la "Planification comme processus de décision", lequel eut un retentissement national, tant à raison de la qualité des échanges que de la notoriété des intervenants.

Sous l’impulsion de Jean-Louis Quermonne, ardent promoteur de la création de Régions autonomes, l’IEPG développe les études et la recherche sur la régionalisation, l’aménagement du territoire, les mutations de l’administration et des collectivités locales. En résultera la création du Centre de Recherches sur l’Aménagement du Territoire (CERAT, aujourd’hui PACTE), qui par ses recherches et ses publications devint un lieu de référence, tant dans son domaine de spécialité, que comme modèle de construction d’un grand centre de recherches en sciences sociales

Fondation de l’Université Grenoble II, une université pluridisciplinaire

Surviennent les événements de mai 1968. Jean-Louis Quermonne est élu président de "l’Assemblée Constitutive Provisoire", chargée de doter Grenoble Il de statuts conformes à la Loi d’orientation de l’enseignement supérieur et de la recherche, Loi Edgard Faure du 12 novembre 1968. Faisant preuve de détermination et de diplomatie, il obtient en quelques mois que l’Université de Grenoble II soit la première en France à voir ses statuts approuvés.

Un résultat qui s’explique par le fait que Jean-Louis Quermonne avait déjà pensé le projet d’une Université pluridisciplinaire de sciences sociales et de sciences humaines, réunissant toutes les disciplines en relevant, à l’exception des géographes préférant rejoindre les scientifiques de Grenoble I, avec l’espoir de dotations financières plus conséquentes...

Élu, en 1970, Président de l’Université des Sciences Sociales, Grenoble II -laquelle deviendra, en 1990, l’Université Pierre Mendès France-, Jean-Louis Quermonne exercera ses fonctions, quatre ans durant, tout en recevant la reconnaissance de ses pairs, qui l’élirent comme premier Vice-Président de la Conférence nationale des présidents d’universités, la présidence revenant au ministre. Il écourte la durée de son mandat, appelé à des fonctions au ministère, notamment en devenant en 1975, Directeur de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

L’invention de l’université nouvelle

Au cours de son mandat de président, Jean-Louis Quermonne contribue au mouvement d’invention de l’université nouvelle. Il construit les fondations de Grenoble Il qu’il structure, conformément à la loi, en Unités d’enseignement et de recherche, UER, et en instituts, malgré les réticences des anciennes Facultés.

Grâce à sa connaissance de l’organisation et du fonctionnement de l’administration, il imagine une gouvernance de l’Université des Sciences Sociales, autour d’un secrétaire général, d’un chef de cabinet, d’un chargé de communication, fonction, jusqu’ici inconnue à l’université. Surtout des missions nouvelles sont confiées à des services dédiés : l’éducation permanente, notamment création du CUIDEP, les Presses universitaires de Grenoble, etc…, des filières et des recherches émergent, notamment en urbanisme ou encore en gérontologie.

Il soutient le développement de l’IUT II, sachant qu’avant 1968, Conseiller technique auprès du Ministre de l’Éducation, il avait pris une part très active dans la définition et la mise en place de ces instituts de premier cycle professionnalisant.
La formule des IUT répondait bien à deux préoccupations majeures de Jean-Louis Quermonne : lutter contre l’échec dans les premières années de l’enseignement supérieur, en proposant un cycle d’études courtes ; ouvrir l’université vers le monde professionnel, à travers des cursus spécialisés et diversifiés.

Avec les autres présidents du site grenoblois, Jean-Louis Quermonne porte une attention particulière à l’aménagement du domaine universitaire, prolongeant notamment sur le campus le Symposium de sculptures, initié par la Ville de Grenoble, lors des JO de 1968.
On lui doit notamment le choix de "la Cornue" de Calder, installée devant la BIU Droit-Lettres.

L’ouverture sur la ville

Mais l’ouverture sur la Ville de Grenoble est allée bien au-delà.
La proximité de Jean-Louis Quermonne avec Hubert Dubedout, d’abord, et Pierre Mendes France, devenu député de Grenoble, ensuite, a favorisé nombre de rapprochements.
L’Université et l’IEP, dans les années 70 se trouvent parties prenantes à l’expérience de Grenoble, "ville-laboratoire" et l’esprit d’innovation qui soufflait sur la ville s’étend, alors, au campus.

En ce sens, il y a deux ans, Jean-Louis Quermonne, me confirmait qu’Hubert Dubedout l’avait effectivement sollicité pour lui succéder dans la fonction de maire de Grenoble. Avec la modestie et la malice qui était siennes, Jean-Louis Quermonne m’avait semblé s’amuser de cette proposition.

L´auteur du "Gouvernement de la France" avait mieux à faire, se consacrant à l’étude des institutions européennes, publiant notamment, "le Système politique de l’Union européenne", contribuant, ce faisant, à la construction européenne, auprès de Jacques Delors.

Œuvre qu’il ne cessa de poursuivre tout en redevenant, en 1989, Professeur à Sciences-Po Grenoble et jusqu’aux toutes dernières années de sa vie.

Bernard Pouyet
Président honoraire de l’Université Pierre Mendès France
Publié le  9 février 2021
Mis à jour le  22 février 2021