Un bol d’air dans la ville la plus haute du monde : retour sur l’Expédition 5300

le  13 octobre 2020
La Rinconada - la ville la plus haute du monde - Axel Pittet
La Rinconada - la ville la plus haute du monde - Axel Pittet
Pendant une semaine fin octobre 2020, 7 scientifiques grenoblois se sont rendus pour la 3e fois à la Rinconada, la ville la plus haute du monde, pour poursuivre leurs recherches sur le mal chronique des montagnes. Retour sur les différentes étapes et sur cette troisième phase de l’Expédition 5300, réalisée dans le cadre de la chaire "Montagne altitude santé" de la Fondation UGA.
La ville la plus haute du monde est péruvienne, La Rinconada est nichée à 5300 mètres d’altitude, à 200 km au nord du lac Titicaca. Cette zone urbaine de 60 000 habitants s’est fondée sur une mine d’or, littéralement. A flanc de montagne, les femmes et les hommes de La Rinconada vivent dans des conditions extrêmes et avec très peu de ressources. Les conditions de vie hostiles sont dues à cette haute altitude que les Européens ne peuvent qu’imaginer. En effet, vivre en continu à 500 mètres au-dessus du Mont Blanc (4 810m), le toit de l’Europe, est un défi physique extraordinaire. Il y a certes le froid mordant - à cette latitude proche de l’équateur il n’y a pas de saison et les variations de température sont faibles - en moyenne 1,3°C toute l’année ; mais plus dévastateur encore, il y a surtout la rareté de l’air qui fragilise cette population. En effet, aux altitudes élevées, la pression atmosphérique diminue et l’oxygène, contenu dans l’air, se fait rare. À La Rinconada, il est estimé qu’il y a deux fois moins d’oxygène qu’à Grenoble, et cela a des grandes conséquences physiologiques sur les mineurs et habitants de cette ville atypique.



Expédition 5300 est pilotée par l’équipe du professeur Samuel Vergès, du laboratoire grenoblois "Hypoxie et physiopathologies respiratoires et cardiaques" (HP2 - UGA / CHUGA / INSERM). Cette dernière s’intéresse aux comportements des corps exposés à un environnement faible en oxygène, c’est-à-dire en hypoxie. L’hypoxie est un phénomène bien connu des montagnards car elle provoque en altitude le mal des montagnes. Ce déficit en oxygène peut entrainer des nausées, des vertiges et les conséquences peuvent être graves pour les explorateurs des plus hauts sommets alpins. L’étude de ces troubles est primordiale dans la compréhension de notre corps et pour le développement des performances en haute altitude. Mais ce sont des phases aigües de ce mal des montagnes qui sont étudiées auprès des alpinistes et sportifs de haute montagne, qui vivent bien loin de ces hauteurs extrêmes au quotidien. Cette expédition pose donc plusieurs questions : quels sont les effets de l’hypoxie à long terme sur les organismes ? Existe-t’il un mal des montagnes chronique et peux-t-il être traité ? Comment l’adaptation de ces populations à ces conditions extrêmes peut nous aider à développer de nouveaux traitements pour le mal-aigu des montagnes mais aussi pour les maladies chroniques communes liées à l’hypoxie comme les AVC, l’obésité…



La première expédition s’est déroulée en 2019. L’objectif était de venir caractériser l’état de santé des habitants de La Rinconada et notamment les symptômes du mal chronique des montagne ou syndrome d’intolérance à l’hypoxie en haute altitude. Conclusion : environ 1/4 de la population locale semble affectée. Le second voyage a eu lieu au printemps 2020. Après l’étude des données recueillies lors de la première expédition, des traitements ont été imaginés pour soigner ou soulager les patients atteints de ce trouble spécifique. En lien étroit avec les médecins péruviens, un protocole clinique a été mis en œuvre pour des patients volontaires, et les médicaments ont été distribués pour un traitement sur du long terme. C’est donc lors de cette troisième expédition d’octobre 2020 que ces traitements vont être évalués après plusieurs mois d’administration.



Cette expédition est scientifique mais également humanitaire puisque le projet de recherche s’accompagne du développement d’un centre de soins et de recherche sur place. Cette ville minière est en effet très pauvre et n’a pas de centre de soin d’urgence. Par ailleurs, le Pérou est très durement touché par la crise due la Covid-19 et les équipes de l’expédition ont participé au dépistage sur place et à l’accompagnement des soignants locaux. Des concentrateurs d’oxygène, donnés par l’entreprise AGIR à dom ont également été distribués aux partenaires locaux. Des conventions avec les autorités péruviennes sont en cours pour pérenniser un centre de recherche et de soin à La Rinconada.



Les données ont été collectées et amenées au laboratoire HP2 à Grenoble. Il reste maintenant à les faire parler et à déterminer quels sont les traitements les plus adaptés pour aider les personnes atteintes de mal chronique des montagnes à vivre mieux dans leur environnement. Les perspectives sont par ailleurs importantes en France également car les recherches vont permettre de mieux diagnostiquer et prévoir les troubles en haute altitude pour les alpinistes et autres amateurs de montagne. Mais c’est également une source de données scientifiques uniques au monde pour alimenter les travaux de la chaire "Montagne altitude santé" qui entend comprendre le rôle de l’hypoxie simulée ou modérée pour stimuler l’organisme et lui permettre de vivre en meilleure santé.
 

 
Cette mission a été rendue possible grâce aux mécènes de la Fondation UGA : la fondation Air Liquide, le département de l'Isère, Netquattro, AR2i, la FFCAM, Terre d'Aventure, Millet et l'UT4M.
Publié le  17 novembre 2020
Mis à jour le  16 mars 2021