Pollution atmosphérique : un nouvel indicateur pour mesurer l’impact sanitaire

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le  19 novembre 2020
©IRD - Gaëlle Uzu (Inversion de température au-dessus de la ville de Grenoble, qui plaque les polluants au sol)
©IRD - Gaëlle Uzu (Inversion de température au-dessus de la ville de Grenoble, qui plaque les polluants au sol)
Des chercheurs de l’IRD, du CNRS et de l’Université Grenoble Alpes ont participé à une étude européenne sur les sources de particules fines nocives pour la santé, coordonnée par l'Institut Paul Scherrer (PSI, Suisse). Leurs résultats, publiés dans la revue Nature le 18 novembre 2020, révèlent le caractère nocif des particules fines dans l’atmosphère à travers leur potentiel oxydant. Ils suggèrent que cet indicateur devrait être pris en compte à l’avenir dans les mesures de régulation de la qualité de l’air, pour la santé des populations dans le monde.
La pollution atmosphérique est responsable de plusieurs millions de décès prématurés chaque année dans le monde et constitue l’un des cinq facteurs de risque sanitaire majeurs, aux côtés de l'hypertension artérielle, du tabagisme, du diabète et de l'obésité. Pour lutter contre ce phénomène, des mesures visant à restreindre les émissions sont prises au-delà d’un certain seuil de concentration massique de particules fines présentes dans l’air. Afin de compléter ces mesures de régulation quantitatives, les scientifiques cherchent à comprendre ce qui rend les particules atmosphériques si dangereuses.

Un stress oxydatif qui intensifie la réaction inflammatoire

Dans cette étude, les chercheurs ont souligné que la quantité de poussière fine n'est pas le seul facteur décisif en matière de risques pour la santé. Ils se sont intéressés aux sources responsables de la pollution atmosphérique en Europe, et ont combiné des mesures de composition chimique atmosphérique, de toxicologie et de potentiel oxydant.

Cet indicateur est utilisé par les scientifiques pour estimer l’exposition sanitaire de la pollution de l’air : « certaines particules fines génèrent un stress oxydatif dans les poumons, pouvant conduire à endommager les cellules et tissus du corps humain », précise Gaëlle Uzu, biogéochimiste de l’atmosphère à l’IRD, co-auteure de l’étude.

Dans un premier temps, les chercheurs du PSI à Berne ont exposé des cellules des voies respiratoires humaines, appelées cellules épithéliales bronchiques, à des échantillons de particules atmosphériques, afin de vérifier leur réaction biologique [1]. En parallèle, l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE – CNRS / IRD / UGA / Grenoble INP) à Grenoble a mesuré le potentiel oxydant pour les mêmes doses de particules exposées aux cellules. Les deux équipes ont pu montrer que des particules fines au potentiel oxydant accru intensifient la réaction inflammatoire des cellules, suggérant ainsi que le potentiel oxydant est un indicateur de la nocivité des aérosols.

Un risque sanitaire accru dans les métropoles européennes

Dans un second temps, les chercheurs ont collecté différents échantillons de particules atmosphériques en Suisse. À l'aide d'une technique de spectrométrie de masse développée à l'Institut Paul Scherrer, ils ont analysé leur composition. "Le profil chimique de chaque échantillon de matière ainsi obtenu indique la source dont il provient", précise Kaspar Dällenbach, chimiste de l’atmosphère à PSI, premier auteur de l’étude.

En parallèle, l’IGE a réalisé les mesures de leur potentiel oxydant sur l’ensemble des échantillons de 5 villes suisses. En combinant toutes ces mesures avec des traitements avancés mathématiques, il a été possible de déterminer le potentiel oxydant de toutes les sources d'émission et d’utiliser un modèle informatique pour identifier les zones présentant le potentiel oxydant le plus élevé tout au long de l'année en Europe. Le modèle a pu être validé au-delà du territoire suisse grâce à la concordance entre les valeurs prédites et les séries annuelles de données de potentiel oxydant déjà mesurées sur différents sites français par l’IGE.

Résultat : les zones métropolitaines, comme Paris ou la vallée du fleuve Pô dans le nord de l’Italie, sont des régions critiques en matière de pollution atmosphérique. Non seulement les populations des zones urbaines sont exposées à une plus grande quantité de particules fines, mais les particules de ces régions s’avèrent plus nocives pour la santé que les aérosols des zones rurales.

Les aérosols d’origine humaine plus oxydants

Cette étude met en évidence que si la plupart des poussières fines sont constituées de minéraux et d'aérosols inorganiques (dits secondaires) tels que le nitrate et le sulfate d'ammonium utilisés en agriculture, le potentiel oxydant des particules fines, quant à lui, est principalement le fait d’aérosols organiques (dits anthropiques), qui proviennent de feux de bois, ou encore d’émissions de métaux (liés à l'usure des freins et des pneus du trafic routier notamment).

Ainsi, pour réduire la pollution atmosphérique, les auteurs suggèrent qu’il ne faut pas seulement agir sur la régulation de la quantité de poussières fines, mais prendre en compte les différentes sources de particules et leur potentiel oxydant.

"Un des enjeux de ces recherches est la prévision de l’exposition sanitaire de la pollution atmosphérique à l’échelle continentale, notamment dans les pays du Sud où l’accélération de l’urbanisation imposera très prochainement de contrôler les émissions pour préserver la santé des populations", souligne Gaëlle Uzu.
 
Note
[1] Lorsque les cellules sont soumises à un stress, elles émettent une substance signal pour le système immunitaire, qui déclenche des réactions inflammatoires dans le corps.
Publié le  19 novembre 2020
Mis à jour le  19 novembre 2020