Le mystère de l’impact évolutif des gènes sauteurs révélés grâce à une expérience au long terme avec des bactéries

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le  12 février 2021
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Les séquences d’insertion IS sont des éléments génétiques mobiles présents dans tous les génomes bactériens, et les mutations qu’elles produisent peuvent être délétères en inactivant des gènes suite à leur insertion, neutres ou bénéfiques, par exemple en permettant l’expression de certains gènes suite à leur insertion. La dynamique au long terme des IS, leur maintien dans les génomes et leurs effets sur les organismes bactériens sont peu connus. Un débat de longue date existe pour savoir si les IS sont des parasites des génomes ou des moteurs essentiels pour l’adaptation par sélection naturelle. Une équipe grenobloise de TIMC-IMAG (CNRS/UGA), en collaboration avec une équipe parisienne et deux équipes américaines a apporté une avancée considérable sur cette question, dans un article publié dans la prestigieuse revue Nature Communications.
Les chercheurs ont tiré parti de la plus longue expérience d’évolution en cours dans le monde pour analyser la dynamique de ces éléments sauteurs dans les génomes au cours du temps évolutif. Au cours de cette expérience, douze populations ont été propagées à partir d’un ancêtre commun dans un environnement constant depuis 1988, ce qui représente plus de 70 000 générations d’évolution (environ deux millions d’année à l’échelle humaine). Des échantillons ont été prélevés toutes les 500 générations de chacune des douze populations et ont été conservés, tout comme l’ancêtre de l’expérience, au congélateur à -80°C. Cela permet de disposer d’archives fossiles complètes et revivifiables. Six des douze populations ont évolué un phénotype hypermutateur suite à l’apparition de mutations affectant les gènes de réparation de l’ADN. Ces six populations ont ainsi développé un taux de mutations 100 fois supérieur à celui de l’ancêtre et des six autres populations.

Des études précédentes ont permis au consortium d’obtenir la séquence complète des génomes de clones évolués isolés au cours du temps des douze populations. Lors de l’étude publiée dans Nature Communications, les chercheurs se sont intéressés à la contribution des IS à l’évolution des génomes et à la valeur sélective des bactéries lors de cette expérience au long terme. Ils ont ainsi montré que les IS étaient responsables de plus d’un tiers des mutations fixées au cours de 50 000 générations d’évolution et ce, uniquement dans les six populations qui ont gardé le taux de mutation ancestral. Dans les six populations hypermutatrices, les mutations dues aux IS sont réduites de moitié. Une hypothèse innovante a été proposée pour expliquer l’effet bénéfique d’un phénotype mutateur c’est-à-dire d’une augmentation de la capacité à produire des mutations (augmentation des taux de mutation). En plus, de produire proportionnellement plus de mutations bénéfiques de part un taux de mutation plus élevé, un phénotype hypermutateur pourrait se révéler avantageux en réduisant la participation relative des IS à la mutagenèse, réduisant ainsi leur potentiel effet délétère.

De façon générale, les IS produisent des effets bénéfiques de façon précoce pendant l’expérience d’évolution, puis leur activité devient plus délétère au cours du temps évolutif. En particulier, l’effet de l’activité d’une copie d’IS sur la valeur sélective des bactéries a pu être estimé. Ainsi, les IS peuvent à la fois promouvoir et contraindre les capacités évolutives des bactéries.

Les auteurs ont ainsi montré une tension entre le potentiel des IS à produire des mutations bénéfiques mais aussi des mutations délétères, ce qui entraîne des adaptations compensatrices contraignant les trajectoires évolutives futures. Ces résultats contribuent à réconcilier le vieux débat entre les IS étant des parasites des génomes ou des moteurs de l’évolution.

Illustration produite par Jessika Consuegra grâce au logiciel Biorender.
Les organismes vivants se déplacent au sein de « paysages adaptatifs », leur valeur sélective augmentant ou diminuant au gré des mutations fixées dans leur génome. La transposition des éléments génétique IS (Insertion Sequences) des bactéries influence leur déplacement au sein de ces paysages et interfèrent également avec la fréquence à laquelle ces organismes sont affectés par des mutations. Tout ceci a pu être démontré grâce à l’expérience d’évolution la plus longue au monde (flacons en toile de fond).

Illustration produite par Jessika Consuegra grâce au logiciel Biorender.
Publié le  11 février 2021
Mis à jour le  12 février 2021