Langage et mémoire à long terme : les deux faces d'une même pièce

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le  6 janvier 2022
Le cerveau est composé de milliards de neurones interconnectés qui forment des circuits fonctionnels. Ces réseaux – affutés par l’évolution et l’expérience – œuvrent ensemble pour gouverner nos comportements les plus élaborés. Quels sont ces réseaux et comment coopèrent-ils pour prendre en charge les fonctions cognitives humaines ? Dans la revue Neuroscience and Biobehavioral Reviews, les scientifiques présentent un modèle neurocognitif interactif formalisant l’unification de deux fonctions fondamentales : le langage et la mémoire.
Il existe un large éventail de modèles explicatifs de la cognition humaine. Cependant et malgré les tentatives successives, la compréhension de la cognition et de ses fondements cérébraux reste une entreprise difficile. La majorité des modèles contemporains se focalisent sur la description d’une fonction cognitive en particulier, ne permettant alors qu’une vision fragmentée du fonctionnement cognitif dans son ensemble. En prenant une perspective plus large et plus « écologique » de la cognition, c’est-à-dire en considérant conjointement plusieurs fonctions cognitives (ici le langage et la mémoire à long terme), les chercheurs proposent une modélisation neurocognitive intégrative, en rupture avec les approches précédentes.

Diverses évidences montrent que le langage et la mémoire à long terme sont fortement imbriqués chez l’humain, constituant les deux faces d'une même pièce. Cet enchevêtrement est visible sur le plan comportemental. Les études réalisées chez l’enfant montrent, par exemple, que la capacité à créer de nouveaux souvenirs et à récupérer les informations correspondantes en mémoire à long terme est influencée par les compétences linguistiques. Par ailleurs, la rapidité et la précision avec laquelle les individus bilingues vont retrouver certains de leurs souvenirs dépend de la langue utilisée. Plus précisément, leurs performances seront meilleures si la langue utilisée au moment du rappel du souvenir est identique à celle employée au moment de sa "fabrication". Enfin, il n’est pas rare d’observer des symptômes dans le domaine de la mémoire (des « trous » de mémoire et oublis pathologiques, des confusions ou fausses reconnaissances) chez des patients présentant des lésions dans les "régions cérébrales du langage". Langage et mémoire à long terme partagent donc plusieurs structures et mécanismes cérébraux.

Comment interagissent-ils pour assurer nos comportements humains adaptatifs ? Pour répondre à cette question, le modèle L∪M (pour Language/union/Memory) se base sur les observations provenant de la connectivité cérébrale et de la théorie des réseaux. Ces approches offrent un regard unique et concret sur la manière dont les structures cérébrales discrètes interagissent pour produire la cognition. L’étude du fonctionnement langage-mémoire sous ce prisme a conduit à la découverte d’une architecture interactive dépendante de trois systèmes fondamentaux, sous-tendus par des réseaux cérébraux spécifiques. Les propriétés et dialogues entre ces réseaux sont essentiels au soutien des opérations neurocognitives qui unissent langage et mémoire.

Cette proposition a des implications importantes. Le modèle interactif L∪M contribue en effet à une meilleure compréhension des relations cerveau-comportement. En confrontant le modèle aux données acquises chez des patients, les scientifiques ont démontré l’intérêt de ce nouveau cadre pour saisir, anticiper et interpréter les différences individuelles. Les patients qui souffrent de troubles conjoints du langage et de la mémoire à long terme présentent, en effet, une perturbation caractéristique de la connectivité entre les réseaux identifiés par les chercheurs dans le cadre de leur modèle. La prise en considération d’une perspective élargie et s’appuyant sur les techniques les plus récentes en matière de connectivité cérébrale est une étape actuellement nécessaire pour le développement de modèles neurobiologiques intégratifs et compréhensifs, qui s’approchent davantage de la cognition en contexte naturel et des symptômes neuropsychologiques présentés par les patients.
Modèle L?M, langage et mémoire comme une entité.
© Elise Roger
Figure : Modèle L∪M, langage et mémoire comme une entité. Les cartes cérébrales fonctionnelles dérivant de méta-analyses associées au langage et à la mémoire déclarative ont été analysées afin de révéler la composition factorielle sous-jacente au continuum langage-mémoire. Trois systèmes fondamentaux ont été identifiés : 1. " Récepteur-Transmetteur (RT) – 2. Contrôleur-Gestionnaire (CM) – 3. Transformateur-Associatif (TA) " ; et labélisés en fonction de leur composition (se référer à l’article pour une description détaillée). Le triptyque proposé est soutenu par les observations issues de la connectivité fonctionnelle, attestant de sa pertinence neurobiologique. En effet, des interactions dynamiques et continues entre des réseaux cérébraux spécifiques à chacun des systèmes (le réseau attentionnel ventral ou de la saillance : SAL ; le réseau fronto-pariétal : FPN ; et le réseau du mode par défaut : DMN), assurent l’unité entre le langage et la mémoire.

 
Publié le  6 janvier 2022
Mis à jour le  6 janvier 2022