La déstabilisation des glaciers rocheux dans les Alpes françaises et ses liens avec le changement climatique

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le  3 juin 2021
Vue aérienne du glacier rocheux déstabilisé de Punta Nera, en haute Maurienne (6.66347°E, 45.12486°N). Localisé sur un versant nord, vers 2800 m d'altitude, ce glacier rocheux d'un peu plus de 2 ha a vu ses vitesses de surface dépasser localement les 4 m/
Vue aérienne du glacier rocheux déstabilisé de Punta Nera, en haute Maurienne (6.66347°E, 45.12486°N). Localisé sur un versant nord, vers 2800 m d'altitude, ce glacier rocheux d'un peu plus de 2 ha a vu ses vitesses de surface dépasser localement les 4 m/an ces dernières années. Les indices géomorphologiques caractéristiques de la déstabilisation apparaissent sur toute la surface, depuis une large cassure à l'amont jusqu'à un front raide et raviné en passant par toute une série de crevasses arquées, témoignant de taux de déformation élevés.
Pour la première fois, des chercheurs de l’Université Grenoble Alpes, du CNRS et de l’Université Savoie Mont Blanc ont étudié de façon systématique l'évolution de la dynamique des glaciers rocheux au cours des sept dernières décennies pour l'ensemble des Alpes françaises, fournissant une évaluation à long terme des taux de déplacement et de l'occurrence de la déstabilisation. Leurs résultats montrent que les vitesses des glaciers rocheux ont augmenté de manière significative depuis les années 1990, parallèlement au développement de la déstabilisation sur 18 formes (soit 5% des 337 glaciers rocheux actifs de la région). Ce signal est cohérent dans toute la région et est corrélé avec les températures de l'air, ce qui suggère qu'un réchauffement du climat joue un rôle important dans ce processus. Ces résultats font l’objet d’une publication dans la revue Nature Communication Earth & Environment.
Les glaciers rocheux sont des masses de débris gelés, indicatrices de la présence d’un permafrost riche en glace et s’écoulant lentement, de façon visco-plastique, sur les versants de montagne. Très courants dans les paysages alpins, les glaciers rocheux connaissent depuis quelques décennies une évolution nettement différente de celle qui a permis leur mise en place au cours des milliers d’années antérieures. Outre une accélération de leur écoulement, observée de façon très homogène sur la plupart des glaciers rocheux connus du globe, certaines formes sont affectées d’une déstabilisation dont les manifestations géomorphologiques peuvent être préoccupantes en termes de risques associés. Outre des vitesses de surface d’un ou deux ordres de grandeur plus élevées, ce comportement anormal est caractérisé par l’apparition de mécanismes de rupture et de glissement, traduits par des crevasses et des arrachements, pouvant évoluer vers un effondrement d’une partie du glacier rocheux.

Ces dernières années, plusieurs études ont exploré ce phénomène mais en se limitant à des cas limités en nombre et sur des fenêtres temporelles courtes. Une équipe de recherche, composée de chercheurs et de doctorants issus des laboratoires EDYTEM (USMB/CNRS), Pacte, Laboratoire de sciences sociales (CNRS/UGA/Sciences Po Grenoble – UGA) et de l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE/OSUG, CNRS/IRD/UGA/Grenoble INP - UGA) , a ainsi analysé notamment deux glaciers rocheux déstabilisés dans les Alpes françaises (Bodin et el., 2016 ; Marcer et al., 2020) ainsi qu’en évaluant la susceptibilité à la déstabilisation d’un ensemble de glaciers rocheux (Marcer et al., 2019). À côté des causes locales de ces phénomènes (structure interne des glaciers rocheux, pente du terrain, conditions météorologiques…), la question du rôle de l’évolution climatique en cours, et particulièrement du réchauffement du permafrost, n’avait jusqu’à présent pas été abordée comme le montre le travail présenté dans l’article publié dans la revue Nature Communication Earth & Environment.

En effet, pour la première fois, l’ensemble des glaciers rocheux déstabilisés d’une large région, les Alpes françaises, a été recensé et étudié (18 formes sur les 337 glaciers rocheux actifs dans la région). À partir de photographies aériennes, la reconstitution de l’évolution de leurs vitesses depuis les années 1950 montre un signal consistant d’accélération depuis les années 1990, associé au développement de morphologies caractéristiques (crevasses…), et des taux de contrainte élevés sur les secteurs déstabilisés, nettement distincts des valeurs estimées sur les secteurs affectés de fluage uniquement. Cette évolution des vitesses et de la morphologie, relativement homogène et synchrone sur la région, est statistiquement corrélée à l’augmentation des températures de l’air sur les sept dernières décennies, suggérant le rôle du réchauffement du permafrost et l’augmentation des teneurs en eau du sol sur les déformations. Cette étude révèle cependant que le contexte local est aussi crucial dans l’amorce et l’évolution de la déstabilisation, laquelle mène toutefois inévitablement, à terme, à la désactivation de tout ou partie du glacier rocheux.
Publié le  3 juin 2021
Mis à jour le  4 juin 2021