L’impact environnemental du bactério-insecticide Bti utilisé en démoustication doit être ré-évalué selon des chercheurs européens

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le  6 avril 2020
ENS Marais de Monfort - Wikicommons
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Le Bacillus thuringiensis subsp. israelensis (Bti) est largement utilisé en démoustication en Europe et dans le monde. Une revue récente de la littérature scientifique montre que si le risque de résistance des moustiques au Bti semble limité malgré la persistance de spores et de toxines dans l'environnement, les effets signalés sur les organismes non ciblés remettent en question la sécurité environnementale du Bti.
La réduction des moustiques et des moucherons non ciblés qui représentent des sources de nourriture importantes peut avoir des répercussions sur les niveaux trophiques supérieurs dans les zones humides, comme les oiseaux et les amphibiens. Cette revue bibliographique entreprise par une équipe de recherche internationale composée d'écologues, d'écotoxicologues, de microbiologistes et d'économistes de quatre institutions européennes constitue l'évaluation la plus actuelle et la plus complète de l'impact du Bti sur l’environnement.

Carsten Brühl, de l'université de Coblence-Landau, déclare : "Il n'existe pas suffisamment d'études disponibles pour conclure sans équivoque que le Bti utilisé pour lutter contre les nuisances dues aux moustiques peut être considéré comme sans danger pour l'environnement. Les études de terrain n'ont été réalisées que sur quelques sites et pour des durées limitées. En outre, en Europe, il n'y a pas d'informations disponibles concernant les endroits où le Bti est utilisé, et les quantités et périodes d'application ne sont pas disponibles pour les chercheurs et les organismes d'évaluation". La démoustication étant financée par de l’argent public, une plus grande transparence est réclamée par les auteurs de l'étude.

"Je suis heureuse de constater que les études fondamentales que nous avons lancées en Camargue en 2006 sont à l’origine d’une préoccupation mondiale croissante quant à l'impact du Bti sur l'environnement", a déclaré Brigitte Poulin, chef du département Écosystèmes de l'Institut de recherche de la Tour du Valat, en France. "Lorsque le Bti a remplacé les insecticides chimiques il y a quarante ans, c'était un pas en avant pour l'environnement. Cependant, l'utilisation inconsidérée du Bti, en particulier dans les zones humides protégées qui n’étaient pas préalablement démoustiquées, est clairement un pas en arrière".

D’après Oliver Frör, économiste de l'environnement à Landau, "la recherche sur la perception qu'a le public des moustiques et de la lutte contre les moustiques se concentre principalement sur les nuisances et les maladies, mais la perception des risques environnementaux des programmes de démoustication n'est guère évaluée. Il est urgent de fournir aux décideurs politiques des informations complètes et impartiales sur les avantages mais aussi sur les coûts monétaires et non monétaires de la démoustication".

"La sensibilisation au déclin de la biodiversité a conduit à une amélioration des engagements politiques et des pratiques en matière de conservation de la biodiversité : les zones humides bénéficient désormais d'une forte priorité de conservation en Europe, tout en étant intensivement traitées avec le bio-insecticide Bti", déclare Laurence Després, professeure en écologie et évolution à l'Université de Grenoble Alpes. "La biodiversité figure plus que jamais à l'agenda politique de l’Europe, et le bilan coût-bénéfice entre préservation de la biodiversité et démoustication doit être réévalué à la lumière de la sixième crise d'extinction du vivant annoncée".

Bien que le Bti soit actuellement l'agent le plus sélectif et le moins toxique disponible en démoustication, les auteurs réclament un suivi de la persistance et des effets du Bti dans les écosystèmes ainsi qu'une évaluation socio-économique, réalisés par des organismes indépendants et sans conflits d'intérêts. En attendant cette évaluation, des méthodes alternatives de lutte contre les moustiques telles que les répulsifs, les prédateurs naturels ou les pièges à moustiques devraient être envisagées dans les zones de conservation. D'autres options consistent à améliorer la gestion des zones humides, à réduire la superficie et les périodes de pulvérisation de Bti et à suspendre la démoustication dans les zones humides écologiquement sensibles.
Publié le  6 avril 2020
Mis à jour le  7 mai 2020