En 1980 des glaciologues de l’IGE ont découvert comment reconstituer la teneur en CO2 de notre atmosphère

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le  26 mars 2020
© Xavier Fain - IGE / OSUG
© Xavier Fain - IGE / OSUG
En 1980 fut découvert au Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement de Grenoble (devenu en 2017 l’Institut des Géosciences de l’Environnement, IGE/OSUG) [1] une méthode permettant de mesurer la quantité de CO2 contenue dans l’air ancien, piégé dans les glaces de l’Antarctique. Cette découverte a permis de mettre en évidence que le CO2 de l’atmosphère affecte directement la température globale de la planète. Pour fêter les 40 ans de cette publication, qui a joué un rôle fondamental dans l’étude du climat, Nature a décidé de revenir sur ce papier de Delmas et al. dans sa rubrique News & Views.
Lors de leur formation, au moment de la compaction de la neige à la surface, les calottes de glaces polaires piègent continuellement des petites bulles d’air. La glace a donc cette étonnante propriété : elle peut fournir une archive naturelle de la composition de l’air ancien, jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années ! Mais le challenge n’est pas simple et il a fallu plus de 20 ans d’efforts aux glaciologues de l’époque pour arriver à extraire ces informations. La solution fut trouvée, il y a 40 ans par Robert Delmas et ses collègues, qui développèrent une technique fiable pour extraire de la glace l’air qui y était contenu et en mesurer la composition en CO2. Ce travail pionnier ouvrait la voie aux mesures modernes des archives glaciaires montrant que les niveaux de CO2 dans l’atmosphère ont affectés la température de la Terre durant des centaines de milliers d’années.

A la fin du 19ème siècle le suédois Svante Arrhenius s’intéressa aux causes des âges glaciaires. A partir de longs et fastidieux calculs, il estima que la variation de la concentration en CO2 de l’atmosphère pouvait modifier sa capacité à absorber la chaleur émise par la surface de la Terre. En d’autres termes, plus il y a de CO2 dans l’atmosphère, plus celui-ci absorbe la chaleur émise par la surface de la Terre (plutôt que de la laisser s’échapper dans l’espace), ce phénomène accentue alors ce que l’on appelle l’effet de serre, découvert par Joseph Fourrier quelques décennies plus tôt. Svante Arrhenius suggéra alors que les températures plus froides durant l’âge glaciaire résultaient d’un affaiblissement de la concentration du CO2 de l’atmosphère.

Utiliser les archives glaciaires pour infirmer ou confirmer la prédiction d’Arrhénius était tentant. Au cours des années 1960-1970 plusieurs séries d’essais eurent lieu pour obtenir un enregistrement fiable du CO2 atmosphérique dans la glace en extrayant le gaz par fusion de la glace (extraction humide). Les résultats se révélèrent décevants, avec l’obtention de valeurs parfois incohérentes et souvent fortement dispersées. La solution émergea de l’étude de la glaciochimie dont Robert Delmas et Michel Legrand (IGE, ex LGGE) furent des précurseurs. En raccourci, si la glace contient des poussières carbonées la fusion d’une glace à contexte acide peut produire du CO2 provenant de la réaction avec les carbonates et donc confondre la mesure du CO2 atmosphérique. Pour tester leur idée Delmas et ses collègues mirent au point une méthode d’extraction sèche qui consiste à broyer la glace sous vide et à – 40°C.

Dans leur papier de 1980, ils appliquèrent cette méthode à des échantillons de glace antarctique qui, comparée à la glace du Groenland, contient très peu de carbonates. Ces premiers résultats fiables confirmèrent la prédiction d’Arrhénius en indiquant qu’au dernier maximum glaciaire, il y a environ 20.000 ans, les concentrations de l’atmosphère en CO2 étaient diminuées d’environ moitié par rapport à celle de l’année 1980.

La méthode fit rapidement école, puisque l’extraction sèche sera désormais quasi-universellement adoptée pour l’obtention des enregistrements du CO2 atmosphérique qui couvrent désormais les 8 cycles glaciaires-interglaciaires des derniers 800.000 ans. Ces enregistrements ont contribué à notre compréhension actuelle de la succession de ces cycles et indiquent que vraisemblablement les niveaux actuels en CO2 de l’atmosphère ont été sans équivalent durant les derniers 800.000 ans.

On retrouve une trace de l’héritage laissé par le papier de Delmas et al. et par tous ceux dans la suite qui ont conduit aux divers enregistrements du CO2 atmosphérique au cours de derniers 800.000 ans dans le projet international en cours « Beyond EPICA Oldest Ice » dont le but est d’étendre cet enregistrement au-delà d’un million d’années. L’espoir est de documenter une question fondamentale de la paléoclimatologie : pourquoi, il y a environ un million d’année, le rythme des cycles climatiques glacaires-interglacaires est-il passé d’environ 40.000 à 100.000 ans ?
 
[1] Le LGGE est devenu Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE / OSUG – CNRS, GINP, IRD, UGA) en 2017, suite à sa fusion avec le LTHE (Laboratoire d’étude des Transferts en Hydrologie et Environnement)
Publié le  26 mars 2020
Mis à jour le  6 avril 2020