Le cerveau politique

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Cerveau et orientation politique
Cerveau et orientation politique
Et si la structure cérébrale pouvait déterminer en partie l’orientation politique ?
Le cerveau est un organe complexe impliqué dans des fonctions cognitives (mémoire, perception, intelligence, etc.) mais aussi sociales (empathie, préjugés, etc.) et politique. Une étude menée sous la direction de Martial Mermillod, professeur de l’Université Grenoble Alpes (UGA) au Laboratoire de psychologie et neurocognition (LPNC*), en collaboration avec d'autres universités internationales (États-Unis, Royaume-Uni, Belgique, Espagne, Suisse et Australie) montre qu’il existe des liens entre cerveau, processus socio-émotionnels et orientation politique.

Aujourd’hui grâce à des expériences comme celle de Milgram dans les années 70, on sait que la situation conditionne le comportement humain. Ces travaux montrent l’influence de facteurs situationnels sur les comportements humains, plus précisément dans les processus de soumission à l'autorité et de deshumanisation. On sait aussi grâce au paradigme des groupes minimaux, qu’il est possible d’obtenir des comportements extrémistes sans passer par une situation de soumission à l’autorité mais via de simples processus de soumission librement consentie ou une séparation arbitraire des individus (groupe A et groupe B par exemple). Oui mais du coup, comment ça marche ?

Quelle est l'implication du cerveau sur nos choix ?

Le cerveau est comme un muscle. Selon l’activité, différentes zones s’activent et avec le temps, peuvent augmenter ou réduire en densité (par genèse ou réduction de connexions synaptiques). C’est pourquoi, la psychologie et en particulier les neurosciences cognitives et sociales vont plus loin en étudiant les variables neurologiques et psychologiques impliquées dans la détermination de ces comportements extrémistes.

Martial Mermillod, professeur en psychologie et neurosciences sociales à l’UGA montre que le cerveau peut être conditionné par le comportement politique. En d’autres termes : il serait possible de déterminer ou de détecter l'orientation politique d’une personne, en particulier les dérives autoritaristes et la radicalisation,  en analysant des données cérébrales et psychologiques. Le sujet est délicat, mais nombre d’études vont déjà dans cette direction.

Une étude manée par Ryota Kanai en 2011 montre que, au niveau neuronal, le cerveau d’un conservateur extrémiste n’est pas structuré de la même manière que celui d’un progressiste. La clef se trouve dans une zone du cerveau appelée l’amygdale cérébrale, une zone du cerveau archaïque responsable de l'apprentissage et de l'expression de la peur, mais aussi dans des zones corticales évoluées impliquées dans la régulation de ces émotions. Selons ces travaux, plus l’amygdale cérébrale est dense, plus l’opinion politique tend à l’extrémisme et à l'autoritarisme. A l'inverse, les orientations modérées et progressistes sont corrélées à une augmentation en densité du cortex cingulaire antérieur, une aire cérébrale impliquée dans la détection de l'erreur, la conscience de soi, l'empathie et la régulation des émotions.

De façon similaire, les travaux récents de M. Mermillod menés en collaboration avec le Queensland Brain Institute (QBI) en Australie et récemment publiés dans Journal of Neuroscience montrent, grâce à des techniques de MagnetoEncephaloGraphie (MEG) l'importance de l’amygdale cérébrale dans la genèse automatique et non-consciente de la peur, genèse qui précède l'activité corticale liée à des fonctions cognitives complexes. La peur peut même, dans certains cas, précéder la perception consciente d'un stimulus !

Les liens entre peur et orientation électorale

Ces études ont ouvert la porte à un champ de recherche large en psychologie cognitive, sociale et politique. À l’UGA, différents projets de recherche sont en cours. L'objectif est maintenant de comprendre le lien entre la production répétée de la peur (suite à des attaques terroristes par exemple, ou plus généralement dans les médias à sensation) et l'orientation électorale.

Suite aux attentats du 13 novembre 2015, le LPNC avec le soutien d'un projet CNRS travaille activement sur la détection implicite et non-consciente d’orientations extrémistes (religieuses ou nationalistes). Amélie Bret, doctorante LPNC, a mis au point plusieurs techniques qui permettent de détecter de façon non-consciente les préjugés extrémistes liés à la radicalisation.

Dans ce cadre, plusieurs projets sont actuellement soumis à la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), à l'ANR ou au niveau de l'Europe et soulignent l'importance des sciences humaines et sociales au niveau sociétal, mais aussi au niveau de la promotion et du maintien de la paix dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou la détection, mais aussi la remédiation, de personnes radicalisées.

Au vu de ces résultats et de la sensibilité du sujet, Martial Mermillod met en garde contre la stigmatisation, et l’interprétation de ces données : "Ces données doivent être replacées dans des contextes historiques ou sociologiques complexes (les pires dictateurs ont souvent été, en début de carrière, des révolutionnaires). Cette bataille entre nos vieux démons (peur, déshumanisation, etc.) provenant de zones cérébrales primitives comparativement à des zones plus évoluées du cortex (régulation des émotions, prise de perspective, etc.) se déroule en chacun de nous. Personne n'est à l'abri de basculer du côté obscur et primitif de son cerveau !".

* Laboratoire de Pychologie Neuro Cognitive (Unité Mixte de Recherche 5105, CNRS, UGA, Université Savoie Mont-Blanc)



Publié le10 mai 2017
Mis à jour le11 mai 2017