Du Vietnam à la Corée : comment sortir du nucléaire… et en même temps du charbon ?

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Un électricien asiatique réparant le système électrique dans le district de Chau Doc au Vietnam © Shutterstcok
Un électricien asiatique réparant le système électrique dans le district de Chau Doc au Vietnam © Shutterstcok
L’arrêt de plusieurs programmes nucléaires en Asie du Sud-Est repose la question de la transition énergétique et notamment de la place du charbon dans la production d’électricité.

Le Vietnam a connu ces dernières années une croissance économique remarquable, de 6 à 7 % par an : en vingt ans, il est passé de la catégorie des pays à bas revenus à celle des pays à revenu moyen. C’est aussi l’un des pays d’Asie qui a le plus rapidement réduit la pauvreté : son taux (mesuré par la Banque mondiale) est ainsi passé de 60 % à la fin des années 1990 à moins de 20 % aujourd’hui.

Ce décollage économique s’est appuyé sur une agriculture dynamique : le Vietnam est aujourd’hui le deuxième exportateur mondial de café, derrière le Brésil, et le troisième de riz, derrière l’Inde et la Thaïlande. Mais il résulte aussi d’une croissance très rapide de l’industrie, du textile et de la chaussure à la sous-traitance pour l’industrie électronique coréenne. Une success story donc, si l’on met de côté la question d’un modèle politique comparable au modèle chinois…

Une croissance énergétique à grande vitesse

Cliquez pour agrandir la carte d’Asie du Sud-Est. Google


Au plan énergétique, le pays présente également des caractéristiques spécifiques, en particulier du fait d’une croissance de la consommation d’électricité, qui a explosé ces dernières années. Et si cette dernière est passée de 13 % (entre 2006 et 2010) à 10 % par an (entre 2010 et 2014), le ministère de l’Industrie projette encore, dans son scénario le plus modéré, une croissance de 10 % jusqu’à 2020, 8 % entre 2020 et 2025 et 6 % entre 2025 et 2030. Rappelons qu’à 7 % par an, la consommation double tous les dix ans, une situation à peu près identique à celle qu’a connue la France au cours des « trente glorieuses ».

Concernant le nucléaire, l’Assemblée nationale vietnamienne a voté en novembre 2016 un arrêt de son programme de construction de centrales nucléaires, en coopération avec la Russie et le Japon, dans la province de Ninh Thuan. Les arguments avancés sont avant tout économiques : après la catastrophe de Fukushima en 2011 au Japon, les coûts des centrales ont fortement augmenté et un programme nucléaire requiert des investissements humains et financiers jugés trop importants pour le Vietnam, avec des résultats à trop long terme.

Se pose alors la question : comment répondre au triplement prévu de la demande d’électricité d’ici à 2030 ?

Le charbon, la fausse bonne solution

Pour les autorités vietnamiennes, la réponse figure dans la révision 2016 du 7e plan directeur pour l’électricité : les potentiels hydrauliques étant déjà largement équipés et les autres énergies renouvelables ne se développant encore que lentement, il faut construire rapidement de nouvelles centrales à charbon. Le mix électrique vietnamien de 2030 devrait ainsi reposer à 53 % sur les centrales thermiques au charbon et 17 % sur des centrales au gaz. Le reste allant aux renouvelables (23 %) et au nucléaire (6 %), car au début 2016 celui-ci était encore considéré comme une option viable.

Alors qu’une politique énergétique intégrant la lutte contre le changement climatique devrait viser à sortir rapidement du charbon, le plan directeur renforce au contraire la dépendance à cette énergie, néfaste tant pour l’environnement local que pour l’environnement global. La suspension du programme nucléaire, fin 2016, risque d’accroître encore cette dépendance. Les émissions de CO2 du secteur électrique représentent déjà aujourd’hui 75 MtCO2, soit la moitié des émissions totales du pays. Dans un scénario s’appuyant fortement sur le charbon, elles pourraient être multipliées par trois ou quatre en 2030.

Le gaz, option de transition dans la transition ?

Au-delà de la nécessaire maîtrise des consommations, le cas vietnamien permet de poser une hypothèse apparemment paradoxale : le gaz naturel, bien qu’étant une énergie fossile, donc émettrice de gaz à effet de serre, pourrait néanmoins constituer une alternative efficace au charbon ; il s’agirait en quelque sorte d’une « option de transition » au sein de la transition énergétique.

Expliquons : premièrement, à court terme la production d’électricité dans des turbines à gaz modernes, à faible coût d’investissement, permet des émissions par kWh produit au moins de moitié inférieures à celles du kWh issu d’une centrale à charbon (400 au lieu de 900 gCO2/kWh) ; deuxièmement, à moyen terme, lorsque les énergies éolienne et solaire seront déployées à grande échelle, ces turbines à gaz pourraient constituer une solution de secours dans les situations de « panne » de vent ou de soleil ; troisièmement, à long terme, le gaz fossile pourrait être remplacé par du « gaz vert », issu de la méthanisation ou de la méthanation ; il peut encore être combiné à de l’hydrogène pour donner de l’hythane.

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On a donc là une solution alternative au charbon permettant de répondre à l’urgence des besoins, tout en évitant de s’engager dans un développement charbonnier qui ne peut que conduire à une impasse à long terme. On peut ainsi calculer que dans le cas du Vietnam, un scénario « renouvelables + gaz » permettrait de réduire les émissions du secteur électrique de 25 % en 2030 et de 50 % en 2050, par rapport à un scénario « renouvelables + charbon ».

Ce constat du rôle potentiel du gaz pour éviter l’impasse du charbon est certainement valable dans les pays émergents qui doivent satisfaire rapidement une demande croissante. Mais alors même qu’aux États-Unis le remplacement du charbon par le gaz (de schiste) a constitué un élément central de la politique énergie-climat de l’administration Obama, on peut se demander si elle ne pourrait pas constituer une option sérieuse pour la sortie du charbon chez nos voisins allemands. Même en France, il n’est pas exclu que la fermeture en 2022 des centrales charbon prévue dans le Plan Climat de Nicolas Hulot ne doive nécessiter, de manière limitée et pour l’équilibre du réseau, un recours accru aux centrales à gaz.

La voie de la Corée du Sud

La Corée du Sud est également confrontée au double défi d’une sortie du nucléaire et du charbon. Cela même si sa situation diffère : si le Vietnam n’a pour l’heure construit aucun réacteur, la Corée du Sud représente avec ses 25 réacteurs en fonctionnement, l’un des champions du nucléaire en Asie. Or Séoul vient d’annoncer un important changement de cap à ce sujet.

Quelques jours après son élection, invoquant la priorité qu’il comptait désormais donner à la sécurité et à l’environnement, le nouveau président sud-coréen Moon Jae-in a annoncé qu’il laisserait les réacteurs existants aller au bout de leur durée de vie technique avant d’être arrêtés, mais qu’il ne lancerait plus aucune commande de nouveau réacteur. En conséquence, la part du nucléaire dans l’électricité devrait baisser de 30 % aujourd’hui à 20 % en 2030. Parallèlement, comme la fermeture des centrales à charbon de plus de trente ans est déjà programmée, la part du charbon devrait baisser de 40 % à 20 % en 2030. Dans ce cadre, le calcul s’avère rapide : il faut d’ici à 2030 porter la part des renouvelables de 5 % à 20 % et celle des centrales à gaz de 25 % à 40 % environ.

Le président sud-coréen Moon Jae-in annonce l'arrêt des projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires (Arirang News, juin 2017).


On retrouve donc le paradoxe apparent : peut-on s’inscrire dans la transition bas carbone tout en augmentant la part d’une énergie fossile ?

La réponse est oui, parce qu’il faut savoir discerner : certaines énergies fossiles sont bien pires que d’autres ; et si le recours au gaz naturel peut sortir le charbon tout en se mariant avec des énergies renouvelables en croissance rapide, pourquoi pas ? Si elle reste transitoire, c’est probablement une solution rationnelle notamment pour les pays émergents. Mais pas que…

The ConversationLa transition énergétique est chose complexe et impose de prendre en compte les priorités et les contraintes propres à chaque société. Elle impose également du discernement et une gestion technique et politique articulée, s’inscrivant dans le temps long. Dans cette perspective, le Vietnam aurait sans doute intérêt à s’inspirer de la méthode coréenne.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Publié le17 juillet 2017
Mis à jour le20 juillet 2017